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Esther et le destin caché

Esther et le destin caché

Si le livre d'Esther a été rédigé quelques quatre ou cinq siècles avant notre ère, il n'en reste pas moins un livre d'une brûlante actualité. Ce livre se termine par ces mots, concernant le cousin d'Esther, Mardokaï (Esth. 2:7, 15) : "Il rechercha le bien de son peuple et parla pour le bonheur de toute sa race" (Est. 10:3). 

Chronologiquementce dernier verset du livre d'Esther est également le dernier de ce que l'on appelle communément l'Ancien Testament à avoir été rédigé. Dans nos Bibles, cet "Ancien Testament" se termine par le livre de Malachie, mais l'ordre des livres du Canon du Tanach (le texte original hébraïque de notre Ancien Testament) est quelque peu différent. Il s'achève, quant à lui, par le deuxième livre des Chroniques. Plus exactement, par ces deux versets : 

"La première année de Cyrus, roi de Perse, afin que s'accomplît la parole de l’Éternel prononcée par la bouche de Jérémie, l’Éternel réveilla l'esprit de Cyrus, roi de Perse qui fit faire de vive voix et par écrit cette publication dans tout son royaume : Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : l’Éternel, le Dieu des cieux, m'a donné tous les royaumes de la terre et Il m'a commandé de lui bâtir une maison à Jérusalem en Juda. Qui d'entre vous est de son peuple ? Que l’Éternel son Dieu soit avec lui et qu'il monte" (2 Chroniques 36:22, 23). La question du roi Cyrus, bien qu'il soit d'une époque ultérieure à celle d'Esther, la concerne pourtant indirectement : "Qui d'entre vous est de son peuple ?"  

La jeune Hadassa (en hébreu "myrte"), sur le conseil de son cousin, changea son nom hébreu en celui de "Esther".  Mais ce nom a une double signification car si, en langue persane, il signifie "étoile", en hébreu il veut dire "caché". Hadassa entre alors en clandestinité pour qu'Esther puisse pénétrer dans les sphères les plus élevées du pouvoir.

L'histoire d'Hadassa / Esther commence à Suse (Shushan en persan), capitale d'un immense empire sur lequel règne, depuis trois ans, le roi Xerxès / Assuréus (de son nom persan : Arashvérosh). Cet immense empire médo-perse s'étend de l'Inde à l'Ethiopie. Ce jour là, le roi a convié les grands de son empire à un magnifique festin. Échauffé par le vin, Xerxès / Assuréus exige soudain la présence de son épouse Vashti à sa fête. La reine refuse de venir s'exhiber devant ces convives avinés pour satisfaire la vanité orgueilleuse de son époux. Le roi de Perse, conseillé par ses grands qui considèrent ce refus comme un affront personnel, décide de répudier la reine sur le champ. On chercha alors une nouvelle épouse pour le roi et une reine pour l'empire. 

La jeune Hadassa était une juive benjamite de la famille de Kiss, d'où était issu le roi Saül en son temps. Son cousin Mardochée avait fait partie des déportés qui avaient été emmenés de Jérusalem avec Jéconia, roi de Juda, par le roi Nabuchodonosor dans ce qui était alors la Babylonie, et il élevait seul Hadassah. Esdras nous dit que "Nabuchodonosor... détruisit cette maison (le Temple de Jérusalem) et emmena le peuple captif à Babylone" (Esdras 5 : 12). Les déportés avaient été disséminés dans l'immense empire babylonien dont Suse n'était pas encore la capitale. Mardochée et sa jeune cousine s'étaient adaptés à leur nouvelle vie. Ils avaient assisté au changement de pouvoir qui s'était opéré. Cette ville de province où ils s'étaient installés devint la nouvelle capitale de cet empire qui venait de changer de main.  Peu de temps après le festin qui eut lieu au palais, la rumeur commença à se répandre que la reine avait été destituée. Mais une autre rumeur, plus inquiétante, commençait elle aussi à s'étendre sur tout l'empire : la disparition soudaine d'un grand nombre de jeunes filles. Celles-ci étaient, paraît-il, emmenées au palais. On cherchait une épouse pour le roi. Hadassa va se retrouver parmi les jeunes filles "invitées de force" au palais, aux bons soins des eunuques. Il nous est dit que Esther fut présentée au roi au mois de Thébèth (ce qui correspond, dans notre calendrier, à Décembre / Janvier). Or, la préparation des futures concubines du roi, toujours selon ce que nous dit le texte, durait douze mois. On peut donc en conclure que l'enlèvement d'Esther eut lieu à cette même période, l'année précédente. La maison de Mardochée devait être bien froide cet hiver là. L'absence d'Hadassa, qu'il avait élevée à la place de ses parents disparus, devait peser bien lourdement sur son cœur. Mardochée connaissait le sort des concubines du roi. Une fois "connues", elles allaient dans "la maison des femmes", là où s'entassaient, l'une après l'autre, celles qui n'avaient pu satisfaire ses appétits que le temps d'une nuit. Vashti avait refusé de se présenter devant le roi alors qu'elle y était invitée. Plus tard, Hadassa, devenue Esther reine de Perse, se présentera, de sa propre initiative et au péril de sa vie, devant ce même roi dont elle était devenue l'épouse.  

