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L'échelle de Jacob

L'échelle de Jacob

Deux frères

La vie de Jacob ne fut pas une vie heureuse. Il dira au Pharaon qui l'avait convié à sa cour : "Le nombre de mes années de migrations est de cent trente. Les jours de ma vie ont été peu nombreux et mauvais et je n'atteindrai pas le nombre des années qu'ont duré les migrations de mes ancêtres" (Gen. 47:9, Semeur). 

Un conflit l'avait longtemps opposé à son frère Esaü. Ce conflit avait débuté dès le ventre de leur mère. Son père Isaac était âgé de quarante ans lorsqu'il épousa Rebecca (Rivkah de son vrai nom), fille de Béthuel, l'Araméen de Paddan-Aram. Mais Rebecca était stérile, et Isaac avait déjà atteint l'âge de soixante ans lorsqu'elle fut enfin enceinte. Deux "fils" (habanîm) se battaient alors dans son ventre et Rebecca, inquiète, s'en alla consulter le Seigneur qui lui dit : "Deux nations sont dans ton ventre et deux peuples se sépareront au sortir de tes entrailles". Littéralement : "et dit YHVH à elle deux nations dans ton ventre et deux peuples de ton sein se sépareront". Selon le texte original en hébreu, le mot "nations" (goïm) peut s'écrire soit "Guimel Vav Yod Mêm", soit "Guimel Yod Yod Mêm". La répétition du Yod pourrait être significative et souligner le fait qu'il y avait bien deux nations dans le ventre de Rivkah.

Elle sut alors qu'elle attendait deux garçons. Le Seigneur avait ajouté : "Un de ces peuples sera plus fort que l'autre, et le plus grand sera assujetti au plus petit" (Gen. 25:21 à 23). Avant qu'Esaü et Jacob n'aient vu le jour, leurs destinées étaient déjà toutes tracées. Cependant, il serait erroné de penser que cela relevait de la volonté souveraine de Dieu. Le Seigneur annonçait à Rebecca ce qu'il en serait dans le futur. 

"Les jours où elle devait accoucher s'accomplirent et voici, il y avait deux jumeaux dans son ventre... Isaac était âgé de soixante ans lorsqu'ils naquirent" (Gen. 25:24, 26). Le premier était totalement roux, "talonné" de près par son frère Jacob (de son vrai nom Yaacov - "le talon"). Les deux frères grandirent, jumeaux mais différents. Esaü (Esav) devint chasseur et avait la préférence de son père, alors que Jacob avait celle de sa mère. "Jacob fut un homme tranquille qui habitait sous les tentes". Les Sages d'Israël ont dit que cette expression "habiter sous les tentes" était une image de l'étude de la Thora. Autant l'un aimait la chasse sous le soleil brûlant, autant l'autre était un garçon studieux, qui aimait s'instruire et lire à l'ombre des tentes. 

Jacob ne le savait pas encore, mais sa vie allait bientôt basculer et l'envoyer loin des tentes de son clan familial. 

Isaac, devenu vieux, voulut bénir son fils Esaü, mais par un subterfuge imaginé par Rebecca, Jacob se fit passer pour son frère et reçut de son père la bénédiction à la place de celui-ci. Lorsque Esaü l'apprit, il devint furieux contre son frère qui, à ses yeux, lui avait déjà, selon lui, "volé" son droit d'aînesse pour un plat de lentilles. Esaü jura de tuer son frère lorsque leur vieux père serait mort. Cependant, la parole que Rebecca avait reçue lorsque ses enfants se battaient dans son ventre venait de se réaliser. Le Seigneur avait dit à Rebecca : "Le plus grand sera assujetti au plus petit". Isaac, de par la réponse qu'il donna aux supplications d'Esaü privé de sa bénédiction, venait le confirmer : "Tu seras assujetti à ton frère"(Gen. 27:40). 

