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Joseph et la tunique de plusieurs couleurs

Joseph et la tunique de plusieurs couleurs

Joseph fils de Jacob

Joseph, fils du Patriarche Jacob, est l'une des figures emblématiques du livre de la Genèse. Le récit de sa vie pourrait s'intituler "itinéraire d'un enfant gâté". Pourtant, son parcours va être semé d'embûches. Il connaîtra la trahison, la déportation, l'esclavage et la prison, pour finalement atteindre les plus hautes sphères du pouvoir aux côtés de Pharaon lui-même qui lui accordera ceux d'un vice-roi. 

Le récit de sa vie commence au chapitre 37 de la Genèse, mais il est encore fait mention de lui au début du livre de l'Exode lorsqu'il est dit que "Joseph mourut ainsi que tous ses frères et toute cette génération là" (Exode 1:6). Un changement de dynastie allait amener au pouvoir "un pharaon qui ne connaissait pas Joseph" (Gen.1:8) et  faire basculer le sort des Hébreux dans la fournaise de fer de l'esclavage. Le livre de Josué nous apprend que ses os furent enterrés à Sichem, en terre de Canaan, après avoir accompagné le peuple Hébreu à travers ses quarante années d'errance dans le désert (Josué 24:32). Sichem, là où il devait, selon l'ordre de son père, retrouver ses frères lorsqu'il avait dix-sept ans. Ne les trouvant pas, il se rendra alors à Dotan, plus au Nord, où l'attend sa terrible destinée. Là où, trahi par ses frères, il sera vendu comme esclave et emmené en Egypte. 

Mais avant d'aller plus loin, il nous faut d'abord faire connaissance avec cet orphelin de mère, dont le père eut deux femmes et deux concubines. Ce sont ces dernières qui vont élever le jeune homme et son frère Benjamin. Rachel, l'épouse préférée de Jacob, meurt en accouchant de ce dernier. Les deux garçons seront élevés parmi les fils des deux servantes, Bilha et Zilpa. Leurs demi-frères s’appellent Gad, Asser, Dan et Nephtali.

Mais sous les tentes, les mauvais propos vont bon train. Léa, la dernière épouse légitime, a donné six fils à son mari, de quoi provoquer des jalousies entre femmes et demi-frères. Cette situation va encore être aggravée par le fait que Jacob ne cache pas sa préférence pour Joseph, attisant plus encore la jalousie éprouvée par ses frères. De plus, Joseph rapporte à son père les 'mauvais propos' (dibbah) qu'il glane çà et là de la bouche de ses frères, ce qui lui attire la fureur de ceux-ci. Fureur qui atteindra son apogée à Dotan et manquera de lui coûter la vie. 

La nette préférence de Jacob pour son fils Joseph est manifeste dès le début du récit. Gen. 37:2 dit : "voici la postérité de Jacob : Joseph âgé de dix-sept ans...". Ses frères n'apparaissent qu'au verset 4. La postérité de Jacob, c'est Joseph parce qu'il est le fils de celle qu'il a le plus aimé : Rachel. "Voici la postérité de Jacob : Joseph...". Bien qu'il ait eut douze fils, celui qui réalise pleinement sa postérité, c'est Joseph. Lorsque Jacob, mourant, accordera sa bénédiction ultime à ses fils, il dira de Joseph qu'il est "le prince de tous ses frères".

Joseph, de son vrai nom Yossef, veut dire à la fois "qu'il ajoute" et "qu'il enlève". "Qu'il ajoute", c'est la prière de sa mère Rachel : "que Dieu m'ajoute un fils". Ce sera Benjamin. Mais en lui ajoutant ce fils qu'elle désire, la vie va lui être enlevée puisqu'elle va mourir en couches. 

La tunique de Joseph

Gen. 37:2 dit : "èlèh toldoth yaakov yossef ben shèva  è sèrè  shanah", "voici la postérité de Jacob, Joseph âgé (ou 'fils') de dix-sept ans". Le mot "toldoth" signifie "descendants, généalogie", mais aussi "le cours de l'histoire". Ce récit est donc "l'histoire" de ce fils (ben) de dix-sept ans. Et bien que Ruben soit l'aîné de Jacob, le récit de la Genèse va principalement se centrer sur Joseph. 