Mardochée était un benjamite déporté du royaume de Juda (le royaume du Sud étant formé, après le schisme, des deux tribus de Juda et de Benjamin). Son nom a une consonance qui ne rappelle pas ses origines car Mardokaï (son vrai nom) est associé au dieu babylonien  Mardouk. On peut donc supposer que, alors qu'ils vivaient dans ce qui était encore l'empire babylonien, le cousin d'Hadassah s'était déjà attribué un nom plus "local". Quelques vingt-cinq siècles plus tard, d'autres juifs, disséminés eux aussi dans un immense empire gouverné par un tsar, se donneront des noms tels que Vladimir ou Ivan. Selon ce que lui avait recommandé Mardochée, Esther, une fois au palais, "ne fit connaître ni son peuple, ni sa naissance" (Esther 2:10, 20). Si Hadassa avait vécu à l'époque du rois Cyrus, elle n'aurait pas été tenue de respecter la consigne de son cousin. A la question "Qui est de son peuple ?", Hadassa aurait pu répondre au roi Cyrus comme elle le fit à Xerxès / Assuréus : "Sauve mon peuple, voilà mon désir" (Est.7:3).  

Mardochée vient de faire déjouer un complot contre le roi de Perse. Après que les comploteurs aient été pendus, le compte-rendu en est fait dans le livre des chroniques en présence même du roi. Pourtant, le roi, qui a échappé à un projet d'assassinat, ne manifeste à l'égard de Mardochée aucun geste de reconnaissance. Qui plus est, c'est un certain Haman, Amalécite, qui vient au pouvoir dans le cercle rapproché du monarque. Un Amalécite, ennemi juré du peuple hébreu. Un descendant de ce roi que Saül avait épargné. On peut comprendre que Mardochée refuse obstinément de se prosterner devant lui. Lorsque Haman apprit de quel peuple était Mardochée, sa colère n'en fut que plus vive. Ainsi, ce Mardochée était de ce peuple qui avait exterminé ses aïeux. Il en conçut une telle haine qu'il "voulut détruire le peuple de Mardochée, tous les juifs qui se trouvaient dans le royaume" (Est. 3:6). Plus de deux mille quatre cents ans plus tard, un autre "fils d'Haman" allait mettre ce même projet à exécution. Projet de destruction qui coûta la vie à plus de six millions de Juifs. Le mot qui est utilisé ici pour parler de "détruire" le peuple de Mardochée est bien plus fort que celui utilisé plus haut. "Chamad" signifie exterminer, détruire, faire disparaître. Il en est question plus en détail dans un autre article sur la shoah

Mardochée et Hadassa étaient donc de la famille de Kiss, de qui descendait également le roi Saül. Celui-ci, lorsqu'il régnait autrefois sur le royaume d'Israël, avait épargné la vie d'Agag, roi  d'Amalek, désobéissant ainsi à l'ordre de l’Éternel qui était de ne laisser vivant aucun Amalécite (1 Samuel 15:1 à 11). Un descendant d'Agag, Haman, fut promu à un poste élevé du pouvoir  à la cour du roi pour le plus grand malheur du peuple juif. Une rancune vieille de plusieurs générations allait bientôt mettre en péril les vies de Mardochée et de sa cousine, ainsi que de tous les juifs vivant dans l'immense empire perse. Une sorte de "pogrom" avant la lettre allait bientôt se mettre en place. Mais l'enlèvement d'Esther (qui ne portera désormais plus que ce seul prénom) va contribuer au salut de tout son peuple. Par cette situation apparemment malencontreuse, le plan de salut de Dieu pour le peuple juif (qui ne se doute pas encore de la menace qui va bientôt peser sur lui) est en train, lui aussi, de se mettre en place. Bien involontairement, Mardochée, fils de Kiss, va être un instrument dans la main de Dieu pour achever ce que son lointain parent Saül avait négligé de faire. Le descendant d'Agag, roi d'Amalek, va périr comme auraient dû le faire tous les Amalécites. La folie destructrice d'Haman l'avait conduit à vouloir détruire le peuple juif. Elle le conduira à sa propre fin. 

