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Judas Iscariot : histoire d'une trahison annoncée

Judas Iscariot : histoire d'une trahison annoncée

Le spectacle qui s'offrait à la vue de ceux qui découvrirent son cadavre mutilé était effrayant. Le corps gisait, inerte, sur les rochers, en bas de la petite falaise. La paroi abdominale avait éclaté sous le choc et ses viscères s'étaient répandues sur la roche, l'éclaboussant de son sang. Comment était-il arrivé là ? Avait-on traîné son corps jusqu'à cet endroit ? L'un de ceux qui le découvrirent fit remarquer la présence d'une corde nouée autour de son cou. À voir son état, il devait être là depuis plus d'une semaine déjà. La fête des pains sans levain venait de se terminer et les hommes reprenaient la route des champs après sept jours d'interruption de toute activité salariale (Lévitique 23:6 / Luc 22:1, 7). L'un des hommes qui l'avaient découvert leva instinctivement la tête et vit, quelques mètres plus haut, un arbre dont les branches surplombaient le vide. L'une d'elles était brisée. Celui qui gisait là avait probablement tenté de se pendre, en se jetant dans le vide mais la branche à laquelle il avait préalablement accroché la corde s'était cassée sous le poids et son corps était tombé sur les rochers en contrebas. Lors d'une pendaison, la nuque se brise et la mort s'ensuit instantanément, sinon, la personne meurt par étouffement et par asphyxie. Judas était-il en train d'agoniser lorsque la branche s'est rompue ou était-il déjà mort ? Il se peut que celle-ci se soit brisée lorsqu'il s'est jeté dans le vide. Aucune autopsie ne pouvait être pratiquée, à cette époque. D'ailleurs, le corps était déjà en état de décomposition avancée. On ne saura donc jamais si Judas était encore en vie lorsque son corps vint s'écraser avec fracas contre les rochers, en contrebas de la petite falaise où il avait choisi de mettre fin à ses jours. Ce récit macabre n'est pas une fiction. Il nous est parvenu par l'intermédiaire des textes bibliques qui relatent les tragiques événements qui se déroulèrent, au début de notre ère, à proximité de Jérusalem, dans la province romaine de Judée (Actes 1:18). La nouvelle ne tarda pas à se faire connaître et l'identité du pendu fut rapidement élucidée. L'arbre était sur un champ récemment acquis d’un potier par un certain Judas, originaire de Karioth, un village situé au sud de Jérusalem. Le potier qui lui avait vendu son champ l'appelait d'ailleurs "Ish Karioth" (l'homme de Karioth, Matthieu 10:4). C'est probablement par l'ancien propriétaire que l'on put identifier le corps. Mais pourquoi avait-il acheté un champ pour venir s'y pendre le soir même ? Pour le comprendre, il nous faut revenir quelques jours en arrière.