Jacob ne cache pas sa préférence pour le fils de sa femme défunte. Il va lui confectionner "une tunique de plusieurs couleurs" (ce qui se dit en hébreu : kétonèt passim). A cette époque, la teinte de tissu était une opération coûteuse. Jacob a confectionné ce vêtement lui-même, de ses propres mains, mais l'octroi des teintures était onéreux. Un tel vêtement n'était porté que par des gens aisés ou des dignitaires, mais non par des bergers. Jacob a-t-il conscience qu'en privilégiant son fils, il approfondit encore le fossé entre lui et ses frères ? Lorsque plus tard, les dix fils de Jacob présenteront cette même tunique tâchée de sang à leur père, ce sera pour lui faire croire à la mort de Joseph, dévoré par une bête sauvage. Cette tunique que Jacob avait confectionnée de ses propres mains. "Reconnais si c'est la tunique de TON FILS" (Gen. 37:32). Cette expression "ton fils" manifeste l'attitude des dix à l'égard de Joseph. Il n'est plus leur frère, il n'est que le fils de leur père. Mais derrière ces mots se cache un reproche latent, "ton fils, ton 'chouchou', ton préféré, celui que tu aimes plus que nous". Paradoxalement, lorsqu'ils se retrouveront devant un Joseph habillé en égyptien et qu'ils ne peuvent reconnaître, ils avoueront : "nous sommes tous fils d'un même homme" (Gen. 42:11). Joseph ne le sait que trop bien !

Cette "tunique de plusieurs couleurs" (Ketonèt passim) a des choses à nous dire. Le mot "passim" a pour racine "passas", qui signifie "disparaître, manquer", alors que "pas" signifie "couleur".

La tunique colorée annonce déjà la disparition de Joseph et le manque que cela va produire dans la vie de Jacob. 

Mais il y a plus ! 

Après que Jacob eut offert cette tunique colorée à son fils, celui-ci va avoir un songe. Il aura la mauvaise idée de le partager à ses frères, aiguisant plus encore la haine qu'ils éprouvent maintenant à son égard. "Joseph eut un songe et il le raconta à ses frères qui le haïrent encore d'avantage" (Gen. 37:5), littéralement : "et ils ajoutèrent (vayossefo) à le détester lui".

Le mot "yassaf" signifie "ajouter, augmenter". C'est la racine du mot "Yossef" qui signifie "qu'il ajoute". "Yossef" étant le véritable nom de Joseph. C'est le nom qui est mentionné dans le texte biblique d'origine. Ce nom lui avait été donné par sa mère Rachel comme une prière afin que Dieu lui "ajoute" un autre fils. Ce sera Benjamin. Mais dans le cas présent, les frères de Joseph "ajoutèrent" à leur haine à son égard. 

En hébreu, le nom d'une personne est très important car il le définit dans son être tout entier. Le fait que ses frères ajoutèrent (V A Y O S S E F O) de la haine envers YOSSEF leur frère, montre que celle-ci touche à son nom même, c'est à dire à son être le plus profond. Ils vont projeter de le faire disparaître. Grâce à l'intervention de son frère aîné Ruben, Joseph échappe de peu à la mort mais il doit disparaître. Le passage inopiné de marchands leur inspire l'idée de le vendre comme esclave. En route pour l'Egypte, Joseph va redescendre vers le sud, vers la patrie de son père. Et lorsqu'il commence à reconnaître les paysages familiers de son enfance, c'est enchaîné qu'il est contraint de s'en éloigner à nouveau. Son père ignore tout du drame qui est en train de se jouer et de l'angoisse qui étreint le cœur de son fils bien-aimé. Les frères de Joseph ont convenu de concert de faire croire à leur père que Joseph a été déchiré par une bête féroce. Le vêtement de couleur, ce "ketonèt passim", trempé dans le sang d'un animal, en témoignera. La couleur (pas) du sang témoigne de la disparition (passas) du fils bien-aimé.