Ayant eu connaissance des projets fratricides d'Esaü, Rebecca usa une fois de plus d'un stratagème auprès d'Isaac afin qu'il envoie Jacob chercher une épouse dans sa famille, à Charan (Gen. 27:42 à 28:1) et qu'il échappe ainsi au courroux meurtrier de son frère. Rebecca conseilla donc à son fils cadet de fuir chez son oncle Laban, à Charan. Prétextant la nécessité de trouver une épouse pour Jacob qui soit de leur lignée, elle s'en ouvrit à Isaac. Celui-ci envoya Jacob à Paddan-Aram, chez son beau-père Bethuel, afin qu'il y trouve une épouse auprès des filles de Laban, son beau-frère. Ce voyage devait permettre aux choses de se calmer et à Esaü de laisser tomber sa fureur. Rebecca aurait fait revenir son fils lorsque les choses se seraient apaisées. La mère de Jacob avait dit à son fils : "alors je te ferai revenir" (Gen. 27:45). Isaac envoya Jacob avec sa bénédiction, et il "fit partir Jacob qui s'en alla" (Gen. 28:5). Mais ni l'un ni l'autre ne savait encore que le voyage de leur fils, qui aimait tant rester sous les tentes, allait durer vingt longues années. Et Rebecca ne revit jamais son fils bien-aimé.

Lorsque Jacob retrouva son père à Mamré, "où avaient séjourné Abraham et Isaac", il n'est plus fait mention de Rebecca. On peut donc supposer qu'Isaac devint veuf durant le séjour de Jacob chez Laban. Jacob avait quitté ses parents vingt années auparavant, muni seulement de son bâton. Il revenait deux fois marié, avec en plus deux concubines et treize enfants (douze fils et une fille). Isaac avait perdu une épouse, il retrouvait une postérité. Il mourut âgé de cent quatre-vingts ans. Jacob et Esaü, les deux frères ennemis, devaient se retrouver, réconciliés, devant la tombe de leur père.

La vie de Jacob fut riche en événements. Mais il en est un en particulier qui a suscité beaucoup d'intérêt. Celui d'un songe que fit Jacob une nuit, entre Beer-Schéba et Charan. 
 

Carte du voyage de Jacob, de Beer-Schéba à Charan, et retour


Le Lieu, la pierre et l'escalier

L'Ecriture nous dit que "Jacob partit de Beer-Schéba pour Charan". Un voyage qui devrait durer approximativement un mois.  Jacob l'ignore encore, mais une étape intermédiaire va transformer ce voyage. La nuit tombe, et Jacob s'apprête à la passer là où l'ont conduit ses pas. L'endroit lui semble convenable pour y dormir. Rien ne laisse supposer, à priori, que ce lieu puisse avoir quelque chose de particulier. Pourtant, le texte nous dit que "Jacob atteignit le lieu" (Gen. 28:11). L'avait-il vu de loin ? Avait-il projeté de s'y arrêter ? Jacob avait quitté Beer-Schéba et se dirigeait vers Charan. Le voyageur avait un point de départ et une destination, mais "il atteignit le lieu". Ce "lieu-là" n'était pas qu'une simple étape, c'était une destination en soi. Jacob avait un rendez-vous divin. Ce "lieu", c'était Dieu Lui-même ! Car les Sages d'Israël ont dit que "Le Lieu" est l'un des Noms de Dieu. Selon qu'il est écrit que "Il atteignit le lieu", on peut également comprendre que Jacob vint, en quelque sorte, dans la Présence de Dieu. Il atteignit Le Lieu où était Dieu. Pour affirmer cela, les Sages se basent sur cette conclusion de Jacob : "akenyesh Adonaï bamaqowm ha zèh" ("assurément il y a Dieu dans ce lieu"). Mais cette rencontre va se faire sous la forme d'un songe.