Pour trente pièces d'argent

On était à deux jours de la fête de la Pâque juive. Les principaux sacrificateurs, ainsi que les anciens du peuple, s'étaient réunis dans la cour intérieure de la vaste demeure du grand sacrificateur Caïphe. Tous projetaient de faire mourir Jésus, mais ils craignaient la foule car celle-ci le portait en grande estime (Luc 22:1, 2). Beaucoup de Judéens se détournaient des Pharisiens et des principaux sacrificateurs (qui, pour la plupart, étaient du parti des Sadducéens) pour adhérer à l’enseignement de Jésus. Plus l'influence du rabbi de Nazareth grandissait, plus la leur allait en décroissant. Les principaux sacrificateurs, et certains pharisiens, cherchaient à savoir où pouvait être Jésus afin de s'emparer de lui (Jean 11:57). Peut-être même avaient-ils promis une récompense à celui qui le leur livrerait. Judas, l'un des douze qui accompagnaient Jésus, attiré par l'appât du gain, vint les trouver (Matthieu 26:14, 15). Le texte nous dit que "Judas surnommé ish Karioth, (qui) était l'un des douze, alla s'entendre avec les principaux sacrificateurs et les chefs des gardes sur la manière de le livrer. Ils furent dans la joie et ils convinrent de lui donner de l'argent. Après s'être engagé, il cherchait une occasion favorable pour leur livrer Jésus à l'insu de la foule" (Luc 22:3 à 6). Mais, en introduction de cette portion du récit, l'évangéliste Luc apporte une information importante : "Or, Satan entra dans Judas" (Luc 22:3). Le véritable instigateur de cette trahison, c'est Satan lui-même. L'évangéliste Jean présente les choses un peu différemment puisqu'il dit de Judas qu'il avait un démon (Jean 6:70, 71). Les principaux sacrificateurs payèrent à Judas la somme qu'ils avaient convenue entre eux, la somme de "trente pièces d'argent" (Matthieu 26:15), le prix d'un esclave (Exode 21:32). Comme le dit l'apôtre Paul : "L'amour de l'argent est une racine de tous les maux et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi, et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments" (1 Timothée 6:10). Cet argent ne put cependant calmer sa conscience tourmentée. Rongé par le remord, il ne soumit pourtant pas son âme au repentir. Sa trahison allait conduire son maître au supplice. La prise de conscience de son acte le conduirait, lui, à sa propre perte. Mais cet épisode de la vie du Seigneur Jésus avait été prophétisée, plusieurs siècles auparavant, par un prophète nommé Zachariyah, plus connu sous le nom de Zacharie (Zacharie 11:12, 13). Le prophète avait ainsi annoncé d'avance à la fois la trahison (verset 12) et la culpabilité de Judas (verset 13). Ayant appris que Jésus avait été condamné à mort, Judas revint auprès des sacrificateurs pour leur rendre le prix de sa trahison (Matthieu 27:3 à 5). À ce propos, Matthieu fait allusion à un texte du livre de Jérémie (Jérémie 19:1, 2), texte qui, en soi, n'a pas, en apparence, de rapport direct avec les événements énoncés dans les Évangiles, mais le Saint-Esprit a jugé bon de le lui rappeler en cette circonstance. Ce texte de Jérémie, auquel fait probablement allusion l'évangéliste, présente un certain intérêt lorsque l'on y regarde de plus près. Il y est tout d'abord fait mention des "anciens du peuple et des anciens des sacrificateurs" qui, à l'époque de Jésus, furent à l'origine du complot fomenté contre lui (Jérémie 19:1). L'Eternel dit ensuite à Jérémie de se rendre "dans la vallée de Ben Hinnom qui est à l'entrée de la porte de la poterie". Je reviendrai plus tard sur ce lieu. L'argent de la trahison servit donc à Judas pour l'achat du champ du potier, en vue de l'ensevelissement des pauvres et des pèlerins qui décédaient lors de leur séjour à Jérusalem (Matthieu 27:7 à 10). 