Joseph et la tunique de plusieurs couleurs

Joseph en Egypte

Joseph va être vendu à un dignitaire égyptien, Potiphar, dont le nom signifie "donné par Râ" (Râ étant le dieu-soleil). Potiphar va le prendre à son service et lui confier l'ordonnance de sa maison. Accusé à tort d'avoir voulu abuser de la femme de celui-ci, il sera jeté en prison où là encore, il va trouver grâce auprès de ses geôliers au point de pouvoir jouir d'une certaine influence à défaut de liberté. Deux hommes vont être jetés dans la prison où se trouve Joseph. L'échanson et le panetier servaient tous deux à la table de Pharaon. Joseph, qui se souvient avoir eu autrefois lui-même des songes, leur propose de leur en donner l'interprétation. Il ignore très probablement que lorsqu'il s'était approché de ses frères à Dotan, ceux-ci l'avaient ironiquement traité de "faiseur de songes" (Gen. 37:19), littéralement "baal ha halomoth" ("le maître des songes"). Joseph crut un moment que la rencontre providentielle avec des serviteurs du Pharaon allait lui permettre de sortir de prison. Mais il n'en fut rien. Tout au moins pas immédiatement. Ce n'est qu'au bout de deux ans que le chef des échansons se souvint de lui comme interprète des rêves. Le Pharaon ayant fait un songe dont on ne pouvait donner l'interprétation, l'échanson se souvint de l'Hébreu qu'il avait rencontré en prison. Joseph fut tiré immédiatement de la prison royale et apprêté pour paraître devant le maître de l'Egypte. 

Joseph a été respectivement vêtu d'un vêtement de luxe par son père, du pagne blanc des serviteurs égyptiens dans la maison de Potiphar, des haillons de prisonniers dans la prison du roi, et le voilà maintenant revêtu de vêtements de cour pour paraître devant le Pharaon d'Egypte. Le vêtement occupe une importance considérable dans la vie de Joseph. Il portera plus tard le vêtement des dignitaires, comme vice-roi d'Egypte, mais le dernier dont on le revêtira et celui dans lequel il quittera la terre des Pharaons, ce seront les bandelettes d'embaumement et le sarcophage dans lequel reposera sa dépouille. 

Les songes de Pharaon

Mais revenons au songe de Pharaon. Le texte biblique nous dit : "Au bout de deux ans, Pharaon eut un songe. Voici, il se tenait près du fleuve" (Gen. 41:1).

Pharaon va faire un songe pendant la nuit mais aucun de ses prêtres ou devins ne pourra lui en donner l'explication. Il est intéressant de noter qu'il est fait mention de "un songe" alors que le Pharaon s'est réveillé entre les deux parties, ce qui souligne l'unicité de celui-ci. Ce songe est celui des vaches grasses et des vaches maigres, suivi des épis gras et des épis maigres. Songe en deux parties annonçant une famine à venir précédée de sept années d'abondance. 

"Au bout de deux ans", littéralement : "mikèts shnataïm yamim" ("à la fin de deux années de jours"). Chouraki traduit : "au bout de deux ans de jours". L'originalité de cette expression mérite que l'on s'y attarde un peu. Jacques Colant souligne que si l'on retire le mot "shnaïm", on retrouve l'expression biblique "mikèts yamim" qui signifie "à la fin des jours", ou "à la fin des temps". Dans le judaïsme, cette expression est typiquement eschatologique. 

Selon le principe que "un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour", ces deux "jours" pourraient représenter deux millénaires. Deux millénaires qui seraient comptabilisés après la "venue" du "Mashiah ben Yossef" (qui est l'un des noms du Messie). Ainsi, le "mikèts yamim", la "fin des temps" viendrait donc après que se soient écoulés ces deux "jours", ou deux millénaires, et nous croyons que nous sommes effectivement arrivés à la fin d'une ère qui nous introduira dans une ère nouvelle, celle du règne du Seigneur Jésus, le Royaume de Dieu sur Terre. 

