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Jacob et Laban : un contrat de dupes

Jacob et Laban : un contrat de dupes

Un beau-père malhonnête

Voilà vingt ans que Jacob travaille pour son oncle Laban, le père de ses épouses Léa et Rachel. Après quatorze années de dur labeur au service de son oncle, Jacob émit le désir de rentrer chez lui, dans la maison de son père. Mais Laban, qui a compris que la bénédiction de Dieu était sur le mari de ses filles, ne tient pas à se séparer de la "poule aux œufs d'or". Avant l'arrivée de Jacob, ses troupeaux étaient peu nombreux et ses bêtes chétives. "Car tu avais bien peu de choses à mon arrivée, mais tes biens se sont considérablement accrus. L’Éternel t'a béni depuis que je suis chez toi" (Genèse 30:30), lui dira Jacob qui avait travaillé sept années pour Léa et sept autres pour Rachel. Lorsque Jacob prend la décision de partir de Charan, il en fait tout d'abord part à ses épouses. "Rachel et Léa répondirent et dirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas regardées par lui comme des étrangères, puisqu'il nous a vendues et qu'il a mangé notre argent ?" (Genèse 31:14, 15). 

"Une part et un héritage (helek ve nahalah)". Pour bien comprendre les paroles de Rachel et Léa, il nous faut nous arrêter un instant sur ces mots. Les filles de Laban ont été témoins de la malhonnêteté de leur père à l'égard de leur mari. Elles ont parfaitement conscience que ce n'est pas seulement Jacob qui s'est fait spolier, mais elles également. Aussi, ces mots ont-ils un double sens. Le mot "helek" signifie "héritage", mais il peut être également utilisé dans le sens de "séduisant, flatteur". Ce mot vient de "halak", qui signifie "diviser, tromper, partager", mais aussi "être lisse, glissant, trompeur". Le livre des Proverbes parle d'un homme "dont la langue est flatteuse (halak)" (Proverbes 28:23), ce qui révèle un aspect du caractère de Laban : c'est un manipulateur. "Laban", en hébreu, veut dire "blanc". Laban, beau-père de Jacob, c'est "Monsieur Blanc", celui qui n'est responsable de rien, qui n'a rien à se reprocher, qui n'est coupable de rien à ses propres yeux. Mais avec les lettres du mot "laban", on peut également composer le nom de "nabal" (escroc, insensé, criminel, fou"), dont le récit est relaté en 1 Samuel 25. Il est dit de Nabal que "c'était un homme fort riche, possédant de grands biens". David lui avait envoyé des hommes pour l'aider à la tonte de ses nombreuses brebis, mais lorsqu'il lui adressa ses serviteurs pour recevoir leur salaire, Nabal les rudoya et les renvoya en traitant David de bâtard (voir pour cela l'article "David... né dans l'iniquité", l'expression "fils d'Ishaï" étant ici péjorative).

La façon dont Laban traita Jacob manifestait sa malhonnêteté à son égard, mais également à l'égard de ses propres filles. "Notre père nous a vendues", diront Léa et Rachel, conscientes de s'être faites spolier de leur héritage par leur propre père. Ce mot, lourd de sens, est généralement utilisé, dans le livre de la Genèse, pour parler de la vente d'esclaves ou de bétail. Ce triste constat les conduira à répondre à leur époux, en guise de conclusion : "Fais maintenant tout ce que Dieu t'a dit" (Gen. 31:16). Jacob va alors travailler six années encore pour Laban afin de se constituer son propre cheptel. Ce sera le salaire de ses années de labeur. "A présent, il est temps que je travaille pour ma propre famille" (Gen. 30:30), ajoute le gendre dépité. 
 


Lorsque Jacob exprime son désir de recevoir le salaire de son dur travail, Laban fait mine de vouloir le dédommager. Mais Jacob connait son beau-père et il n'est pas dupe. Il sait que quelle que soit sa demande, elle sera contestée d'une façon ou d'une autre. Jacob propose alors un arrangement. Laban ne sait pas que la stratégie que son gendre va mettre en place est un plan divin, le produit d'un songe que Dieu a donné au mari de Rachel et de Léa pour que celui-ci puisse retourner "au pays de ses pères" (Gen. 31:3). "A l'époque où les bêtes s'accouplent, j'ai vu en songe que les béliers qui couvraient les brebis étaient tachetés, rayés ou marquetés. L'ange de Dieu m'appela dans ce rêve : Jacob, et j'ai répondu : j'écoute. Lève les yeux, dit-il, et regarde : tous les béliers qui couvrent les brebis sont tachetés, rayés ou marquetés, car j'ai vu tout ce que te fait Laban". Et Dieu va rappeler à Jacob un événement qui s'était produit à Béthel après qu'il ait eu le songe de l'échelle. "Je Suis le Dieu de Béthel, où tu as répandu de l'huile sur une pierre dressée en stèle et où tu m'as fait un vœu. Maintenant, lève-toi quitte ce pays et retourne dans ton pays natal" (Gen. 31:10 à 13). 