Le remord qu'éprouva Judas après son acte de trahison ne put infléchir la décision des conspirateurs, trop heureux d'avoir pu mettre la main sur celui dont ils avaient comploté la perte. "Judas jeta alors les trente pièces d'argent dans le temple, se retira et alla se pendre" (Matthieu 27:5). Submergé par la culpabilité, une seule issue lui semblait possible. Judas se rendit sur le champ qu'il avait acquis avec l'argent de sa trahison, ce que l'apôtre Pierre appelle "Le salaire du crime" (Actes 1:18). Une contradiction semble apparaître ici. Comment aurait-il pu rendre l'argent s'il s'était acquis un champ avec celui-ci ? L'argent que Judas jeta dans le temple n'était donc pas celui qu'il avait reçu des mains des sacrificateurs. Il dut donc le sortir de sa propre bourse. Même si cela représente une somme assez conséquente, il faut se rappeler que Judas était voleur et qu’il se servait dans la bourse commune du groupe (Jean 12:6). Sa trahison l'avait dépouillé de la seule richesse qu'il aurait pu encore préserver en s'abstenant d'un tel acte ignoble : sa dignité. Le repentir aurait pu peut-être encore le sauver, mais il choisit de se laisser envahir par les remords. La culpabilité causa sa perte. Et alors que, de celui qu'il avait trahi, il est dit "qu'aucun de ses os ne sera brisé" (Jean 19:36), ceux de Judas allaient se rompre sur les rochers, en contrebas du terrain qu'il s'était acquis. Lorsque Pierre prend la parole, en Actes 1, il fait allusion à la trahison de Judas et l'appelle "le guide de ceux qui ont saisi Jésus" (Actes 1:16). Il nous dit "qu'après être tombé, (Judas) s'est rompu (en grec : "lascho") par le milieu du corps et toutes ses entrailles se sont répandues" (Actes 1:18). "Lascho" peut se traduire par : "casser, tomber avec fracas, éclater en morceaux avec un craquement, éclater"Ce mot laisse sous-entendre ce qu'il advint du corps de Judas lorsque celui-ci se fracassa après que la branche à laquelle il s'était pendu se fut brisée. L'événement fut rapidement connu de toute la ville de Jérusalem (Actes 1:19). Le champ qu'avait acquis Judas fut appelé "Hakeldama", le champ du sang, non à cause de celui de Judas, mais en référence à celui de sa victime. Ce sang avait été abondamment versé. Tout d'abord dans la cour de la forteresse Antonia, où Jésus avait été flagellé. Puis, sur la croix où il fut crucifié. Lors du dernier repas, auquel assistait également Judas, le Seigneur avait dit en levant la cinquième coupe (que l'on appelle "la coupe d'Elie" ou "la coupe du Messie") : "Ceci est la coupe de la Nouvelle Alliance en mon sang" (Luc 22:20 / 1 Corinthiens 11:25). Il fallait que s'accomplisse "Tout ce qui est écrit de Lui" (Luc 24:44), et Jésus le savait. Car tout cela se produisit "Selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu" (Actes 2:23). Ainsi s'accomplit ce que dit le Psalmiste : "Celui-là même avec qui j'étais en paix, qui avait ma confiance et qui mangeait mon pain, lève le talon contre moi" (Psaume 41:10). Cette parole allait s'accomplir lors du dernier repas que le Maître prit avec ses disciples. C'est à ce moment-là que Judas entra, pour ainsi dire, en scène. Pourtant, il était avec Jésus depuis le début. Pierre dit de lui qu'il "était compté parmi nous (les douze principaux disciples de Jésus) et qu'il avait part au même ministère (Actes 1:17). Il avait été donné à Judas, comme aux onze autres, de "chasser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité" (Matthieu 10:1). Son nom est bien mentionné parmi les douze (Matthieu 10:1 à 5). Cependant, tenant compte de ce que fera Judas, trois années et demi plus tard, il est intéressant de lire ce qui suit, ce que Jésus lui-même leur avait enseigné : "Chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie" (Matthieu 10:8, 9). À ces mêmes disciples, parmi lesquels se trouve le futur traître, Jésus dira : "Mettez-vous en garde contre les hommes car ils vous livreront aux tribunaux et ils vous battront de verges" et plus loin : "Le frère livrera son frère à la mort" (Matthieu 10:21). En disant ces mots, Jésus connaissait déjà celui qui allait le trahir. Si son acte se fit avec la plus grande discrétion, le récit de sa trahison serait connu du monde entier (Matthieu 10:26, 27). Judas avait également été enseigné sur la destinée éternelle (Matthieu 10:28). Il connaissait le sort réservé à ceux qui renieraient Jésus "devant les hommes" (Matthieu 10:32, 33). Jésus, lui aussi, devait avoir "pour ennemi les gens de sa maison" (Matthieu 10:36).