Il est également intéressant de noter que le mot "qèts" (de mikèts) signifie également la pointe d'une aiguille, le point culminant. "Mikèts", c'est le point culminant d'une période de temps. L'instant T. Ce qu'il ne faut pas rater. 

"Il se rendormit et eut un second songe" (Gen. 41:5). 

Les deux songes que fait Pharaon ont la même signification. Il présente les mêmes faits qui doivent se produire mais il y a cependant un "temps" entre ces deux songes puisque Pharaon s'est réveillé, puis s'est rendormi avant de faire le second songe. Ce détail a son importance. Ce qui peut signifier que ce qui est annoncé à Pharaon pourrait se reproduire dans le temps, à une autre époque, ainsi qu'il est écrit : "vèhal hichanot", "au sujet de ce qui s'est répété" (Gen. 41:32). 

De plus, ce "temps" est un "temps de réveil", c'est à dire un temps de prise de conscience. Il est temps de prendre conscience de ce qui se passe. Le songe est un avertissement, la réalisation est proche. Et même si elle ne l'est pas, comme le dit le prophète Habacuc : "si elle tarde, attends-là car elle viendra, elle viendra sûrement" (Hab.2:3). 

"Pharaon dit alors à Joseph : dans mon songe, voici je me tenais sur le bord du fleuve" (Gen. 41:17).

Lorsque le Pharaon fait lui-même le récit de son songe à Joseph, il mentionne un détail qui n'apparaît pas au verset 1 de ce même chapitre. Il se tenait au bord du fleuve. Le mot "bord", en hébreu, se dit "saphah", ce qui signifie "rivage, rive", mais aussi "lèvre" ou "langage", comme pour signifier que le songe est également un langage par lequel Dieu s'adresse à Pharaon pour l'avertir des événements qui vont se produire. Plus tard, Moïse, à son tour, rencontrera un autre Pharaon au bord de ce même fleuve pour l'avertir des sanctions qu'il encourt s'il persiste à refuser de laisser partir le peuple. Moïse, à qui Dieu confie cette tâche, répond qu'il n'a pas la parole facile (littéralement "les lèvres - sephataïm" : "saphah" au pluriel). La parole de Dieu est délivrée "sur la lèvre" (saphah) du fleuve. En gardant à l'esprit que, pour les Égyptiens, le Nil est une divinité, une Parole de Dieu exprimée en songe au Pharaon sur le bord du Nil est plus qu'évocateur.

Joseph et la tunique de plusieurs couleurs

Sept épis gras et sept épis maigres.

"Il se rendormit et il eut un second songe. Voici, sept épis gras et beaux montèrent sur une même tige. Et sept épis maigres et brûlés par le vent d'orient poussèrent après eux" (Gen. 41:5, 6).

Le songe du Pharaon lui fait entrevoir, dans la seconde partie, sept épis gras et sept épis maigres. Les recherches effectuées sur les céréales consommées dans l'Egypte Antique ont montré que celles-ci étaient de trois types différents, dont les cellules reproductrices contenaient sept chromosomes, ou un multiple de sept (14, 28, 42). Le pharaon ne pouvait avoir connaissance de ce "détail", par contre, il est pour nous évocateur du message qui lui était adressé. Dieu est Créateur et maître absolu de Sa création. Lorsque le songe montre sept épis, ce n'est pas simplement l'évocation du chiffre sept de la perfection qui attire notre attention, mais également le fait qu'il touche du doigt la substance génétique de cette céréale, indispensable à la survie de l'Egypte. 

"Ce que Pharaon a rêvé est une seule chose... Dieu fait connaître à Pharaon ce qu'il va faire... c'est un seul songe... comme je viens de le dire à Pharaon, Dieu a fait connaître à Pharaon ce qu'il va faire... la chose est arrêtée devant Dieu et Dieu se hâtera de l'exécuter" (Gen. 41:25, 26, 28, 32). 