Si la signification du nom de Yaacov (Jacob) signifie "trompeur, supplanteur", celui-ci n'en demeure pas moins le bénéficiaire de la bénédiction et de la protection de Dieu. Jacob dira un jour à Laban : "Voilà vingt ans que je suis chez toi... dix fois tu as changé mon salaire. Si Dieu n'avait été avec moi, tu m'aurais renvoyé aujourd'hui les mains vides. Mais Dieu a vu ma misère et avec quelle peine j'ai travaillé. La nuit dernière, il a rendu son verdict" (Gen. 31:41, 42). Une fois encore, Laban avait voulu escroquer Jacob. Mais celui-ci ne se laissa pas démonter par cet énième stratagème de son oncle pour le dépouiller de son dû. Jacob va donc agir selon les directives divines afin de pouvoir se constituer son propre cheptel et ce, de manière telle que son peu scrupuleux beau-père ne puisse à nouveau l'en déposséder. 

Mais avant d'aborder ce sujet, il me faut tout d'abord revenir en arrière afin de reconstituer le parcours de Jacob depuis son départ de Beer-Schéba jusqu'à son départ de Charan. Les deux présentant de singulières similitudes. Tout commence après que Jacob se soit fait passer pour son frère Esaü aux yeux de leur père Isaac, afin d'obtenir de celui-ci la bénédiction du fils aîné. Ce subterfuge, imaginé par la mère de Jacob, va forcer celui-ci à s'éloigner de sa famille pour fuir la colère de son frère Esaü. Prétextant le choix d'une épouse de leur clan, Rebecca va inciter Isaac à envoyer leur fils dans sa famille d'origine, à Charan.

La filiation de Jacob

"Isaac fit partir Jacob pour la plaine d'Aram auprès de Laban, fils de Betouel l'Araméen, frère de Rebecca, la mère de Jacob et Esaü" (Gen. 28:5). 

Jacob partit donc de Beer-Sheba pour Charan, patrie de son oncle Laban et de sa mère Rebecca. En chemin, il s'arrêta pour passer la nuit et, durant son sommeil, il eut un songe au travers duquel Le Seigneur s'adressa à lui et lui dit : "Je Suis le Seigneur, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité" (Gen. 28:13).
 


Dieu s'adresse à Jacob en lui disant : "Je Suis le Dieu d'Abraham ton père..." (alors qu'Abraham est son grand-père), et Il ajoute : "et Dieu d'Isaac". Il aurait été plus normal que Dieu se présente comme étant "le Dieu de tes pères, Abraham et Isaac". Mais au contraire, le texte nous dit que Dieu relia directement Jacob à son grand-père Abraham, ajoutant ensuite qu'il est également le Dieu d'Isaac, mais sans mentionner la filiation entre Isaac et Jacob. Il faut se rappeler que Jacob avait usé d'un stratagème pour voler à son père la bénédiction qui était normalement réservée à son frère aîné. Un petit détail qui laisse supposer qu'une brisure s'était faite entre Isaac et son fils, car le fils préféré d'Isaac, c'était Esaü et non Jacob. D'ailleurs, le texte nous dit : "Isaac fit partir Jacob". Esaü n'est pas le seul à lui en vouloir, son père aussi. Même si la motivation première d'Isaac est de répondre à la demande de Rebecca, il est possible qu'il en ait voulu à Jacob de lui avoir, en quelque sorte, forcé la main pour obtenir sa bénédiction à la place de son frère aîné. En disant à Jacob : "Je Suis le Seigneur, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac", le Seigneur l'en avertit, mais le rassure en même temps en lui assurant qu'il demeure malgré cela "fils d'Abraham", le Patriarche. 