On pourrait s'interroger sur la présence de Judas parmi les plus proches disciples du maître, mais "Il fallait que s'accomplisse ce que le Saint Esprit, dans l'Ecriture, avait annoncé d'avance par la bouche de David" (Actes 1:16 / Jean13:18). Cette trahison avait donc bien été prophétisée par David lui-même (Psaume 41:1, 10 / Actes 1:16). Si, dans son discours, l'apôtre Pierre cite l'Ecriture concernant le traître (Psaume 109:8), il est intéressant de lire ce qu'écrit le psalmiste dans ce psaume. Le rédacteur commence par décrire ce qui pourrait être comparé aux accusations portées contre Jésus (Psaume 109:2 à 6). Il poursuit en décrivant le sort qui attend le méchant (Psaume 109:7 à 20). Après que Jésus ait annoncé que l'un d'entre eux le livrerait, tous se mirent à dire : "Est-ce moi, Seigneur ?" (Matthieu 26:21, 22). Jésus le désigne alors (Matthieu 26:23, 24). Se voyant démasqué, Judas esquive alors en feignant la surprise. Peut-être prit-il même un air vaguement offusqué lorsqu'il demanda faussement : "Est-ce moi, Rabbi ?" (Matthieu 26:25). Sans le savoir, il accomplit ainsi une parole qui avait été annoncée d'avance : "Quand on le jugera, qu'il soit déclaré coupable, et que sa prière (sa demande) passe pour un péché" (Psaume 109:7). L'apôtre Pierre se remémorera probablement ces paroles lorsqu'il dira plus tard, citant la suite de ce Psaume : "Qu'un autre prenne sa place" (Psaume 109:8 / Actes 1:20). Lu à la lumière de ce que raconte l'Évangile, ce texte permet de mieux cerner encore le sort de Judas. Car "Malheur à l'homme par qui il est livré" (Luc 22:22). "Malheur !", non à celui qui est livré, car cela avait été arrêté d'avance, mais à celui qui le livre. Judas avait acheté un champ avec le prix de la trahison, mais l'homme récolte toujours ce qu'il a semé. 
 

Lieu appelé Akkeldama, dans la vallée de Hinnom


Le dernier repas

Le soir du dernier Seder, après avoir présenté la dernière coupe (Luc 22:20), Jésus annonce à ses douze disciples que celui qui va le livrer à ses bourreaux est présent, ce soir-là, parmi eux (Luc 22:21), mais que le malheur va bientôt le frapper (Luc 22:22b). Poussé par Pierre, Jean demanda à Jésus de lui révéler son identité. "Jésus lui répondit : c'est celui à qui je donnerai le morceau trempé. Et ayant trempé le morceau (dans la sauce) il le donna à Judas, fils de Simon, l'Iscariot" (Jean 13:21 à 30). Il est dit ensuite que "Dès que le morceau fut donné, Satan entra dans Judas" (Jean 13:27). Personne, parmi les apôtres, ne comprit ce qui s'était passé entre Jésus et Judas. Même Jean, à qui Jésus avait désigné le traître, ne semble pas avoir compris. Après que Jésus lui ait dit : "Ce que tu fais, fais le vite", Judas "se hâta de sortir" (Jean 13:27, 30). Cet élément du récit peut sembler un peu difficile à comprendre. Que vient donc faire ce pain trempé dans la sauce dans le récit qui nous occupe ? Pour le comprendre, il nous faut, une fois de plus, nous référer au vocabulaire hébraïque, le texte grec ne nous fournissant pas vraiment d'élément nouveau susceptible de favoriser sa compréhension. Par contre, l'usage du mot hébreu "Tabal" peut, quant à lui, nous en fournir. "Tabal" signifie "plonger, tremper". Ce mot est généralement utilisé dans un contexte étroitement lié avec le sang. Les frères de Joseph plongèrent sa tunique de plusieurs couleurs dans le sang d'un bouc pour faire croire à leur père qu'il était mort (Genèse 37:31). Le sacrificateur plongeait son doigt dans le sang pour en faire l'aspersion (Lévitique 4:6). Ce morceau de pain (Jésus n'avait-il pas dit qu'il était le pain de vie ?) symbolisait son corps qui serait bientôt plongé dans la mort par une fin sanglante. Mais cette notion peut également avoir une connotation très négative. L'apôtre Paul parle de ceux qui "se sont égarés dans leurs pensées et (dont) le cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres" (Romains 1:21). Il parle également, en écrivant à Timothée, de "Ceux qui veulent s'enrichir (et) tombent dans la tentation, dans le piège (que le diable leur tend) et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine" car, ajoute -t-il "L'amour de l'argent est une racine de tous les maux, et quelques-uns, en étant possédés, se sont égarés loin de la foi et se sont jetés eux-mêmes dans bien des tourments" (1 Timothée 6:9, 10). Judas était de ceux-là. 