Joseph, tiré de sa prison après de longues années d'emprisonnement, est reçu à la cour du Pharaon pour interpréter son songe. Sa réponse inspirera peut-être Daniel lorsque celui-ci aura à interpréter le songe du roi de Babylone (Daniel 2:28). A deux reprises, Joseph va avertir le Pharaon que ce songe lui est donné par Elohim, le Dieu des Hébreux. Mais par ce nom Elohim, Dieu se manifeste comme le Dieu Créateur ("Bereshit bara Elohim... Au Commencement, Dieu créa..."). Il est le Dieu qui est Maître de sa création et qui en dispose comme il l'entend. Il est également le Dieu qui accomplit ce qu'il promet. Ainsi qu'il est écrit : "car il dit et la chose arrive, il ordonne et elle existe" (Psaume 33:9). Mais il se manifeste également comme un Dieu qui donne l'abondance, car sept années abondantes précéderont les sept années de disette. A Pharaon de prendre ses dispositions pour que la famine puisse être évitée lorsque viendra la pénurie (Gen. 41:33 à 37).

Tsaphnath Paenéach 

Joseph est donc nommé à la plus haute fonction, après Pharaon lui-même, avec toute l'autorité qui incombe à cette fonction. Il va également recevoir un nouveau nom : Tsaphnath Paenéach", nom qui a la particularité de posséder une signification à la fois en hébreu et dans la langue des Égyptiens. En effet, il signifie en hébreu : "révélateur des secrets". Mais pour les Égyptiens, son nom signifie "ce vivant est l'approvisionnement du pays". Selon l'égyptologue Alan Gardiner, ce nom signifierait : "Dieu a parlé". Un nom riche de sens pluriel, car tous apportent une compréhension complémentaire du nom de ce nouveau haut dignitaire égyptien devant qui vont devoir bientôt comparaître les fils de Jacob. Les frères de Joseph l'avaient surnommé "le maître des rêves", ils vont bientôt devoir se présenter devant le maître de l'Egypte après Pharaon. 

Joseph, qui est désormais vice-roi d'Egypte, épouse Asnath, la fille d'un prêtre égyptien. Mariage arrangé qui ne relève probablement en rien du choix personnel de Joseph. Le père d'Asnath se nomme Potiphéra, un nom presque identique à celui du premier maître que servit Joseph, alors qu'il n'était encore qu'un jeune esclave fraîchement arrivé en Egypte. Asnath donnera à son mari deux fils : Manassé et Ephraïm. Joseph a trente ans. Il en avait dix-sept lorsqu'il fut vendu par ses frères aux marchands ismaélites. Sept années d'abondance vont se succéder pendant lesquelles vont naître les deux fils d'Asnath et de Tsaphnath Panéach. 

La huitième année, la récolte fut très mauvaise. La deuxième partie du songe de Pharaon était en train de s'accomplir. En Canaan, Jacob et ses onze fils ignorent tout du songe de Pharaon et de cette pénurie qui avait été annoncée quelques huit années plus tôt. Joseph a trente-sept ou trente huit ans. Il n'est plus le jeune adolescent hébreu mais un homme mûr, vêtu richement, portant perruque et ayant les yeux fardés comme tous les égyptiens. Cela fait vingt ans que ses frères ne l'ont plus vu. Ils ignorent même si celui-ci est encore en vie. Le cœur de Jacob, leur père, est devenu froid depuis que ses fils lui ont montré la tunique ayant appartenu à son fils bien-aimé prétendument dévoré par une bête féroce. Cette famine va bientôt rassembler cette famille si longtemps désunie. 

Après sept années d'abondance pendant lesquelles la terre d'Egypte a produit du blé plus qu'elle ne l'avait jamais fait auparavant, vinrent sept autres années de pauvres récoltes. Le pain mangé la veille ne peut rassasier le lendemain. Joseph, en sage gestionnaire, a fait engranger le blé dans des entrepôts bien gardés. Le blé engrangé pendant les sept années d'abondance devait nourrir l'Egypte et les peuples des régions environnantes. Le songe de Pharaon entrait dans sa seconde partie.