Je fais ici une petite digression pour m'arrêter sur la formulation du texte. En effet, la ponctuation à laquelle nous sommes familiers n'existe pas en hébreu, tout au moins pas sous cette forme. Ainsi on peut lire : "vayiomer ani Adonaï Elohëi Abraham abika vèlohëi yits'hak ha aretz" (Gen. 28:13). Littéralement : "Et il dit : Moi Adonaï le Dieu d'Abraham ton père et le Dieu d'Isaac la terre... ". Qu'est-ce que cela veut dire ? Tout d'abord, que Dieu est à la fois le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac. Mais aussi que Dieu est en train de dire à Jacob : "Tu es de la postérité d'Abraham. A Abraham, je t'ai donné comme postérité, et à son fils Isaac j'ai donné la terre de Canaan" (Isaac est né en terre de Canaan et ne l'a jamais quittée. Il est le seul des Patriarches, d'Abraham à Joseph, à n'avoir jamais résidé ailleurs qu'en terre de Canaan. En cela, il symbolise la présence du peuple hébreu en Eretz Israël depuis Abraham jusqu'à nos jours). Jacob bénéficie donc à la fois de la bénédiction que Dieu a accordée à son grand-père Abraham, mais également de la terre que Dieu a donnée à Isaac et à sa postérité. 

"Voici que le Seigneur se tenait près de lui et dit : Je Suis le Seigneur, Dieu d’Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta descendance" (Gen. 28:13). Par ces mots, Dieu assure Jacob de son retour dans sa terre natale, terre dont il doit hériter, lui et sa postérité après lui. Si le départ de Jacob de la tente familiale ne s'est pas fait dans les conditions les plus chaleureuses, son départ de Charan le sera encore moins. Jacob quitte Canaan en froid et sans en avoir fait part à son frère Esaü. Il quittera Charan s'en en avertir son oncle Laban qui l'accusera, tout comme son frère Esaü, de l'avoir trompé. Mais entre ces deux départs précipités, vient s'intercaler un troisième : celui de Béthel, le Lieu où Jacob a rencontré Dieu. Ainsi, il est écrit : "Jacob se mit en marche et partit..." (Gen. 29:1). Si Jacob reçoit un songe venant de Dieu alors qu'il vient de quitter sa famille de Beer-Sheba, il en recevra un autre alors qu'il projette de quitter la maison de son beau-père à Charan. 

"Et Jacob sortit de Beer-Sheba et s'en alla à Charan, et il se rencontra en un lieu où il passa la nuit... et se coucha en ce lieu-là. Et il songea..." (Gen. 28:10, 11, Darby). Le cadre du premier songe est bien défini par la mention de son lieu de départ comme de sa destination. Plus loin dans le texte, alors que Jacob projette de quitter Charan, il a de nouveau un songe : "... et l'Ange de Dieu me dit en songe..." (Gen. 31:11, Darby). Dans ce songe, Jacob reçoit de Dieu une stratégie afin de pouvoir se former un cheptel qui lui soit propre, mais ce songe est également étroitement lié à celui qu'il fit à Béthel, tout comme il est la résultante des malveillances de Laban. Et Dieu dit à Jacob : "... j'ai vu tout ce que t'a fait Laban. Je suis le Dieu de Béthel où tu oignis une stèle et tu me fis un vœu. Maintenant, lève-toi et sors de ce pays..." (Gen. 31:13). 

Une postérité, un peuple, une terre

"Je Suis le Seigneur, Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité". Après que Dieu ait clarifié les relations de Jacob avec ses pères, Il va lui parler de "sa postérité". Si Jacob est le "fils" (en hébreu "ben") d'Isaac et d'Abraham, il va devenir lui-même "père" d'une nombreuse descendance, ainsi qu'il est dit : "postérité d'Abraham, mon serviteur, enfants de Jacob ses élus" (Psaume 105:6). Or, le mot "ben" signifie également "entre" (entre deux générations). Ce voyage avait pour but initial de permettre à Jacob de trouver une épouse (et donc, d'avoir une descendance). Il découvre que, au delà de ce projet, il y a un plan divin qui est de susciter une postérité qui donnera naissance à un peuple. De ce peuple naîtra le Massiah. Si Dieu promet à Jacob une nombreuse postérité, il reviendra de Charan avec douze fils et une fille. Douze fils qui deviendront les pères fondateurs des douze tribus d'Israël. En cela, Jacob est véritablement "fils d'Abraham", car il va être le père de cette postérité que Dieu avait promise à Abraham, son grand-père. Postérité dont est issu le Massiah, le Seigneur Jésus-Christ. 
 


"Voici que le Seigneur se tenait près de lui et dit : Je Suis le Seigneur, le Dieu d'Abraham ton père et Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta descendance. Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l'ouest, à l'est (au Qédem) au Nord et au Sud, en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. Vois ! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre..." (Gen. 28:14, 15). Cette "descendance", c'est premièrement le peuple Juif mais, par extension, c'est "la postérité d'Abraham par la foi", selon qu'il est écrit : "C'est pourquoi les héritiers le sont par la foi, pour que ce soit par grâce, afin que la promesse soit assurée à toute la postérité, non seulement à celle qui est 'sous la Thora' mais aussi à celle qui a la foi d'Abraham notre père à tous" (Romains 4:16). Ainsi l'apôtre dit bien que, bien qu'ils soient de la postérité d'Abraham, "ils ne sont pas tous ses enfants, mais il est dit : en Isaac sera nommée pour toi une postérité" (Romains 9:7). Quelle est donc cette postérité ? L'apôtre la définit dans l’Épître qu'il écrit aux Galates : "Et si vous êtes à Christ (le Massiah Yeshoua), vous êtes donc la postérité d'Abraham, héritiers selon la promesse" (Galates 3:29).  