En lisant ces textes, je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement avec le peuple d'Israël dans le désert. L'une des étapes par laquelle celui-ci est passé est un lieu qui fut nommé "Qibroth Hat Ta'avah" (Nombres 33:16). Le livre des Nombres nous parle du "ramassis de gens qui se trouvait au milieu d'Israël (et qui) fut saisi de convoitise" (Nombres 11:4). "Qibroth" vient de "Qeber" qui désigne une tombe, un sépulcre, un tombeau. Et "Ta'avah" désigne la cupidité. Judas était "parmi" les douze, animé par la cupidité. Combien de fois ces hommes s'étaient-ils attablés, ensemble ? C'était le troisième repas de Pâque que Jésus partageait alors avec ses apôtres. Matthieu nous dit que "Le soir venu, il (Jésus) se mit à table avec les douze" (Matthieu 26:20). Jésus savait ce qu'impliquait ce dernier repas. Il savait également que celui qui allait le trahir était parmi eux (Marc 14:18, 20). Jésus, "troublé dans son esprit", dit alors ces mots, lourds de sens : "La main qui me livre est avec moi à cette table" (Luc 22:21). Et il ajoute : "Malheur à l'homme par qui il (le Fils de l'homme) est livré" (Luc 22:22). Marc ajoute : "Mieux vaudrait pour cet homme qu'il ne soit pas né" (Marc 14:21). L'évangéliste semble avoir été particulièrement marqué par le fait que Jésus ait été trahi par l'un de ses plus proches disciples, "l'un des douze" (Marc 14:10, 17, 20) dont lui-même ne faisait pas partie. Cette légère insistance révèle peut-être un désir secret, un regret. Celui de n'avoir pas été de ceux-là. D'ailleurs, à ce propos, après que Jésus eut annoncé que l'un des douze le trahirait, ne pouvant déterminer lequel était le pire d'entre eux, "une contestation s'éleva au milieu d'eux, se demandant qui devait être estimé comme le plus grand" (Luc 22:24). Ces hommes étaient destinés à partager sa table dans le Royaume à venir. L'un d'entre eux, cependant, perdra ce privilège. On aurait pu poser à Judas cette question mentionnée dans le livre de Samuel : "Pourquoi pêcherais-tu en livrant le sang innocent ?" (1 Samuel 19:5). Nombre de textes bibliques peuvent être lus à la lumière de ce récit. Jésus a d'ailleurs dit, lui-même, qu'il fallait que s'accomplisse ce qu'annonçaient les Écritures (Jean 13:18 / Luc 22:37). Pierre souligne également ce fait lors de son discours, devant les frères : "Ce que le Saint-Esprit, dans l'Ecriture, a annoncé d'avance par la bouche de David, au sujet de Judas, qui a été le guide de ceux qui ont saisi Jésus" (Actes 1:16). La trahison de Judas avait été annoncée par le roi David lui-même ! Pierre n'en fera cependant qu'une furtive allusion lors de son deuxième discours, devant le peuple, à la pentecôte (Actes 2:23). 