Une pauvre récolte signifie moins de blé pour le pain, mais aussi moins de fourrage pour le bétail. Pharaon avait vu sept vaches grasses suivies de sept vaches maigres. Ces dernières allaient engloutir les vaches grasses sans que cela ne leur redonne meilleur aspect. La sage gestion de Joseph allait prémunir l'Egypte de la famine mais le fourrage pour le bétail devait être rationné. Ces sept années allaient également provoquer des changements dans la vie des Égyptiens qui seront amenés à vendre leurs terres au Pharaon en échange de blé. En Canaan, Jacob décide d'envoyer ses fils en Egypte pour y acheter du blé mais Benjamin, le plus jeune, restera avec lui

"Les fils d'Israël vinrent pour acheter du blé... car la famine était dans le pays de Canaan. Joseph commandait dans le pays, c'est lui qui vendait du blé à tout le peuple du pays. Les frères de Joseph vinrent et se prosternèrent devant lui la face contre terre. Joseph vit se frères et les reconnut mais il feignit d'être un étranger pour eux..." (Gen. 42:5, 6, 7). Littéralement : "wayakirêm wayitnaker". Ces deux mots sont issus de la même racine : "nakar" qui signifie : "reconnaître", mais aussi "agir en étranger" ou "se déguiser". Lorsque les frères de Joseph montrèrent à leur père la tunique multicolore trempée dans le sang d'un animal pour faire croire à Jacob que son fils avait été dévoré par une bête sauvage, ils lui dirent : "reconnais (nakar) si c'est la tunique de ton fils...". Les fils de Jacob vont devenir les trompeurs trompés. Face à ce haut dignitaire égyptien, les dix frères ne peuvent reconnaître en lui celui qui portait autrefois cette tunique de plusieurs couleurs devenue l'objet de leur infâme simulacre.

Les frères de Joseph ont devant eux Tsaphnath Paenéach, dignitaire égyptien portant perruque et ayant les yeux fardés, comme il était de coutume en Egypte. Il leur est totalement impossible de le reconnaître, mais lui les reconnaît immédiatement. Alors qu'ils se prosternent devant lui, le souvenir d'un songe qu'il avait fait autrefois lui revient à la mémoire (Gen. 37:6, 7), celui des gerbes de ses frères se prosternant devant la sienne. Mais Joseph remarque immédiatement une chose, l'absence de Benjamin. Il ne peut bien évidemment pas leur demander de ses nouvelles sans se découvrir. Il va donc leur poser des questions, feignant de tester leur honnêteté, allant même jusqu'à les accuser d'être des espions. Il est dit : "Joseph feignit d'être un étranger pour eux, il leur parla durement...". Bien plus tard, le grand législateur que sera Moïse écrira pour le peuple Hébreu : "vous n'aurez point égard (nakar) à l'apparence des personnes dans vos jugements..." (Deut. 1:17). Peut-être avait-il alors en tête ce récit. Celui d'un épisode de la vie de ce Joseph dont il transportait les ossements pour qu'ils soient enterrés en terre de Canaan.

Comme je l'ai dit plus haut, le mot "passim" a pour racine le mot "passas", qui veut dire "manquer". Effectivement, Benjamin manque à l'appel. S'il est une personne parmi ses frères que Joseph aurait voulu voir, c'est Benjamin, son frère de sang, puisque tous deux sont issus de la même mère. La tunique de plusieurs couleurs est en quelque sorte le "fil rouge" de ce récit. 

Tsaphnath Paenéach se tient devant les dix fils de Jacob, feignant de les soupçonner d'être des espions "venus observer les lieux faibles du pays" (Gen. 42:9,12). "Les lieux faibles du pays", littéralement : "ervat ha aretz" (la nudité du pays). Le mot "ervah" a toujours le sens de nudité, parfois avec l'idée d'indécence, voire d'impudicité. On peut donc en conclure que ces Hébreux sont soupçonnés de venir espionner le pays afin de préparer une future invasion, une "intrusion violente" par ses lieux faibles. 