Nous avons vu plus haut que "Nabuchodonosor... détruisit cette maison et emmena le peuple captif..."Il est intéressant de noter que, en hébreu, le mot "détruisit" a la même racine que le nom d'Esther (avec les lettres sameh, tav et resh). Étonnamment, ce verbe, en araméen, a une double signification. Il  peut également se traduire par "cacher, dissimuler". C'est ainsi que le livre de Daniel nous dit que Dieu "révèle ce qui est profond et caché (cethar)" (Daniel 2:22). Nous verrons plus loin comment cela s'applique à l'histoire d'Esther. Ainsi, même si le nom de Dieu n'est pas mentionné dans le livre d'Esther, son absence est tellement discrète qu'on s'en aperçoit à peine. Dans le livre du Deutéronome, Dieu dira : "Et moi, je cacherai ma face... (anoki haster astir)" (Deut. 31 :18). A une lettre près, on pourrait le lire ainsi : "Et moi, je cacherai Esther". Dans le livre d'Esther, Dieu cache sa face mais il cache également la véritable identité d'Esther. Haman l'Amalécite, quant à lui, cherchera bientôt à détruire ce peuple contre qui il garde une haine féroce, ce peuple "autrefois emmené captif" par le roi de Babylone.

"L'esprit d'Amalek" agit encore aujourd'hui. Il est à l'origine de toutes les formes d'antisémitisme car, selon les époques, il prend des formes diverses et s'adapte à chaque fois à son nouvel environnement. Ainsi, Moïse prophétisa en disant : "il y aura guerre de l’Éternel contre Amalek de génération en génération" (Exode 17:16). Chose étonnante, il écrit plus haut : "l’Éternel dit à Moïse : écris cela dans le livre pour que le souvenir s'en conserve... j’effacerai la mémoire d'Amalek de dessous les cieux" (Exode 17:14). Comment peut-il y avoir "guerre de l’Éternel contre Amalek de génération en génération" alors que Dieu promet "d’effacer la mémoire de ce peuple" ? La réponse est : à cause d'Haman ! Le Livre d'Esther, que l'on appelle "Meguillah d'Esther", utilise une expression particulière pour parler d'Haman. Cette expression, "Tsorer kol ha yehoudim" (Esth. 3:10 - 8:1 - 9:10, 24), ne se retrouve nulle part ailleurs dans la Bible. Elle signifie : "ennemi de tous les juifs", c'est à dire de TOUS les juifs, de tous les temps, de toutes les époques et de tous les pays. Lorsqu'il est parlé de "Haman fils de Hammedatha, l'Agaguite, ennemi des juifs", on peut se demander qui, de Haman ou de Hammedatha son père, est ennemi des juifs. La réponse est : "les deux". La haine qu'éprouve Haman pour le peuple juif lui a été transmise par son père. Et celui-ci la tient du sien qui... et l'on peut remonter ainsi jusqu'à l'époque du roi Saül qui épargna la vie du roi des Amalécites.

Le mot "Amalécite" signifierait : "peuple qui lape". Le livre des Juges nous dit que Gédéon, devant affronter le peuple d'Amalek, sur le conseil de Dieu, choisit les guerriers qui l'accompagneraient au combat selon qu'ils boiraient l'eau de la rivière avec leur main ou en la lapant (Juges 7:4 à 7). Les Sages d'Israël ont dit : "de tous temps, à toutes les époques, il nous faudra discerner QUI est Haman. Quel est l'ennemi qui veut nous détruire ?". Les pogroms des Cosaques, l'inquisition espagnole, les Bolchéviques, les nazis... derrière tout cela, c'est toujours "l'esprit d'Haman" qui est à l'oeuvre. Le nom d'Haman est un mot persan d'origine sanskrite qui désigne la planète Mercure, et le nom du père d'Haman, Hammedatha, veut dire "donné par la lune". Or, Mercure porte également ailleurs le nom de Vulcain, le dieu qui fabrique les armes. Aujourd'hui encore, "Haman" porte les armes de son père, "donné par la lune". Le croissant de lune a bien souvent représenté une menace pour ce petit peuple, mais l'étoile de David a toujours connu la victoire parce que la lumière triomphe toujours des ténèbres. 

