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L'Ecclésiaste : regards d'un homme avisé

L'Ecclésiaste : regards d'un homme avisé

Je me propose, dans cette nouvelle rubrique, d'aborder le livre de l'Ecclésiaste d'une façon différente de celles par lesquelles on l'aborde généralement. Toujours dans l'esprit des "trésors cachés dans le sable", je m'arrêterai çà et là sur un mot, une expression, pour chercher à mieux en saisir le sens, la subtilité, la profondeur. Mais pour cela, j'aimerais tout d'abord lui ôter ce nom d' "Ecclésiaste" (avec toutes les connotations pessimistes qui lui sont attachées), comme on ôte un vêtement trop étroit, pour le revêtir à nouveau du nom qui est véritablement le sien : Qoéleth, "l'Assembleur".

Lorsque l'on parle de "l'Ecclésiaste", on pense automatiquement à ce passage bien connu  "vanité des vanités, tout est vanité", avec toutes ses connotations négatives. Ce qui donne de l'auteur de ce livre l'image d'un homme désabusé, blasé et revenu de tout. Mais au fait, qui en est l'auteur ? Le livre de Qoéleth commence par ces mots : "Paroles de Qoéleth, fils de David, roi de Jérusalem". L'opinion que ce livre ait été écrit par Salomon est largement répandue, mais l'expression "fils de David" n'entend pas forcément une filiation directe et peut tout aussi bien signifier une descendance plus ou moins proche de David. Le nom de Salomon n'étant pas spécifiquement mentionné (comme c'est le cas en Prov. 1:1), il se pourrait donc que l'auteur soit un descendant de Salomon, ayant régné sur Juda. Qoéleth fait d'ailleurs mention de "tous ceux qui ont régné avant moi sur Jérusalem" (Qo. 1:16). Deux rois ont régné avant Salomon : David et Saül. Et on ne peut pas dire que Saül se soit distingué par sa grande sagesse. De plus, il n'a jamais régné sur Jérusalem. Il n'est donc pas possible que le Qoéleth soit le roi Salomon.

Le livre de Qoéleth se lit chaque année à la fête juive de Soukkoth (la fête des tentes ou fête des Tabernacles), au mois de Tishri, en Septembre/Octobre selon notre calendrier, à la fin des dernières récoltes. C'est également la période où les communautés religieuses achèvent la lecture annuelle de la thora et la reprenne pour une nouvelle année, et un nouveau cycle recommence. Le contexte dans lequel est lu le livre de Qoéleth permet déjà de mieux comprendre l'esprit de ce livre. La fin des récoltes est généralement une période de joie et de festivités. Le manteau sombre de l'Ecclésiaste n'est pas de mise pour y participer. D'autant qu'il fait encore très beau et chaud en Israël, à cette époque de l'année. Je peux imaginer le Qoéleth se lever au milieu de l'une de ces grandes tablées où sont rassemblés tous les ouvriers de la récolte, après une dure journée de labeur, et leur lire un extrait de son livre. Ou encore, sous la soukkha (la tente), à table, en famille. Non, Qoéleth n'est pas un livre sombre. C'est le constat d'un homme qui a connu et possédé tout ce que l'on peut imaginer, mais qui, au soir de sa vie, s'interroge sur son parcours. Il pose son regard sur le chemin de l'existence et en contemple le sinueux cheminement. Il est arrivé là où d'autres sont arrivés avant lui, et là-bas, au loin, de plus jeunes ont commencé leur voyage. Il y était encore lui-même il y a... tant d'années déjà ! Qoéleth embrasse du regard le chemin parcouru. Cette jeunesse que l'on croyait éternelle passe vite, la vie nous absorbe et, le temps de se retourner, elle est déjà si loin. 

"Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité" (Qo. 1:2). Et là, on a tout à coup les épaules qui tombent ! Mais voyons d'un peu plus près ce que dit vraiment le texte : "avel avalim amar qohèlet avel avalim hak kol avel". 