Toujours au verset 11, il est dit, littéralement : "Et il prit parmi les pierres de le lieu et il plaça à sa tête et il se coucha dans le lieu". Jacob va se confectionner un appui-tête avec une pierre. Une tradition rabbinique dit que Jacob prit douze pierres (du nombre des futurs fils d'Israël) qu'il empila pour pouvoir y poser sa tête. Comment en sont-ils arrivés à cette conclusion ? La formulation du texte présente en fait une étrangeté. Il n'est pas dit qu'il prit une pierre parmi d'autres, mais "il prit parmi les pierres de". Qu'a-t-il pris ? A cette question, les Sages d'Israël ont répondu : "Il a pris douze pierres". Les Sages ont dit : "Lorsque le texte (en hébreu) présente une forme atypique, une "anomalie", c'est qu'il y a là un "mystère", quelque chose de caché qu'il faut chercher à découvrir. Or, le livre de l'Exode raconte que, avant que Moïse ne monte sur le Mont Sinaï, "il se leva de bon matin, construisit un autel au pied de la montagne et dressa douze pierres pour les douze tribus d'Israël" (Ex. 24:4). La montagne du Sinaï fut, pour Moïse, "Le Lieu" où il rencontra Dieu. Peut-être est-ce de ce texte que les Sages ont tiré leurs conclusions. Dans ce cas, cet épisode de la vie de Jacob préfigurait celui de la vie de l'un de ses descendants. La rencontre de Jacob avec Dieu à Péniel annonçait déjà, en quelque sorte, la rencontre de Moïse au Sinaï. Comme il est écrit dans les Commentaires des Sages : "Ce qui est arrivé aux Patriarches est une préfiguration de ce qui arriverait aux fils".

Le Seigneur Jésus dira, en parlant des prophéties de Daniel : "Que celui qui lit fasse attention" (Matth. 24:15). Les Prophètes ont utilisé cette formule avant lui pour signifier que là, dans le texte, il y a quelque chose qu'il faut déchiffrer, comprendre, interpréter. Quelque chose sur quoi il faut s'arrêter attentivement. Forts de ce principe, les Sages ont conclu que, dans cette phrase énigmatique, il y avait un "sod", "un "secret caché qui doit être révélé". Ce mystère est encore renforcé par ce qui est dit un peu plus loin au verset 18 : "Et il prit des pierres de l'endroit... et il prit la pierre" (Gen. 28:11, 18). Après que Jacob se soit réveillé, il va prendre "la pierre" sur laquelle il avait posé sa tête pour passer la nuit et il va l'oindre d'huile, comme un mémorial pour sceller ce lieu où il a rencontré Dieu. Cette pierre pouvait être également un rocher. Or, "le Rocher" est aussi l'un des Noms de Dieu. J'y reviendrai plus loin. Cette nuit-là, Jacob va faire un songe. Dans son songe, Jacob voit un "soulam", que l'on a généralement traduit par "échelle", mais qui est en réalité un "escalier" comme ceux que l'on pouvait voir sur les ziggourats de Babylonie. Cet escalier était posé sur le sol et avait son extrémité supérieure au ciel, et des anges y montaient et en descendaient. 
 


On pourrait s'interroger sur la nature de cet escalier. Les ziggourats étaient considérées, par les Babyloniens, comme des ponts entre la terre et le ciel, reliant le monde physique au monde spirituel. C'étaient également des lieux où l'on adorait des divinités païennes. Pourquoi Dieu a-t-il utilisé ce qui semble être l'image d'une construction humaine vouée spécifiquement au paganisme ? Parce que Charan est en Babylonie. Charan est une cité florissante, une ville commerçante reliant la Babylonie à la Méditerranée. Il ne serait donc pas étonnant que Jacob puisse y voir çà et là de ces tours graduées dédiées aux dieux locaux. La stature imposante de ces bâtiments avait pour but, entre autres, d'impressionner les voyageurs en leur démontrant la suprématie de leurs dieux. Ce songe a donc pour but de le mettre en garde. Dans ces grandes cités de l'Antiquité, Jacob pouvait faire figure de provincial découvrant la ville, son agitation, sa cohue, et surtout ses nombreux temples voués à tous les dieux. Mais il fallait que Jacob demeure fermement attaché à son Dieu, le Dieu de son père Isaac et de son grand-père Abraham qui vécut un temps à Charan.

Dans son songe, Jacob va voir des anges monter et descendre cet escalier, et Dieu se tenait à son sommet. Et Dieu se présente à Jacob comme "le Dieu d'Abraham et d'Isaac". Et dans son songe, Dieu dit à Jacob : "La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à ta postérité" (Gen. 28:13). La Promesse que Dieu fait a Jacob est riche de sens. Et si la vision du "soulam" (de l'escalier) est là pour lui rappeler de ne pas se laisser impressionner ou séduire par ce qu'il va découvrir, cette parole de Dieu lui enjoint de ne pas oublier qu'un jour il reviendra sur cette terre où il se tient présentement. Et cette terre où il se tient reviendra à la postérité que Dieu va lui accorder. Il sait maintenant que son voyage aboutira. Il trouvera une épouse, aura des enfants et les fera hériter de cette terre que Dieu avait déjà promise à son père et à son grand-père avant lui.