J'aimerais m'arrêter quelques instants sur le mot "tsorer", de l'expression "tsorer ha yehoudim" ("l'ennemi de tous les juifs"). Il signifie : "être à l'étroit, enfermer, persécuter, opprimer". Moshè Kaz dit que ce mot "renvoie directement à la notion d'étroitesse de la liberté de mouvement puis de la liberté de penser. Comme tout ghetto qui limite la liberté de mouvement et enserre les juifs dans un espace restreint, comme une étape de leur longue agonie et de leur étouffement". Pendant les quatre siècles de son esclavage en Egypte, le peuple hébreu s'est trouvé exploité dans un pays dont la signification du nom égyptien, "Mitsraïm", signifie "double enfermement". Les notions d'étroitesse et de double enfermement rappellent les conditions épouvantables dans lesquelles les juifs ont été parqués dans les trains qui les conduisaient à une mort certaine, selon qu'il est écrit : "pour qu'on détruisît, qu'on tuât et qu'on fit périr tous les juifs jeunes et vieux, petits enfants et femmes, en un seul jour, le treizième du douzième mois qui est le mois d'Adar, et pour que leurs biens fussent livrés au pillage" (Est. 3:13). Ainsi Haman," l'ennemi de tous les juifs", continuait-il à agir pour sa destruction. Mais ce que Haman ignorait, c'est que la reine de Perse était juive, et que le nom qui lui avait été donné à sa naissance était "Hadassa" (la myrte). Or, en Israël, cette plante est réputée pour être particulièrement résistante, à tel point qu'elle est devenue un symbole de l'indestructibilité d'Israël. La myrte est également l'un des éléments constitutifs de la Soukkah, cette tente de branchages sous laquelle les juifs se réunissent en famille pour se rappeler leurs pérégrinations dans le désert pendant quarante ans. 

 

Avant de poursuivre le cours du récit, il nous faut tout d'abord nous arrêter sur son déroulement dans le temps. Esther 1:3 nous dit que les événements relatés au début du récit se déroulent dans la troisième année du règne d'Assuréus / Xerxès. Est. 2:16 nous dit que "Esther fut conduite auprès du roi Assuréus / Xerxès le dixième mois qui est le mois de Tebeth, la septième année de son règne". Quatre années se sont donc écoulées depuis que la reine Vashti a été répudiée. Le couronnement d’Esther comme reine s'est donc produit quatre ans plus tard (2:17). Les expressions "dans ce même temps" (2:21) et "après ces choses" (3:1) nous laissent supposer que nous sommes toujours dans le cours de cette septième année durant laquelle Haman eut l'intention de détruire le peuple de Mardochée (3:6). Mais le verset suivant (3:7) introduit une nouvelle date : "Au premier mois qui est le mois de Nissan, la douzième année du roi Assuréus / Xerxès". Cinq années se sont donc écoulées depuis que Haman a médité la destruction du peuple de Mardochée sans que ce projet ne l'ai quitté le moins du monde. En ce premier jour du premier mois de l'année juive (le 1 Nissan), le temps est venu pour lui de mettre enfin son projet à exécution. "Les secrétaires du rois furent appelés le treizième jour du premier mois" pour que soit rédigé l'ordre de destruction du peuple juif (Est. 3:12). Cette date n'est pas anodine car elle précède le quatorzième jour du mois de Nissan qui est le Jour de la Pâque, Pessah. C'est donc ce Jour de la Pâque, jour qui célèbre la délivrance du peuple juif hors d'Egypte, que "les lettres furent envoyées par les courriers dans toutes les provinces du roi pour qu'on détruise, qu'on tue et qu'on fasse périr tous les juifs..." (Est. 3:13). On pourrait penser que Haman envoyait ainsi un message à ses ennemis jurés pour leur dire : "Vous avez échappé à l'Egypte mais, à moi, vous n'échapperez pas". Lorsque la nouvelle se répandit dans la capitale, "toute la ville fut dans la consternation", ce qui laisse supposer que le peuple juif était relativement apprécié par la population et contredit les accusations dont Haman se servit pour obtenir l'accord du roi.