Jacob à Charan

"Jacob se mit en marche et partit pour le pays des fils de Qédem" (Gen. 29:1). J'ai parlé ailleurs, dans un  autre article, de la signification du mot "quédem" qui désigne à la fois "l'Orient, l'Est en tant que direction cardinale", mais signifie également "le Passé, l'origine des choses, ce qui était au commencement du Monde". Regarder vers le Qédem, c'est tourner les regards vers ce qui à l'origine de tout, vers la source. La mère de Jacob, Rebecca, était originaire de Charan, à l'Orient de la terre de Canaan. Rebecca étant ainsi "l'origine" de l'existence de Jacob, celui-ci part pour une destination qui est également un retour à ses origines.

L'expression "les fils de Qédem" désigne les fils qu'Abraham eut avec sa dernière épouse Qétoura. Ne voulant pas que ceux-ci héritent de la terre de Canaan avec son fils Isaac, le fils de la Promesse, Abraham les envoya "à l'Orient". Mais alors que Jacob quittait Béthel, le Lieu où il avait rencontré Dieu, pour reprendre sa route en direction de Charan, "au pays des fils du Qédem", il fit un vœu. 

"Il appela ce lieu Béthel... puis Jacob fit ce vœu : si Dieu est avec moi et me garde dans le voyage que je poursuis, s'il me donne du pain à manger et des habits pour me vêtir, si je reviens sain et sauf à la maison de mon père, le Seigneur deviendra mon Dieu" (Gen. 28:19, 20).
 


Plus tard, Dieu rappellera ce vœu à Jacob dont il avait tenu compte (Gen. 31:13). Il est intéressant de noter ici que Jacob parle d'Isaac comme "son père", celui-là même qui l'a envoyé à Charan. Il l'ignore encore, mais ce vœu sera exaucé. Cependant, si Dieu n'était intervenu, il serait peut-être parti de Charan avec ses femmes et ses enfants, mais tout aussi démuni qu'il l'était en arrivant dans la maison de Laban. Nous verrons plus loin que le nom de Laban va jouer un rôle dans l'élaboration de son cheptel personnel. 

"Jacob se mit en marche et partit pour le pays des fils de Qédem. Il regarda et voici qu'il y avait un puits dans la campagne. Il y avait trois troupeaux de moutons, couchés près du puits car les troupeaux s'y abreuvaient.... Jacob dit aux gens : Mes frères, d'où êtes-vous ? Nous sommes de Charan, répondirent-ils. Il leur dit : Connaissez-vous Laban, fils de Nachor (Nachor était le frère d'Abraham, le grand-oncle de Jacob) ? Ils répondirent : Nous le connaissons... Puis ils ajoutèrent : Voici sa fille Rachel qui arrive avec les moutons" (Gen. 29:1 à 6). Ces événements, probablement séparés de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, semblent tellement proches qu'ils paraissent se toucher. La rencontre de Dieu à Béthel et celle de Rachel semblent se dérouler dans une continuité, comme s'ils avaient eu lieu le même jour. Jacob va achever son parcours, tout imprégné de son songe. Le temps s'est arrêté. Et voilà que paraît Rachel. C'est pour elle qu'il a fait ce long voyage. L'apercevoir lui suffit. Il sait. Elle en est l'aboutissement. Mais Jacob est très loin d'être au bout de ses peines. 