Lorsque, dans la Chambre Haute, Jésus, en "maître de maison", perpétue les gestes ancestraux de la cérémonie de Pessah, il fait ce que sont en train de faire, à la même heure, tous les Hébreux qui sont à Jérusalem, en Israël et dans toute la Diaspora. Il suit un rituel instauré par les pères de la nation depuis le soir de la sortie d'Égypte (Luc 22:19, 20). Le pain est du pain azyme, sans levain. Du vin a été versé préalablement dans une coupe qui ne doit pas être bue car la "cinquième coupe" du repas, appelée "coupe d'Elie" ou "coupe du Messie", ne pouvait être bue que par le Messie lui-même. Et c'est justement le fait que Jésus ait bu cette coupe qui fait de ce repas de Pessah un repas hors du commun. Seul Jésus était en droit de la boire. Mais en buvant cette coupe, il annonçait également un mystère. Celui de sa mort sanglante. Il lui donnait ainsi son véritable sens ainsi que sa signification. La cinquième coupe du repas était, en réalité, une "coupe sacrificielle". Ce soir-là, les apôtres recevaient leur dernier enseignement de la bouche de leur maître. L'enseignement ultime. La raison de sa présence parmi eux. Le sacrifice auquel il consentait librement. Ce soir-là, Judas était également présent pour entendre ces choses : "Ceci est mon corps qui est donné pour vous... mon sang qui est répandu pour vous" (Luc 22:20). À ce moment, la décision de Juda était déjà prise. Dans quelques heures, il sera à la tête des bourreaux de son maître (Luc 22:47)"Judas, ayant pris le morceau, se hâta de sortir. Il faisait nuit" (Jean 13:30). 

Le baiser de Judas 

Après que Judas soit sorti pour le trahir, Jésus enseigna encore bien des choses à ses apôtres (Jean 13:31 à 18:1) puis il se rendit, avec eux, au jardin de Gethsémané, sur la Montagne des Oliviers. Judas connaissait ce lieu. Il s'y était rendu bien souvent à la suite du maître (Jean 18:2). Il s'y rendit, cette fois-ci, suivi d'une cohorte romaine (Jean 18:3,12) et des huissiers envoyés par les principaux sacrificateurs et les pharisiens. Tous étaient armés. Matthieu nous parle d'une "foule nombreuse armée d'épées et de bâtons envoyée par les principaux sacrificateurs et par les anciens du peuple" (Matthieu 26:47). Que s'est-il passé après que Juda soit sorti de la salle où ils étaient réunis ? Judas savait-il que Jésus se rendrait au Jardin après le repas ? Pas sûr ! Il est donc probable qu'il ait tout d'abord conduit la troupe à la maison où ils s'étaient rassemblés. Ne l'ayant pas trouvé, il s'est fait indiquer le lieu où il se trouvait. Les personnes qui le renseignèrent, voyant la troupe armée qui l'accompagnait, durent se douter de ce qui allait se produire. La troupe qui vint arrêter Jésus était imposante et ne pouvait passer inaperçue. Une cohorte romaine (spéra) était formée de six cents légionnaires. Pourquoi un tel déploiement de troupes pour arrêter un seul homme ? Probablement parce que l'arrestation de Jésus aurait pu provoquer un mouvement de foule pour le défendre. Les autorités religieuses craignaient la foule car beaucoup le considéraient comme un prophète (Matthieu 21:46 / Marc 12:12), ayant été fortement impressionnés par l'enseignement de Jésus (Marc 11:18 / Jean 18:19 à 21), et ces conspirateurs craignaient qu'ils ne cherchent à le délivrer de leurs mains, d'où la présence d'une cohorte de légionnaires aguerris. Tous avaient suivi Judas. Il leur avait dit : "Celui à qui je donnerai un baiser, c'est lui. Saisissez-le, et emmenez-le sûrement" (Marc 14:43 à 46). Judas poussa alors l'ignominie jusqu'à s'approcher de Jésus pour lui donner un baiser de paix (Matthieu 26:48, 49). Ce à quoi Jésus lui répondit : "Judas, c'est par un baiser que tu livres le fils de l'homme" (Luc 22:48). Jésus fut donc emmené prisonnier après avoir été trahi ignominieusement par l'un de ses disciples les plus proches. Tout au moins en apparence, puisque les textes nous révèlent que Judas n'avait jamais vraiment intégré l'enseignement de son maître. Mais il fallait que l'Écriture s'accomplisse. Et cela fut fait. 