En substance, Dieu dit à Jacob : "Ne t'attache pas à ce lieu où tu vas ! Tu en reviendras parce que c'est ta destinée et celle de ta postérité !". Et comme pour assurer Jacob de sa protection bienveillante, des anges montent et descendent de cet escalier. Jacob bénéficiera, durant son séjour à Charan, d'une "protection rapprochée". Une escorte angélique l'accompagnera durant tout son voyage. 

Une bonne escorte

Si cette activité angélique a de quoi surprendre, le sens qu'il faut lui attribuer se trouve, une fois de plus, dans les mots eux-mêmes. Les anges "montent" et "descendent". Le sens de ces mots sera donné ultérieurement, dans d'autres textes de l'Ecriture, lorsque Jérusalem devint le centre religieux et stratégique du peuple d'Israël : on disait que l'on "monte" à Jérusalem lorsque l'on s'y rendait et que l'on "descend" lorsqu'on s'en éloignait. Jacob "descend" à Charan et il "remontera" un jour en Canaan. Mais il ne partira pas seul. Une escorte l'accompagnera. Jacob voyage à la fois seul et accompagné. Les routes ne sont pas sûres, mais il est bien entouré. Nul n'oserait s'approcher de lui avec de mauvaises intentions.

Au dix-neuvième Siècle, un missionnaire raconta qu'il s'étonnait fort d'avoir pu s'enfoncer dans des terres inhospitalières sans avoir fait aucune mauvaises rencontres, alors que la dite région était truffée de brigands de grands chemins. Plus tard, il lui fut donné de rencontrer l'un de ces brigands qui se souvenait bien de lui. Lorsque le missionnaire lui demanda pourquoi il ne l'avait pas attaqué, celui-ci lui répondit : "Pas fou ! Vous étiez entouré d'une solide escorte de soldats bien armés !". Le missionnaire en fut surpris car il s'était aventuré seul dans cette contrée hostile, personne n'ayant voulu l'accompagner. Assurément, ce missionnaire avait bénéficié, tout comme Jacob, d'une "escorte" d'un genre tout particulier. "L’Éternel gardera ton départ et ton arrivée, dès maintenant et à jamais" (Psaume 121: 8). Il est probable que le Psalmiste se soit inspiré, pour rédiger cela, de cet autre verset : "Tu seras béni à ton arrivée et tu seras béni à ton départ" (Deutéronome 28:6).

"Le Lieu" où Jacob avait passé la nuit était plus qu'une étape. C'était, en soi, une destination. "Jacob atteignit le lieu". Il lui fallait maintenant repartir, enrichi d'une bénédiction nouvelle. Jacob avait quitté Beer-Schéba avec la bénédiction de son père Isaac. Il reprenait maintenant la route, équipé, escorté, avec dans son cœur une Promesse : celle de pouvoir donner en héritage à sa postérité, ce lieu où il avait rencontré Dieu. 
 

Site de Béthel


Deux camps 

Ce double mouvement ascendant et descendant est riche de sens, mais il en est encore un aspect qui n'a pas été abordé. Pour le comprendre, il nous faut nous projeter vingt ans plus tard, lors du retour de Jacob. "Alors, Dieu dit à Jacob : Retourne au pays de tes pères et dans ton lieu de naissance et je serai avec toi" (Gen. 31:3). Jacob prit ses femmes, ses enfants et ses troupeaux, et partit sans en avertir son employeur de beau-frère (Gen. 31:17, 18). Furieux que Jacob soit ainsi parti précipitamment et "à la cloche de bois", Laban se lança à sa poursuite. Lorsque les deux hommes se furent rencontrés, Ils décidèrent finalement de se séparer en bons termes, mais convinrent qu'ils ne se reverraient plus désormais (Gen. 31:52).