Contrat de mariages

Jacob, accueilli à bras ouverts dans la maison de Laban, consent à travailler sept années pour pouvoir épouser Rachel, sa fille cadette. Mais le soir de la noce, c'est Léa, sa fille aînée, que Laban conduit à Jacob, qui ne s'en rendra compte que le lendemain. Jacob est furieux de s'être fait ainsi tromper alors qu'il vient d'achever sept années de dur labeur pour pouvoir épouser la femme qu'il aime. Mais la coutume veut que l'on marie d'abord l’aînée avant la cadette. Laban lui propose d'attendre la fin de la noce, après quoi il lui donnera également Rachel comme épouse. Jacob, le trompeur trompé, accepte de travailler encore sept années de plus pour Laban, afin de pouvoir épouser Rachel. Le temps passant, Léa, que Jacob délaisse au profit de Rachel, en souffre. Une féroce rivalité va alors opposer les deux sœurs pour gagner ou garder les faveurs de leur mari. Léa multipliera les grossesses qui donneront à chaque fois, à Jacob, un fils, pendant que Rachel demeure stérile. L'une après l'autre, les deux sœurs vont même faire appel à des "mères porteuses" en ayant des enfants par l'intermédiaire de leur servante respective. Léa poussera sa servante Zilpa dans les bras de son époux. Celle-ci lui donnera deux fils. Rachel fera de même avec sa servante Bilha, qui donnera également deux fils à Jacob. Rachel aura finalement un fils elle aussi. Ce sera Joseph. Une deuxième grossesse lui sera malheureusement fatale. Benjamin naîtra sur la route de Bethléem Ephrata, alors que la famille élargie a quitté Charan pour la terre de Canaan. Rachel mourra en couche, laissant ainsi ses deux fils orphelins de mère. Une fille naîtra également de l'union entre Jacob et Léa, on l’appellera Dina. Mais revenons à Charan. 
 


Dépité par l'attitude de son beau-père, Jacob décide de quitter Charan avec ses deux femmes et ses enfants, mais il veut être payé pour son travail, tout en soupçonnant Laban de vouloir, une fois de plus, le voler et le tromper. Laban feint d'être d'accord et de bien vouloir le laisser partir, lui proposant même de fixer lui-même le montant de son salaire. Mais Jacob n'est pas dupe. Il sait que quel que soit le salaire qu'il demandera, celui-ci sera contesté. Il propose alors de garder pour lui les bêtes rayées, tachetées et marquetées, ainsi que les agneaux noirs et toutes les chèvres tachetées et rayées des troupeaux de Laban (versets 31 et 32). Il veut se prémunir de la malhonnêteté de son beau-père, capable de l'accuser de le voler, quoi qu'il fasse. Jacob demande donc à Laban de contrôler les bêtes qui lui reviennent, mais celui-ci les fait retirer des troupeaux et les confie à ses fils qui vont ensuite les emmener avec eux, à trois jours de marche de là où se trouve Jacob (Gen. 30:36), le laissant démuni de ce qui devait constituer son salaire. Pas du tout surpris par l'attitude de son beau-père, Jacob continue de s'occuper des troupeaux que Laban a laissés à sa garde (vs 33). Il va alors mettre son plan en application en se procurant des rameaux verts de peuplier, d'amandier et de platane. Il en pèle l'écorce par endroit, laissant apparaître le blanc (en hébreu "laban"des branches (vs 37). Ce plan, d'inspiration divine (31:11, 12), ne sera pas du goût de son filou de beau-père. Après s'être reconstitué un cheptel, Jacob projette de s'enfuir "à la cloche de bois" avec tout ce qui lui appartient, car il sait qu'il n'a pas d'autre alternative s'il ne veut pas s'en aller les mains vides.  

Un salaire de misère

Mais quel est donc ce curieux cheptel que s'était constitué Jacob et dont il s'est fait spolier ? "Les bêtes rayées, tachetées et marquetées, ainsi que les agneaux noirs et toutes les chèvres tachetées et rayées". "Marquetées", en hébreu, se dit "tala", ce qui signifie également "taché, rapiécé". On ne peut donc reprocher à Jacob de vouloir s'approprier les plus belles bêtes, bien au contraire ! Celles qu'il choisit pour lui, en guise de salaire, ce sont celles qui, justement, ne présentent pas un beau pelage uniforme. Celles dont les peaux ne pourront être vendues que pour un prix modique. Mais bien qu'on ne puisse pas l'accuser de vouloir s'approprier les plus belles bêtes des troupeaux de Laban, pour celui-ci, c'est encore de trop, et c'est encore trop bon pour Jacob. Et ses fils partagent, bien évidemment, son avis.

Laban donne le change, il semble acquiescer, mais alors qu'il donne son accord, il pense déjà à la façon dont il va récupérer ce cheptel qui constitue pourtant le salaire légitime de son beau-fils. "Que te donnerais-je ?" avait demandé Laban. Et Jacob lui dit : "Tu ne me donneras rien. Si tu veux faire ceci pour moi..." (vs. 31). Jacob se chargera lui-même de constituer son salaire selon, bien évidemment, un accord préalable entre les deux hommes. Mais cette phrase de Jacob a peut-être un double sens : "Tu ne me donneras rien !". Cela, Jacob le sait pertinemment. Il sait qu'il ne doit rien attendre de son beau-père, même pas de tenir parole, ni de s'en tenir aux clauses du contrat. Ainsi, lorsque Jacob se rend compte que les fils de Laban ont emmené les cheptels qu'il s'était constitués, cela ne l'étonne pas. Il s'y attendait, d'une façon ou d'une autre. Laban a confié à ses fils ces bêtes qui, à ses yeux, sont probablement les moins belles de ses troupeaux. Mais il ne peut concevoir qu'elles puissent appartenir à quelqu'un d'autre que lui-même. Et ses fils vont ainsi s'éloigner de trois jours de marche, loin de Jacob et de ses espoirs de pouvoir enfin se constituer le salaire de ses années de pénible servitude. "Et il mit trois jours de marche entre lui et Jacob. Et Jacob faisait paître le reste du troupeau de Laban" (Gen. 30:36, 37). 
 