Le mot "evel" signifie "ce qui est vain, de la vapeur", mais aussi "le souffle de vie qui est dans l'homme". Chouraki le traduit par "fumée", et donc, par extension, ce qui monte vers le ciel. Une fumée qui monte vers le ciel peut faire penser, par exemple, à un sacrifice consumé par le feu sur l'autel du Temple. Ou encore, au parfum de bonne odeur que le Grand Sacrificateur offrait dans le "Saint des Saints". Mais cela peut également faire allusion à la brièveté de l'existence comme le dit le Psaume 102 : "comme une fumée mes jours passent" (Ps. 102:4).

Voyons maintenant cette expression "avel avalim" (vanités des vanités). C'est une formulation que l'on retrouve par exemple dans "le Cantique des Cantiques" (Shir hashirîm), ou "le Saint des Saints" (kadosh hakadoshîm). C'est une façon de désigner le meilleur parmi tous, ce qui surpasse tous les autres. "Avel avalim", si on reprend, par exemple, la version Chouraki, c'est la fumée qui s'élève parmi les autres fumées. C'est le sacrifice par excellence. Mais le mot "evel" signifie également "souffle de vie""Evel", ce peut être aussi une âme qui s'élève vers Dieu en prière. "Rappelle-toi, ô Dieu, que ma vie n'est qu'un souffle" dit Job.
 


Peut-être est-ce inspiré par ce passage de l'Ecriture que l'apôtre Jacques (Jacob de son vrai nom) dira : "vous qui ne savez pas ce qui arrivera demain ! Car qu'est-ce que votre vie ? Vous êtes une vapeur qui paraît pour un temps, et qui ensuite disparaît" (Jacques 4:14). 

"Evel", c'est aussi le nom du fils d'Adam, Abel, qui fut assassiné par son frère Caïn. Car en hébreu, les deux mots s'écrivent identiquement pareil. Or, la vie d'Abel fut relativement brève. Son "souffle de vie" s'est envolé comme une "fumée". Dans ce mot "evel", on trouve donc à la fois la notion de brièveté de la vie et en même temps cette idée qu'une âme s'élève vers Dieu en lui offrant un sacrifice d'adoration. N'y a-t-il pas là une belle image du sacrifice de notre Seigneur ? La mort d'un homme jeune encore, une vie consacrée, pleinement offerte. 

Lorsque l'on compare cette formulation "avel avalim" avec celle de "shir hashirîm" (le Cantique des Cantiques ou le plus beau des Cantiques), on comprend mieux alors le sens de cette phrase. Souffle de vie parmi les souffles, parfum d'adoration parmi les parfums, "avel avalîm" devient la quintessence de l'adoration d'une âme qui s'élève vers Dieu.  C'est la prière d'une âme qui s'élève vers Dieu dans une prière fervente. La prière de cette âme monte vers le ciel, consciente de la brièveté de la vie, mais reconnaissante devant son Créateur. 

Maintenant, replaçons ce texte dans le cadre de la fête de Soukkoth qui célèbre également la fin des récoltes. Si celles-ci ont été abondantes, et que le peuple a tout lieu de se réjouir, on peut aisément imaginer que les cœurs veuillent faire monter, vers le Créateur, un sacrifice d'adoration. 

"Quel avantage revient-il à l'homme de toute la peine qu'il se donne sous le soleil ?" (Qo. 1:3). Une fois encore il faut replacer cette question dans le contexte dans lequel il s'intègre, à savoir, la fin des récoltes. Si la récolte a été abondante, l'avantage est considérable. Si elle ne l'a pas été, c'est beaucoup de travail investi pour un maigre résultat. De plus, si le cultivateur exploite les terres d'une tierce personne, il lui faut redonner une partie de la récolte. C'est alors une partie du fruit de ses efforts qu'il doit donner à quelqu'un d'autre. A quoi sert de se donner tant de mal pour engranger les récoltes alors qu'il faut en donner une bonne partie au propriétaire des terres qui, lui, n'a pas levé le petit doigt ? Ce que l'on considérait comme l'expression d'une attitude blasée devient le soupir d'un profond sentiment d'injustice. 