Mardochée apprend la terrible nouvelle à sa cousine qui, enfermée dans le palais, n'a eu aucune connaissance des événements qui se préparent. Pour Mardochée, seule l'intervention d'Esther, en tant que reine, peut sauver leur peuple. Or Esther, qui est déjà l'épouse du roi depuis cinq années maintenant, ne pense plus pouvoir prétendre obtenir "grâces et faveurs devant lui plus que les autres jeunes filles" (2:17), mais en cela elle se trompe (Esth. 5:2). Elle ne peut paraître devant le roi sans y avoir été invitée et sans que cela puisse lui coûter la vie. Mais Mardochée a cette parole qui est peut-être l'une des plus connue du livre d'Esther : "N'est-ce pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté ?" 

Mais quel temps ? La rumeur du danger encouru par le peuple de Mardochée s'est probablement rapidement répandue dans la capitale. Nous sommes donc tout au plus quelques jours après la Pâque. "N'est-ce pas pour un temps comme celui-ci ?" Pour ce temps particulier pendant lequel le peuple juif célèbre sa délivrance et sa sortie d'Egypte. Pour bien comprendre toute la dimension de ce livre et sa profondeur, il faut y voir en parallèle l'aspect à la fois historique et prophétique du récit. Cette double dimension décrit à la fois le sort du peuple juif vivant dans l'empire Perse (le troisième empire dont parle le prophète Daniel dans son interprétation du rêve du roi Nabuchodonosor) mais aussi de tous les temps et de toutes les époques. L’expression "pour un temps comme celui-ci" s'applique tout aussi bien à l'époque d'Esther qu'à la nôtre. 

Lorsque Haman va présenter ses griefs contre le peuple juif au roi de Perse, il le présente comme "un peuple dispersé et à part" (am ehad mèfouzzar ou mèforad"  Esth. 3:8). La présence du mot "ehad" est importante. Celui-ci souligne la particularité unique de ce peuple. "Am ehad", littéralement : "un peuple un", ce qui souligne à la fois combien ce peuple est unique et différent des autres nations, mais également qu'il a réussi à préserver son unité malgré sa dispersion. C'est un peuple unique et uni. Le seul qui ait su, à travers les vicissitudes de son histoire, préserver son identité au travers de sa dispersion, alors que bien des peuples contemporains ont disparu depuis des siècles. Il faut noter que la dispersion du peuple juif parmi les nations était initialement une conséquence de son endurcissement contre la volonté de son Dieu. Le psalmiste se plaint en disant : "Tu nous disperses parmi les nations" (Psaume 44:11). Il est aussi écrit : "l’Éternel frappera Israël... il les dispersera de l'autre côté du fleuve (l'Euphrate)" (1 Rois 14:15).

Notre récit nous amène ensuite à un festin donné par la reine Esther, auquel elle a convié le roi et son conseiller Haman, flatté d'avoir ainsi été privilégié par la reine. Le roi, lui, tout à son bonheur, promet d'exaucer la demande d'Esther quelle qu'elle puisse être. Mais Esther, prudente, sachant le roi aussi versatile qu'imprévisible, n'aura d'autre requête que de pouvoir à nouveau inviter son mari et le conseiller de celui-ci au banquet qu'elle donnera le lendemain. "Demain, je donnerai la réponse au roi selon son ordre" dira Esther au monarque dont la curiosité est ainsi attisée. Ce "Demain" est une des clefs pour la compréhension du sens prophétique du livre d'Esther. Nous le verrons plus loin. Mais la joie de l'Amalécite est ternie par l'ombre de Mardochée qui refuse toujours de se prosterner à son passage. Frustré, Haman s'en confie à sa femme Zeresch. Sur le conseil de celle-ci, il fait bâtir une potence, de cinquante coudées de hauteur, à laquelle il espère bien faire pendre l'impudent qui refuse obstinément de lui rendre hommage. Il ignore encore que c'est lui qui y sera bientôt pendu. Le corps se verra assurément de loin. Haman pense peut-être faire ainsi un exemple pour tous ceux qui refuseraient, comme Mardochée, de reconnaître son rang et sa dignité. Mais dans les Écritures, aucun détail n'est jamais présent par hasard. Tout a une signification. Or, les Sages d'Israël ont dit : "Cinquante est le nombre qui symbolise ce qui est caché et révélé". Effectivement, c'est durant ce deuxième festin organisé par la reine qu'Esther va révéler au roi sa véritable identité.