Marc mentionne, dans son récit (et il est le seul), qu'un jeune homme qui était présent se fit arracher son vêtement, un simple drap dont il s'était vêtu probablement à la hâte (Marc 14:51, 52). Il est fort probable que ce jeune homme, ce soit Marc lui-même. Si c'est le cas, Marc fut donc témoin de l'arrestation de Jésus. Il deviendra plus tard le secrétaire de Pierre et le rédacteur de ses Épitres. L'Évangile qui porte son nom sera ainsi rédigé en grande partie sur la base des récits que lui fit l'apôtre. Le récit de l'arrestation de Jésus nous est donc conté à la fois par Matthieu, Marc et Jean, qui étaient présents ce soir-là. Luc, pour rédiger son Évangile, fit de nombreuses interviews auprès des témoins oculaires de ces événements. Son travail de rédaction est imprégné de la rigueur et de la probité qui le caractérisent. La fiabilité de ses écrits est donc digne de la plus grande considération, tout autant que ceux des témoins oculaires. Le récit qui nous a été transmis est donc fiable et digne de toute confiance. Les écrits de chacun, s'ils ne sont pas identiques, sont complémentaires. Ils nous fournissent toutes les informations nécessaires afin que la foi de ceux qui croient que ces événements se sont réellement produits tels qu'ils sont relatés, repose sur des faits avérés. 

Un drôle de pendu

Voyant que Jésus est conduit chez Pilate, Judas comprends qu'il va être condamné à mort (Matthieu 27:3). Il va alors tenter de racheter la vie de Jésus. Il a pris pour cela, avec lui, l'argent de sa trahison. Mais devant l'indifférence de ceux qui, jusque-là, s'étaient fait ses complices, il perd pied et se trouve submergé par le remord de ses actes. Il nous est dit que "Judas jeta les pièces d'argent dans le temple et alla se pendre" (Matthieu 27:5). À cet instant, sa décision est prise. Il veut se donner la mort. 

Dans le livre des Actes, Luc nous relate une rencontre des frères qu'il situe entre la fin de la fête des pains sans levain (qui suit immédiatement la Pâque) et la Pentecôte. Il fait mention de cette période par l'expression "En ces jours-là" (Actes 1:15). Pierre, s'étant levé au milieu des frères, prit la parole. Il parla de la façon dont Judas était mort : "Cet homme ayant acquis un champ avec le salaire du crime est tombé, s'est rompu par le milieu du corps, et toutes ses entrailles se sont répandues" (Actes 1:18). Judas s'est donc pendu à un arbre se trouvant sur le champ qu'il venait d'acquérir le soir de sa trahison. Les branches de cet arbre surplombaient une petite falaise. Il attacha la corde à l'une d'elles et se jeta dans le vide. Et alors que Jésus comparaissait devant Pilate, Judas mettait fin à ses jours. Mais sous le choc, ou peut-être sous le poids du corps, la branche se brisa. Le corps fit alors une chute brutale et vint s'écraser sur les rochers en contrebas.