"Tahat hashamesh... sous le soleil", c'est une expression propre au Qoéleth. On a souvent vu dans cette expression une notion bassement matérielle dont la spiritualité serait exclue. Il n'y a rien de plus faux. Le mot "shamesh" a la même racine que le mot "shamash" (serviteur). On retrouve ici l'idée du serviteur, occupé aux champs toute la journée, "sous le soleil". Mais dans la tradition juive, le "Shamash" est aussi l'un des noms du Messie. Il est le Serviteur. C'est pourquoi, Jésus dira : "c'est ainsi que le fils de l'homme est venu non pour être servi mais pour servir" (Matthieu 20:28). 

La période à laquelle on lit le livre de Qoéleth, c'est comme je l'ai dit plus haut, la fête de Soukkoth. C'est une "fête de l’Éternel", une fête que Dieu a instituée et voulue pour son peuple. Elle clôture les dernières récoltes, celles des olives, juste avant les labours. Ainsi, cette période de l'année, pendant laquelle on a travaillé dur "sous le soleil", s'achève par une fête de l’Éternel. Cette expression, loin de signifier une réflexion bassement matérielle et désabusée, exprime au contraire le point d'achèvement d'une saison sous le regard du Créateur qui donne à la terre son fruit, et à l'homme le pain qui le nourrit, et ce, de génération en génération. "Une génération s'en va, une autre s'en vient, et la terre subsiste toujours" (1:4). Qoéleth a vu passer les saisons, naître les agneaux, et les cris des nouveaux-nés ont retenti dans les maisons. "Un nouveau-né qui crie, c'est un nouveau-né vivant. Espérons que ce soit un garçon !". Les récoltes ont besoin de bras solides. Chaque année, de nouveaux bras venaient s'ajouter à ceux des laboureurs. D'autres, devenus trop âgés, leur passaient la faucille. Une saison bonne, une autre non. Des yeux se fermaient pour toujours. Certains âgés et d'autres non. Effectivement, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. La faucille ne passait pas que dans les blés et les champs étaient parfois de bataille. Une année est passée, bientôt Soukkoth ! Mais à table, des chaises restent vide. Des enfants jouent. Ils prendront bientôt place à la table des laboureurs. 
 


la période à laquelle on lit le livre de Qoéleth est également le temps de reprendre la lecture de la Thora depuis "le commencement"*, c'est-à-dire, le récit de la Création. Il n'est donc pas étonnant de trouver, en introduction de ce texte, un passage qui y fait mention. "Le soleil se lève, le soleil se couche, il soupire après le lieu d'où il se lève à nouveau (1:5). "Il y eut un soir, il y eut un matin..." (Gen. 1:13, 19, 23, 31, ...). Et les moissons succédaient aux semailles. "Elle glana dans le champ jusqu'au soir" (Ruth 2:17). 

"Dieu dit : qu'il y ait des luminaires dans l'étendue du ciel pour séparer le jour d'avec la nuit, que ce soit des signes pour marquer les époques (mowadîm), les jours, les années, et qu'ils servent de luminaire dans l'étendue du ciel pour éclairer la terre, et cela fut ainsi. Dieu fit les grands luminaires, le plus grand luminaire pour présider au jour et le plus petit pour présider à la nuit. Il fit aussi les étoiles" (Gen. 1:14 à 16). 

"Des signes pour marquer les époques". Le calendrier des fêtes de l’Éternel était fixé selon le mois lunaire. Les "mowadîm" sont à la fois des "temps fixés, des saisons ou des dates de fêtes", et notamment la fête des Tabernacles (Soukkoth) dont il est question ici. Lorsque on lit Qoéleth : "il n'y a rien de nouveau sous le soleil", à la période de Soukkoth, alors que redémarre la lecture du livre de la Genèse, on peut facilement y voir une allusion au commencement d'une nouvelle saison, à la continuité des temps et des époques, rythmées par les fêtes de l’Éternel. L'homme, "étranger et voyageur sur la Terre" (Héb. 11:13), est un hôte de passage dans ce Monde où les cycles se perpétuent depuis la Création de l'Univers. La hutte de branchages construite pour la fête de Soukkoth est un témoignage de la précarité et de l'aspect éphémère de la vie humaine. Elle rappelle également les pérégrinations des Hébreux dans le désert sous la conduite de Moïse. Le toit de la hutte (soukkah) doit être fait de telle manière que l'on puisse voir, au travers de ces branches, le ciel, et les étoiles aussi nombreuses que les fils d'Abraham. Dans un tel contexte, la réflexion de Qoéleth a toute sa place. Ce qui fait dire au Psalmiste : "Tu as pour manteau la lumière et tu déploies les cieux comme une tente" (Ps. 104:2, Semeur).