Mais voici ce que dit le texte original : "veyasem derek sheloshet yamîm bènow ou ben yaacov veyaacov ro hèh èt tson labane ham now tarot". Littéralement : "et il mit trois jours de marche entre lui et Jacob et Jacob faisant paître le petit bétail de Laban" (Gen. 30:36). Il y a donc ici une double action de Laban. Après avoir emmené avec lui les troupeaux que Jacob avait mis à part pour son propre salaire, il s'éloigne de son beau-fils, associant celui-ci à son salaire. Mais la construction du texte laisse supposer une autre manœuvre. "Il (Laban) mit trois jours de marche entre... Jacob et Jacob...". Laban associe son beau-fils à ces troupeaux dont il ne veut pas se départir. Mais plus encore, il considère Jacob lui-même comme étant de sa propriété. En s'appropriant ses biens légitimes, il cherche par dessus tout à s'approprier Jacob lui-même. Laban n'est pas seulement un escroc sans scrupules, il a également la mentalité d'un esclavagiste. Ses filles n'avaient-elles pas dit de leur père qu'il les avaient "vendues" (Gen. 31:14,15) ? La cupidité de Laban n'a d'égale que sa malhonnêteté. 

Dépouillé et mis à nu

"Ce même jour, il (Laban) mit à part les boucs rayés et marquetés, toutes les chèvres marquetées et tachetées, toutes celles où il y avait du blanc (kol aser laban) et tout ce qui était noir parmi les brebis. Il les remit entre les mains de ses fils" (Gen. 30:35). "Puis il mit trois jours de chemin entre lui et Jacob, et Jacob paissait le reste du troupeau de Laban" (Gen. 30:36, Darby). "Jacob prit des branches vertes (fraîches selon d'autres traductions) de peuplier, d'amandier et de platane, il y pela des bandes blanches (lebanot), mettant à nu le blanc (halaban) qui était sur les branches" (Gen. 30:37). Le mot "peuplier" traduit le mot "libanèh", mot dans lequel on retrouve les trois lettres qui composent le nom du beau-père de Jacob : "lamed, beth noun", et qui forment également le mot "laban" (blanc)Le subterfuge de Laban visait à s'approprier non seulement le salaire légitime de son beau-fils, mais également sa propre personne. Mais le Dieu de Jacob, témoin du vol manifeste dont celui-ci était victime, intervint en lui inspirant une stratégie qui devait lui assurer un salaire dûment mérité. Les malversations de Laban (le blanc) étaient, en quelque sorte, "mises à nues", tout comme le bois blanc dépouillé de son écorce.

"Il y pela des bandes blanches mettant à nu (machsoph) le blanc qui était sur les branches". "Machsoph" est un hapax. Cela signifie "dépouillement, mise à nu". Il y a là un jeu de mots entre le "dépouillement" dont Jacob est victime de la part de Laban (Monsieur Tout Blanc qui n'a rien à se reprocher) et la "mise à nu" de ses agissements. En dessous de l'écorce (l'apparence), se cache la véritable personnalité de "Monsieur Le Blanc". Le stratagème que va utiliser Jacob pour mettre à nu le véritable caractère de Laban lui a été donné, par Dieu, en songe. Le Dieu qui s'était révélé à Béthel prépare déjà Jacob pour une prochaine étape. Celle-ci aura lieu au torrent de Jabbock. Là où Jacob deviendra Israël, "celui qui lutte avec Dieu"

De peuplier, d'amandier et de platane  

Ce récit de la vie de Jacob, lorsqu'on le lit dans une traduction, ne semble pas avoir en soi beaucoup de sens. Mais lorsque l'on s'attarde sur le texte original, tout s'éclaire. 

"Jacob prit des branches vertes (maqqel lakh) de peuplier".

"Maqqel", c'est "un bâton, une branche", mais aussi "une houlette de berger"Dans ces branches vertes, il y a déjà, pour Jacob, l'espérance de pouvoir enfin se constituer son cheptel. Celui à la tête duquel il pourra rentrer chez lui. Il conduira bientôt ses propres troupeaux avec, à la main, sa houlette de berger. Cette houlette sera, en quelque sorte, son acte de propriété.