"Qui d'entre vous est de son peuple ? Que l’Éternel son Dieu soit avec lui". Au moment propice, Esther se révèle au roi comme faisant partie de ce peuple dont Haman a programmé la destruction. Et plus encore, comme étant une proche parente de ce Mardochée qui avait permis de faire échouer le complot ourdi contre la vie de l'empereur. Le roi, furieux, se retire un instant à l'écart. Haman, qui sent que sa perte est arrêtée, tente d'infléchir le cœur de la reine en se jetant à ses pieds mais le roi, surgissant à cet instant même dans la salle du festin, pense voir son conseiller porter atteinte à la vie de la reine. Immédiatement, un sac est jeté sur la tête d'Haman par l'un des gardes. C'est à la potence qu'il destinait à Mardochée qu'Haman va être pendu. Le 16 Octobre 1946, à Nuremberg en Allemagne, aura lieu le procès puis l'exécution de dix nazis ayant participé ou ayant fortement favorisé l'extermination de six millions de Juifs dans les camps de concentration. Après avoir gravi les treize marches de la potence, un sac est mis sur leur tête avant que le bourreau ne leur passe la corde autour du cou. Puis un bruit sec. A dix reprises, la trappe va s'ouvrir. Mais ce n'est qu'un aspect de la similitude entre les deux événements dont le premier se déroule à Suse en Perse, et l'autre à Nuremberg, au sein même du fief du nazisme vaincu. Nous avons vu que lorsqu'il est écrit : "Haman, fils d'Hammedatha, l'Agaguite, ennemi de tous les juifs", "Tsorer kôl ha yéhoudim" (Esth. 9:24), on ne peut déterminer, de Haman ou de Hammedatha l'Agaguite, lequel est "ennemi des juifs", car ils le sont tous deux. Il en est de même de Haman comme de ces dix hommes, condamnés à mort par pendaison.

J'aimerais revenir un instant sur le nombre "cinquante" dont, je le rappelle, les Sages d'Israël ont dit : "Cinquante est le nombre des choses cachées et révélées". Pour comprendre la portée de ce nombre et sa signification, il nous faut nous référer à ce qui peut être considéré, en sa structure, comme un "plan", une "maquette" de l'oeuvre de Dieu au sein de son peuple : le Mishkan, plus généralement connu sous le nom de  "Tabernacle". Ainsi, il est écrit dans le livre de l'Exode : "on mit cinquante lacets au premier tapis, et l'on mit cinquante lacets au bord du tapis terminant le second assemblage, ces lacets correspondaient (en hébr. "qabal) les uns aux autres. On fit cinquante agrafes d'or et l'on joignit les tapis l'un à l'autre avec les agrafes. Et le Tabernacle forma un tout" (Exode 36:12, 13). Ce n'est pas ici le sujet de détailler le Tabernacle, mais je voudrais juste souligner le fait que ces cinquante lacets permettaient d'ajuster ensemble ce qui devait parachever le Tabernacle dans sa réalisation finale. L'achèvement de cette réalisation complexe dépendait de la façon dont les divers éléments s'ajustaient de façon symétrique (qabal) les uns aux autres pour que l'édifice "forme un tout". Il en est de même du récit biblique auquel viennent s'ajuster divers événements de l'Histoire pour former cet édifice qu'est en réalité l'Histoire du peuple juif.