"Le vent tourne, tourne encore et reprend les mêmes circuits, tous les fleuves vont à la mer, et la mer n'est point remplie, ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent... l’œil ne se rassasie pas de voir et l'oreille ne se lasse pas d'entendre" (1:7, 8). La mer ne se lasse pas de recevoir les eaux des fleuves, l’œil ne se lasse pas d'en observer le mouvement, et l'oreille d'entendre le bruit des vagues qui viennent s'étendre doucement sur le rivage. 

"Ce qui a été, c'est ce qui sera et ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera, il n'y a rien de nouveau sous le soleil" (1:9). Pendant plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires, la vie des hommes a été semblable à celle de leurs ancêtres. Jusqu'à ce que ne vienne l'ère industrielle qui a tout bouleversé. Les artisans transmettaient leur savoir-faire à leurs fils ou leurs apprentis, et les maîtres à leurs disciples. Le mot d'ordre était : "il en a toujours été ainsi". C'était une attitude passéiste, conservatrice, qui se voulait gardienne d'un ordre établi. Aujourd'hui, les choses changent très rapidement. A l'heure de la fibre optique, il serait difficile de dire : "s'il est une chose dont on dise : vois ceci, c'est nouveau ! Cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés" (1:10). Mais peut-être pourrait-on encore l'affirmer lorsque l'on parle du cœur de l'homme ! En effet, "Il n'y a rien de nouveau sous le soleil" car "le cœur de l'homme est méchant et tortueux par dessus tout, qui peut le connaître ?" (Jérémie 17:9). Plusieurs millénaires se sont écoulés, mais le cœur de l'homme demeure encore plein de mystères.

L'apôtre Jacques, dont je parlais plus haut, évoque dans son épître le "cours de la vie" (Jc. 3:6), littéralement : "la roue de l'existence". Le mot "vie" (en grec "Genesis", d'où vient le mot "Genèse) signifie "source, origine, naissance, natalité, à l'origine de la vie, le cycle de l'espèce humaine", mais aussi : "généalogie, énumération des ancêtres". On retrouve ici la référence à la Parasha Bereshit que j'évoquais plus haut. Cette section de l'Ecriture parle justement de l'origine de la vie et des premiers hommes qui ont peuplé la Terre. 

Et je terminerai cette section du livre de Qoéleth par le verset 11 : "on ne se souvient pas de ce qui est ancien et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard". Oubliés tous ces visages, perdus tous ces souvenirs. Combien d'hommes et de femmes se sont-ils succédé sur cette Terre ? Qu'en reste-t-il ? Quel souvenir laisserons-nous nous-mêmes et qui s'en souviendra ? De nos soucis, de nos tracas, de nos bonheurs, de nos projets, que restera-t-il ? Et qui s'en souviendra ? C'est le constat que fait le prophète Esaïe : "l'herbe sèche, la fleur tombe, quand le vent de l’Éternel souffle dessus. Certainement, le peuple est comme l'herbe" (Esaïe 40:17). L'apôtre Pierre reprendra à son tour cette même réflexion (1 Pi .1:24). Preuve qu'au travers des siècles, les hommes de Dieu en arrivaient toujours à la même conclusion. Non, décidément, "il n'y a rien de nouveau sous le soleil".
 

JiDé
 

*La première Parasha (section de la Thora lue chaque semaine) s'appelle "Bereshit" (Au Commencement), et relate le récit de la Création (Qo 1:4, 5).

L'Ecclésiaste : regards d'un homme avisé
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