"Lakh" signifie "vert, frais", ce mot vient d'une racine qui signifie "nouveau". Il est intéressant de noter que, dans la tradition juive, l'expression "bois vert" désigne le Massiah (Luc 23:31) qui est aussi, parmi ses multiples fonctions, "le Libérateur". Celui qui libère du joug de l'injustice. Dieu n'ignorait rien des malversations dont avait été victime Jacob et Il veillait à ce que celui-ci en soit dédommagé. 

"Jacob prit des branches vertes de peuplier (libnèh)... il y pela des bandes blanches, mettant à nu le blanc qui était sur les branches". 

"Libnèh" (Peuplier). Ce mot désigne un peuplier blanc qui produit une gomme d'un blanc laiteux. Le mot "libnèh", en hébreu, s'écrit avec les lettres "Lamed, Beth, Noun, Hé".  

"Le blanc (halaban) qui était sur les branches". Ce mot "halaban" s'écrit avec les mêmes lettres que le mot "libnèh" : "Hé, Lamed, Beth, Noun"

Chacun des différents bois choisis par Jacob a une signification particulière. Les "branches vertes de peuplier" symbolisent la houlette de berger du Massiah, celui qui conduit son peuple hors de la terre d'esclavage ("je te ramènerai dans ce pays", lui avait dit le Seigneur). Les "bandes blanches" symbolisent la mise à nu du caractère de Laban. Mais le texte parle également du "bois de platane (arowm)"

Le mot "arown" vient de "aram", qui signifie "être subtil, rusé, astucieux", mais également "prendre garde, prendre de bons conseils". Jacob a su se montrer astucieux, mais il a également agi sur le conseil de Dieu. Ainsi, Saül dira de David : "Allez, je vous prie, prenez encore des informations pour savoir et découvrir dans quel lieu il a dirigé ses pas et qui l'y a vu, car il est, m'a-t-on dit, fort rusé (arowm yaryim)" (1 Sam. 23:22). Il se peut que le séjour de Jacob auprès de son beau-père ait été un moyen que Dieu a utilisé pour donner une leçon à Laban, frère de Rebecca. Mais celui-ci ne semble pas en avoir retiré grand chose. Puisque Laban refuse de payer à Jacob son salaire, ce sera désormais lui qui imposera son prix. De salarié, Jacob devient indépendant. Laban n'est désormais plus en mesure de lui octroyer un salaire. Désormais, c'est Jacob qui fixe les tarifs. Pour Laban, ce sera le prix de sa malhonnêteté. 
 

Amandier - Peuplier - Platane d'orient


Le prix du salaire

Jacob passe alors à la deuxième étape de son plan. "Puis, il plaça les branches qu'il avait pelées (patsal) dans les auges, dans les abreuvoirs, sous les yeux des brebis qui venaient boire pour qu'elles entrassent en chaleur en venant boire" (Gen. 30:38).

"Patsal" signifie "peler, enlever la pelure, l'écorce". Ce mot se rapproche également de "petsira"qui signifie "tranchant" (le tranchant d'un outil). Mais il peut également se traduire** par "prix imposé". Jacob a utilisé un "outil tranchant" pour entailler le bois qu'il va mettre dans les auges. Il est allé, en quelque sorte, devant les "prud’hommes célestes" et Dieu a tranché. Laban devra non seulement payer le salaire de Jacob, mais aussi des dommages et intérêts. Le Psaume 50 dit (c'est Dieu qui parle) : "Ecoute mon peuple et je parlerai, Israël (le nom que Dieu donnera à Jacob au torrent de Jabbock) ! Je t'avertirai, Je suis Dieu, ton Dieu... tous les animaux sont à moi, toutes les bêtes par milliers... tout ce qui se meut dans les champs m'appartient, car le monde est à moi et tout ce qu'il renferme" (Psaume 50:7 à 11). Les troupeaux de Laban appartiennent à Dieu, comme tout autre animal sur la Terre. Laban n'en est que le gérant. Le salaire de Jacob est donc fixé par le véritable propriétaire de ces troupeaux, Dieu lui-même. 