"Au douzième mois qui est le mois d'Adar, le treizième jour du mois, jour où devaient s'exécuter l'ordre et l'édit du roi, et où les ennemis des juifs avaient espéré dominer sur eux, ce fut le contraire qui arriva et les juifs dominèrent sur leurs ennemis" (Est. 9:1). C'était initialement le projet qu'avait fomenté Haman, mais Haman était mort et ses fils allaient également périr parmi les "ennemis des juifs". Le texte dit : "les dix fils d'Haman, fils d'Hammedatha, l'ennemi des juifs" (Est. 9:10). On peut comprendre que les dix fils sont ceux d'Haman et que "l'ennemi des juifs" c'est Hammedatha. Mais pourquoi les dix fils ont-ils péri ? Parce qu'ils faisaient partie de leurs "ennemis". Il est donc évident que ces trois générations d'hommes portaient en eux le même germe de haine contre le peuple d'Esther et de son cousin Mardochée. Et s'ensuit une requête étrange de la reine Esther au roi Xerxès / Assuréus : que les dix fils d'Haman soient pendus. Requête à laquelle le roi acquiesce bien que ceux-ci soient déjà morts. Pourquoi cette demande ? Pourquoi pendre ces hommes qui étaient déjà morts ? La réponse est dans ce mot "demain" (mahar). "Mahar", que l'on pourrait traduire par "demain, dans le futur, dans les temps à venir". "Que l'on pende au bois les dix fils d'Haman" (Est. 9:13).

Qui sont-ils, ces dix fils d'Haman ? Cette liste de noms apparaît telle quelle dans le texte original du livre d'Esther. Ils forment une colonne à la droite de la page. 

Parschandatha 

Dalphon 

Aspatha 

Poratha

Adalia

Aridatha

Parmaschtha

Arizaï

Aridaï

Vajezatha 

Il y a, dans les Écritures, un petit mot hébreu qui apparaît régulièrement mais que l'on ne traduit pas parce qu'il fait partie de la construction de la phrase. Ce petit mot, c'est "èth", qui s'écrit avec un aleph et un tav, la première et la dernière lettre de l'Alphabet hébreu. Les Sages d'Israël ont dit : "Ce mot signifie : ce qui est écrit". Or le texte dit : "kedat ha yom ve èth acèreth bènèï Haman" (d'après la loi de ce jour, selon ce qui est écrit sur les dix fils d'Haman). Et qu'est-il écrit ? "Qu'ils soient pendus au bois", comme si la sentence avait déjà été écrite à l'avance. L'exécution du décret royal ordonnant que les dix fils d'Haman soient pendus serait donc l'accomplissement d'un décret divin, écrit au préalable bien avant que n'aie lieu leur condamnation. Les Sages d'Israël ont dit : "il y a un "demain" pour aujourd'hui, et il y a un "demain" pour le futur". Ce qui s'est produit du temps d'Esther est appelé à se reproduire. C'est pourquoi ce "demain" dont parlait Esther s'est reproduit en Octobre 1946, à Nuremberg, siège du nazisme, où furent jugés les criminels de guerre par un tribunal militaire international. Le mode d'exécution choisi de concert par les participants fut le mode britannique : la pendaison. Il y eut onze condamnés à mort mais l'un d'entre eux, Hermann Goering, se suicida dans sa cellule en avalant une capsule de cyanure. Ainsi, ces "dix fils d'Haman" périrent-ils par pendaison, réalisant ainsi la prophétie du livre d'Esther. Mais quelque chose d'étrange s'est produit lors de l'une de ces exécutions. Lorsque le responsable de la propagande nazie, Julius Streicher est monté sur la potence, il s'est tourné vers les personnes présentes assistant à l'exécution et s'est écrié : "Pourim 1946". Que pouvaient bien vouloir dire ces mots ? Pourquoi ce haut dignitaire nazi, alors qu'il ne lui reste plus que quelques instants à vivre, prononce-t-il le nom d'une fête juive, faisant très probablement référence au livre d'Esther ? Pour comprendre la suite, il nous faut nous arrêter sur quelques petits détails que contient la liste des noms des fils d'Haman mentionnés dans le livre d'Esther. 

 