D'étranges  retrouvailles 

Pour mieux comprendre ce qui aurait pu être la réaction légitime d'un dignitaire égyptien soucieux de la sécurité de son pays, il nous faut nous intéresser au contexte historique de l'époque. Il se peut que Joseph ait vécu en Egypte alors que la dynastie des Hyksos était au pouvoir. Ceux-ci n'étaient pas à proprement parler des Égyptiens, mais des peuples en partie sémites et originaires d'Asie. Le fait que ces peuples soient d'origine sémite explique que quelqu'un comme Joseph, qui n'était pas égyptien, ait pu accéder à un poste d'autorité aussi élevé que le sien. Mais la sécurité des frontières restait un souci constant. Le risque d'une invasion étrangère planait en permanence sur ce pays prospère qui, de plus, possédait de riches réserves de blé. La suspicion de Tsaphnath Paenéach était justifiable. Ses charges étaient à la mesure de ses pouvoirs. Il est fort possible que la sécurité du territoire faisait partie de ses attributions. Joseph va donc se servir du personnage de Tsaphnath Paenéach pour intimider ses frères et les amener à faire venir Benjamin. De retour en Canaan, les frères de Joseph réussissent à convaincre Jacob de laisser le jeune homme les accompagner en Egypte. Lorsque ceux-ci paraissent à nouveau devant Tsaphnath Paenéach, Joseph est ému jusque dans ses entrailles en voyant son jeune frère. 

"Ses entrailles (racham) étaient émues pour son frère Benjamin et il eut envie de pleurer, il entra précipitamment dans une chambre (heder) et il y pleura" (Gen. 43:30).

Le mot "racham", en hébreu, signifie "la compassion, la miséricorde", mais aussi "la matrice, le sein maternel". En hébreu, le mot "racham" s'écrit avec les lettres resh het mêm, alors que le nom de leur mère, Rachel, s'écrit resh, het, lamed. La similitude de ces deux mots laisse supposer, de par la compassion matricielle de Joseph pour son frère Benjamin, ce lien indéfectible de deux orphelins de mère liés dans le deuil. On y retrouve encore le "passim" (le manque, l'absence) d'une mère. 

Joseph, qui éprouve soudain le besoin de pleurer sous le coup de l'émotion, se précipite dans une chambre annexe de la grande salle où il reçoit ses frères pour épancher ses larmes. Le mot "chambre" se dit "heder". Un mot qui peut également signifier "entrailles, partie interne du corps". Dans ce cas, le mot "racham" pourrait se traduire également par "la chambre du ventre". Joseph, ému jusque dans "la chambre de son ventre", se précipite dans une chambre de sa maison pour pleurer. Rappelons que "la maison" symbolise également l'être humain en tant que personne mais aussi en tant que famille. Il y a là toute une symbolique riche de sens car c'est dans sa propre maison que Joseph reçoit, cette fois-ci, ses frères.

Joseph et la tunique de plusieurs couleurs

Joseph se fait connaître à ses frères

Mais le temps n'est pas encore venu pour Joseph de se faire connaître à ses frères. Ceux-ci vont à nouveau repartir en Canaan. Joseph fait mettre sa coupe personnelle dans le sac de Benjamin.

"Tu mettras aussi ma coupe", dit Joseph à son serviteur, "la coupe d'argent, à l'entrée du sac du plus jeune..." (Gen. 44:2). Littéralement : "et ma coupe, la coupe en argent, tu la placeras à la bouche de la besace". Cette coupe est, selon le serviteur de Tsaphnath Paenéach, la coupe dont se sert son maître pour deviner (littéralement "narash yinarash). Le mot "narash" signifie "serpent", mais également "pratiquer la divination". A ce propos, il est intéressant de noter que, dans la symbolique égyptienne, le serpent occupe une place importante. La coiffe des Pharaons comprenait, sur la partie frontale, l’effigie d'un cobra, mais ils pratiquaient également la divination par l'observation de ces reptiles. Le message qui est adressé implicitement aux frères de Joseph est que, sur la terre d'Egypte, tous leurs faits et gestes sont observés et connus par celui à qui ils se sont adressés. Rien ne peut échapper à celui qui a tous pouvoirs. 