De l'esclavage au service de Dieu

Après que Jacob ait été dupé une première fois lors de son mariage (Laban lui ayant donné Léa pour épouse au lieu de Rachel), le félon dit à son gendre : "... nous te donnerons aussi l'autre (Rachel) pour le service (abodah) que tu feras encore chez moi pendant sept nouvelles années" (Gen. 29:27). Lorsque Jacob tentera désespérément de récupérer son dû, il dira : "Tu sais quel service (abodah) j'ai fait pour toi". Laban le sait bien, mais il n'en a cure. Ce "service" représente vingt années de la vie de Jacob. Un service qui a tout d'un esclavage puisque son employeur de beau-père fera tout pour le spolier de son salaire. Cet esclavage préfigure celui que va connaître la postérité de Jacob en Egypte. Le livre de l'Exode dit : "Il (le Pharaon) leur rendit la vie amère par de rudes travaux (abodah)" (Exode 1:14). Ce que Jacques Attali appelle "la dure servitude de l'aliénation"*

Les choses vont aller en s'intensifiant. Exode 2:23 parle de "servitude (abodah)". Exode 5:5, de "charge de travail". Ex. 6:9, de "l'angoisse et de la dure servitude" dont Dieu promet cependant de les délivrer (Ex. 6:6). En effet, dès la sortie d'Egypte, le mot "abodah" change complètement de sens. Il devient un "service" pour Dieu. Le Seigneur Jésus dira, bien plus tard, "Prenez mon joug car il est doux et léger" (Matthieu 11:29). Celui qui précéda le Seigneur dans son ministère, Jean le Baptiste, dira : "Tout ouvrier mérite son salaire" (Luc 10:7 / 1 Timothée 5:18) et "Contentez-vous de votre solde" (Luc 3:14). Mais Laban ne l'entend pas de cette oreille.  

En Exode 12:25, "abodah" devient "un usage". En Ex. 13:15, un culte à l’Éternel, et en Ex. 30:16, "un travail à la tente du Tabernacle". Ex. 35:21 parle d'un "service" fait de bon cœur et de bonne volonté. Ex. 36:1 mentionne une habileté manuelle mise au "service" de la Tente. Ex. 39:32 parle d'une "oeuvre" (abodah) commandée par Dieu et achevée. Ainsi, l'Abodah a été réalisée telle que Dieu la voulait.

Mais plus encore, le Seigneur a rendu à ce mot son véritable sens et sa véritable signification. Jusqu'à ce que "abodah" soit totalement transformé, métamorphosé, dans la période du règne messianique puisque Ézéchiel en parle en ces termes : "Je leur donnerai la garde de la maison et ils feront tout le service (abodah) et tout ce qui doit s'y faire" (Ez. 44:14). Cette période de paix messianique, le prophète Esaïe l'a entraperçue lorsqu'il écrit : "L'oeuvre de la justice sera la paix, et le fruit (abodah) de la justice, le repos et la sécurité pour toujours" (Esaïe 32:17). 

Le Retour

Conscient que si Laban daigne le laisser repartir en Canaan, ce sera les mains vides, Jacob décide, en accord avec ses épouses, de quitter discrètement le camp de son beau-père et de prendre la route du retour. Cette même route qui l'avait conduit jusque là, il y a de cela vingt longues années. "Le Seigneur le lui avait promis : "Je te ferai revenir vers cette terre..." (Gen. 28:15). Il avait tenu sa promesse. Jacob ignorait encore qu'il lui faudrait un jour à nouveau la quitter pour ne plus y revenir. Tout au moins de son vivant (Gen. 50:12 à 14). Il ignorait aussi que la dure servitude qui avait été la sienne servirait de prélude à celle que connaîtrait un jour sa postérité en terre d'exil. C'est en Egypte que Jacob achèvera ses jours, et c'est d'Egypte que ses fils ramèneront sa dépouille en Canaan. Cette parole que le Seigneur lui avait adressée à Béthel, alors qu'il partait pour Charan, allait prendre un tout autre sens : "Je te ferai revenir vers cette terre".

A travers lui, c'est tout un peuple qui devait bénéficier de cette promesse. Un peuple issu de ses reins. Ainsi s'accomplirait cette autre promesse faite à Béthel "par le Dieu qui ne ment point" (Tite 1:2) : "La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à ta postérité" (Gen. 28:13). C'est de cette Egypte, où Jacob avait fermé les yeux pour la dernière fois, que sortit cette postérité promise. Une postérité arrachée, tout comme son ancêtre Jacob, à la dure servitude de l'esclavage.  

 

JiDé

 

Notes 

* Jacques Attali : "Le Monde, les Juifs et l'Argent"

** "Petsira : prix imposé". 1 Samuel 13:21 mentionne le "tranchant" (petsira) des outils des Hébreux. Ceux-ci étaient obligés d'aller vers les Philistins pour faire aiguiser leurs outils, car ils étaient les seuls à posséder les pierres à aiguiser. N'ayant aucune concurrence, ils pouvaient donc imposer leurs prix. 

Jacob et Laban : un contrat de dupes
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