La mort de Judas fit grand bruit. Tout d'abord lorsque son corps vint s'écraser contre les rochers et que ses os se brisèrent, ensuite lorsque la nouvelle se répandit dans les rues de Jérusalem. Selon le droit du sol, "le champ du sang" revint ainsi à son ancien propriétaire. Les sacrificateurs et les anciens le rachetèrent au potier, qui l'avait vendu à Judas, pour la même somme et en firent un lieu de sépulture pour les étrangers (Matthieu 27:7, 8). Bien que le contexte ne soit pas directement lié à cet événement, peut-être peut-on voir, dans les paroles de Jérémie, une allusion à cet achat lorsqu'il dit : "J'anéantirai dans ce lieu le conseil de Juda et de Jérusalem... et l'on enterrera les morts à Topheth par défaut de place pour les enterrer. C'est ainsi que je ferai à ce lieu, dit l'Eternel, et à ses habitants" (Jérémie 19:7, 11, 12). Topheth (dont le nom signifie "lieu pour brûler") était situé "dans la vallée de Hinnom", à proximité de la porte de la poterie (Jérémie 19:2). Il se peut que le champ qu'acquit Judas était à proximité de ce lieu qui faisait office de décharge publique et où l'on brûlait toutes sortes de choses qui devaient être détruites par le feu. Qui voudrait acquérir un terrain à proximité d'un dépotoir ? Pourquoi Judas a-t-il acheté ce champ ? 

Située au Sud de Jérusalem (tout à fait à l'opposé du lieu où Judas était allé pour la dernière fois à la rencontre de Jésus), la vallée de Hinnom (la vallée innommable) avait mauvaise réputation. C'était un ravin profond et étroit, tombant presque à pic sur des rochers découpés. On y offrait autrefois des enfants en sacrifice au dieu Moloch, en les immolant par le feu (Jérémie 7:31, 32 / 2 Rois 23:10). Lors de l'occupation grecque, la vallée prit le nom de Gê-Hinnom, d'où vint le nom de Géhenne. Un feu y brûlait continuellement. Ce lieu fut, par la suite, associé à un lieu de tourments (en souvenir des sacrifices humains qui y étaient perpétrés), et aux souffrances horribles endurées par les victimes dans les flammes. Jésus associe d'ailleurs lui-même les souffrances des "damnés" aux flammes qui montaient de cette vallée lorsqu'il dit : "Craignez celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la Géhenne". Si cette hypothèse est exacte, et si ce champ du potier se trouvait bien à proximité de la vallée de Hinnom où l'on brûlait des détritus, Judas devait avoir une raison de se l'approprier. Or, le texte nous dit que les sacrificateurs utilisèrent l'argent que Judas leur avait rendu pour acheter ce champ dans le but d'en faire un lieu de sépulture pour les étrangers (Matthieu 27:7). Judas avait-il eu vent de ce projet avant que le lieu n'ait été désigné à cet effet ? Avait-il envisagé d'acquérir un terrain pour y monnayer ensuite l'ensevelissement des décédés étrangers ? Si cette hypothèse est exacte, alors sa mort se revêtirait d'un ironique linceul. Chaque fois que l'on venait inhumer le corps d'un étranger à Hakeldama (Actes 1:19), les fossoyeurs, tournant la tête vers l'arbre à la branche cassée, pouvaient se rappeler qu'un jour un homme vint dans ce lieu pour s'y pendre. Les rochers en contrebas pourraient en témoigner. 

Sans sépulture

Il est probable que le corps de Judas ne fut découvert, en cet endroit improbable, que lorsque la fête des pains sans levain fut terminée, soit huit jours après qu'il se soit suicidé. Le corps devait déjà être dans un état de putréfaction avancée après que les charognards soient passés par là. Ce manque de sépulture ajoute encore à l'ignominie de sa mort dans ce lieu macabre. Jésus avait dit : "Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps mais qui ne peuvent tuer l'âme, craignez plutôt celui qui peut faire périr l'âme et le corps dans la géhenne" (Matthieu 10:28). Le corps de Judas fut découvert là où il s'était fracassé contre les rochers. Quant à son âme, il se peut qu'elle soit demeurée à proximité, dans cette vallée de Hinnom que l'on appelle également "la géhenne"

JiDé

Judas Iscariot : histoire d'une trahison annoncée
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