Depuis l'antiquité, les scribes recopient scrupuleusement, lettre par lettre, le texte biblique. Certaines lettres sont parfois plus petites, plus grandes, certaines viennent à manquer, alors que d'autres ne se justifient pas mais le texte étant sacré, on ne peut le modifier. Jésus lui-même a attesté cela lorsqu'il dit : "Car je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront pas, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu'à ce que tout soit arrivé" (Matthieu 5:18). Siècles après siècles, les scribes ont recopié ces noms tels qu'ils les avaient trouvés dans le texte, avec des lettres plus petites et une dernière plus grande que les autres, et cela sans en comprendre le sens. Jusqu'au jour où l'on découvrit que, puisque les lettres sont également des chiffres, cela correspondait à une année du calendrier hébraïque, l'an 5707. Cette année 5707 correspondant, selon notre calendrier, à 1946. Ainsi se réalisa la parole qu'Esther avait prononcée devant le roi : "qu'il soit permis aux juifs qui sont à Suse d'agir encore demain selon le décret d'aujourd'hui et que l'on pende au bois les dix fils d'Haman" (Est.9:13). Julius Steicher avait-il compris que ce qui se déroulait, ce 16 Octobre 1946 à Nuremberg, était en réalité l'accomplissement d'une ancienne prophétie dont personne jusqu'alors n'avait compris le sens ? On a découvert que la bibliothèque de cet ennemi acharné du peuple juif était en fait remplie d'ouvrages rédigés en hébreu. Julius Streicher faisait partie de ces hommes qui s'imprègnent de tout ce qui concerne leurs adversaires afin de mieux les combattre. Mais pourquoi une telle haine ? Selon le grand rabbin Vilna de Gaon, qui vécut au dix-huitième Siècle, le peuple germanique serait issu du peuple d'Amalek, dont était membre le perfide Haman. Ce peuple aurait été appelé autrefois "Guermania", la Germanie, de qui naîtra le peuple allemand et dont faisaient partie ces dix hommes qui furent pendus tout comme le furent les dix fils d'Haman l'Amalécite. 

Mais il y a plus encore. 

Nous avons vu que l'année 5707 correspond à l'année 1946 de notre calendrier. Mais le 16 Octobre 1946 correspond, dans le calendrier hébraïque, au vingt et unième jour du mois de Tishri qui est aussi appelé Hoshannah Rabba. Ce jour est le septième jour de la fête de Soukkoth et fait partie de ce que, dans le judaïsme, on appelle les "dix jours redoutables". C'est au terme de ces dix jours que le jugement rendu à Rosh Hashanna (la nouvelle année juive) entre en vigueur. Ainsi, par l'intermédiaire de la justice des hommes s'accomplissait une autre justice, divine celle-ci. La prophétie énoncée par la reine Esther envers "l'ennemi de tous les juifs" venait de se réaliser. Mais cette jeune reine avait su préserver en elle cette identité et ce nom qui lui avait été donné à sa naissance : Hadassa. Ce nom qui symbolisait pour ce peuple menacé l'indestructibilité d'Israël. 

Mais s'il est une fête qui doit être associée au livre d'Esther, c'est bien évidemment Pourim (Est.9:27 à 32). "Les juifs prirent pour eux et pour leur postérité et pour tous ceux qui s'attacheraient à eux (futurs beaux-fils et belles-filles) la résolution et l'engagement de célébrer chaque année ces deux jours selon le mode prescrit. Au temps fixé ces jours devaient être rappelés et célébrés de génération en génération dans chaque famille... et ces jours ne devaient jamais être abolis au milieu des juifs, ni le souvenir s'en effacer parmi leurs descendants". Et donc, même si le Nouveau Testament n'en fait pas mention, Jésus et ses disciples devaient fêter la fête de Pourim en son temps. Le texte poursuit : "...comme ils les avaient établis pour eux-mêmes et leur postérité", ce qui sous-entend que Mardochée et Esther enseignèrent ces choses à leurs enfants. Esther eut ses enfants à la cour royale et ceux-ci furent probablement élevés comme princes et princesses du royaume de Perse. Mais leur mère leur enseigna, tout comme leur oncle Mardochée à ses propres enfants, la signification de la fête de Pourim et comment l'un et l'autre, avec l'aide de Dieu, purent empêcher la disparition de leur peuple, déjouant ainsi les projets d'Haman l'Amalécite, "l'ennemi de tous les juifs".  

Le code introduit, il y a des siècles de cela, dans la liste des fils d'Haman venait de délivrer son secret. Les choses cachées étaient enfin révélées. Les divers événements de l'Histoire s'étaient assemblés "pour former un tout", tout comme pour les éléments du Mishkan. Les pièces du puzzle venaient s'ajouter l'une à l'autre et les éléments du récit biblique venaient s'ajuster aux événements pour que continue à s'édifier cet édifice toujours menacé de l'Histoire du peuple juif. Jusqu'à ce que vienne un autre roi de Babylone ayant projeté, une fois de plus, de "détruire la maison d'Israël".   

JiDé

Esther et le destin caché
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