Lorsque les frères de Joseph furent de retour, contraints et forcés, à la maison de Tsaphnath Paenéach, celui-ci feignit de se mettre en colère, donnant ainsi l'illusion de la sincérité de ses propos. Il arrive qu'une personne coupable d'un acte répréhensible cherche à se disculper en feignant d'être offensée par les soupçons que l'on porte sur elle, une colère feinte dissimulant ses véritables motifs. Tsaphnath Paenéach est, comme son nom l'indique, "l'approvisionneur du pays", celui qui a le pouvoir de leur donner le blé dont ils ont besoin. Mais dans sa signification hébraïque, ce même nom signifie "celui qui révèle les secrets". Dans ce cas précis, le "secret" serait le vol de la coupe. Tsaphnath Paenéach leur fait ainsi comprendre qu'il a le pouvoir de deviner "les choses cachées", comme par exemple, le sort qu'ils ont fait subir à l'un de leur frère. Le stratagème de Joseph est de faire craindre à ses frères que Tsaphnath Paenéach ne découvre ce qu'ils ont fait à leur frère. En les accusant d'avoir voulu lui dérober la coupe dont il se sert pour la divination, il les soupçonne en même temps d'avoir voulu l'empêcher d'y voir quelque chose qu'ils chercheraient à lui dissimuler. Auraient-ils craint qu'il ne découvre quelque chose qu'ils ne voulaient pas qu'il sache ? Juda va alors prendre la parole et intercéder pour que Benjamin, dans le sac duquel a été trouvée la coupe, puisse retourner auprès de son vieux père. Il se propose pour cela de prendre sa place comme esclave de Tsaphnath Paenéach. N'y tenant plus, Joseph va se faire enfin connaître à ses frères. La réconciliation a lieu au sein de la fratrie enfin réunie.

La nouvelle se répand rapidement au palais et Pharaon ordonne que la famille de Joseph vienne s'installer en Egypte. Jacob va y vivre encore dix-sept années avant de s’éteindre, non pas sans avoir accordé sa bénédiction tout d'abord à ses petit-fils, et ensuite à ses fils. Joseph sera ainsi appelé "le prince de ses frères".

Les yeux de Jacob se sont fermés à jamais. Son corps fut embaumé par les médecins égyptiens et mis dans un sarcophage. Afin de respecter les dernières volontés de son père, Joseph ramena sa dépouille en terre de Canaan et le fit enterrer dans la caverne de Macpéla, là où reposaient déjà Abraham et Sara. A l'âge de cent dix ans, Joseph mourut à son tour, quatre-vingt treize ans après être arrivé en Egypte. Il fut embaumé et mis dans un sarcophage. Avant de mourir, il fit promettre à ses frères qu'ils ramèneraient ses ossements en Canaan, ce qui fut fait lorsque les Hébreux sortirent d'Egypte après quatre cents ans d'esclavage. Josué, successeur de Moïse, le fit enterrer à Sichem, dans la portion du champ que les fils d'Israël avaient acheté aux fils du pays.

"Vous aviez projeté de me faire du mal, Dieu l'a changé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd'hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux" (Gen. 50:20). L'histoire de Joseph est celle d'un homme que Dieu a choisi pour un but et une tâche particulière. Sa vie a été son oeuvre, ou plutôt l'oeuvre de Dieu pour sauver le peuple hébreu de la famine. Malheureusement, la suite devait être moins heureuse. "Joseph mourut ainsi que tous ses frères et toute cette génération-là" et  "il s'éleva sur l'Egypte, un nouveau roi qui ne connaissait pas Joseph" (Ex.1:6, 8). Une longue période d'esclavage allait commencer pour le peuple hébreu avant que celui-ci ne puisse quitter la terre de "Mitsraïm" (mot qui signifie "un double enfermement"). Quatre cents ans plus tard, le peuple hébreu put enfin sortir de ce pays qui avait autrefois accueilli Jacob et sa famille avec bienveillance. Sur l'un des chariots qui transportaient leurs bagages, il y avait un sarcophage. Celui-ci contenait la dépouille momifiée de Joseph, fils de Jacob. 

JiDé

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