Le texte se poursuit ainsi : "Jacob poursuivit son chemin et des anges le rencontrèrent. En les voyant, Jacob dit : C'est le camp de Dieu ! Et il donna à ce lieu le nom de Mahanaïm. Jacob envoya devant lui des messagers à Esav, son frère" (Gen. 32:1 à 3). Après qu'il eut quitté son beau-frère, Jacob devait maintenant envisager de confronter le courroux de son frère Esav.

Après la confrontation avec son beau-frère Laban et avant qu'il ne retrouve son frère Esav, des anges vinrent à la rencontre de Jacob, qui appela le lieu de cette rencontre "Mahanaïm" (les deux camps). Des anges l'avaient accompagné dans son voyage à Paddan-Aram, mais lorsque Jacob reviendra sur la terre de ses pères, d'autres anges seront là pour l'accueillir et l'escorter. En ce lieu-là, les deux camps d'anges vont "faire la relève". Les anges qui ont accompagné Jacob durant son séjour en dehors de la terre de Canaan vont le laisser et le confier au "deuxième camp", celui des anges venus à sa rencontre de la terre de Canaan. 

Comment expliquer cela ? Ce n'est peut-être pas un très bon exemple, mais je m'en référerai à l'époque de la "Guerre froide" où l'espionnage sévissait en Allemagne de l'Est comme de l'Ouest. Lorsqu'un espion était pris, il pouvait être "échangé" avec un autre du camp adverse. Le prisonnier passait donc ainsi d'un camp à l'autre par une zone neutre. Des militaires des deux armées se tenaient de chaque côté de cette zone-tampon.  Une fois de l'autre côté, l'espion était sous la protection de l'autre camp. Les militaires, quant à eux, se gardaient bien de dépasser la limite du territoire qui était sous leur autorité.

Toute proportion gardée, il me semble que c'est ce qui a pu se passer pour les anges-escorteurs de Jacob. C'était une question territoriale. A chaque camp d'anges était imparti un "territoire" sur lequel ils avaient autorité et sur lequel ils opéraient. Mais il ne leur était pas permis d'en dépasser les limites. Chaque "camp" avait un espace délimité où il pouvait interagir. Ainsi, l'expression "changer de camp", si elle est explicite, n'en recouvre pas moins pour Jacob un tout autre sens. 

Un lieu et un nom 

Alors que son frère Esav est en route pour venir à sa rencontre avec quatre cents hommes et des intentions que l'on peut imaginer des moins pacifiques, Jacob va vivre une rencontre pour le moins inhabituelle. Après avoir passé le torrent de Jabbok avec sa famille, ils campèrent là pour la nuit. Jacob s'éloigna et demeura seul. Un homme vint et lutta avec lui jusqu'à l'aurore. Voyant qu'il ne pouvait le vaincre, l'homme le frappa à la courbure de la hanche. Jacob gardera, en sa chair, la marque de ce combat qui l'obligera à boiter jusqu'à la fin de sa vie. Cet homme avec qui il se battait, et qui n'était autre que l'ange de l’Éternel, lui donna un autre nom : Israël ("Celui qui lutte avec Dieu"). L'auteur de l’Épître aux Hébreux dit de lui qu'à la fin de sa vie "il adora Dieu appuyé sur son bâton" (Héb. 11:21).

Jacob portera toute sa vie, dans sa chair, la marque de cette rencontre divine. Ce bâton était celui avec lequel il était parti de Beer-Schéba pour se rendre à Charan. "J'ai passé ce Jourdain avec mon bâton et maintenant je forme deux camps" (Gen. 32:10). Jacob parle visiblement de son voyage aller et de son retour. 

 


Une pierre ointe

Mais j'en reviens ici à la pierre dont Jacob avait fait son chevet. Sujet sur lequel il y aurait beaucoup à dire. Il est écrit qu'"Il prit parmi les pierres", mais que prit-il ? On serait en droit de supposer qu'il prit une pierre parmi d'autres, mais cela n'est pas explicitement mentionné. Or, dans les Écritures, une omission est toujours volontaire. Pas un mot, pas une lettre n'apparaît (ou pas) dans le texte sans raison. L'absence d'un mot ou d'une lettre a autant à nous dire que sa présence. La tradition rabbinique dit, comme je l'ai mentionné plus haut, que Jacob aurait ramassé douze pierres qu'il aurait entassées l'une sur l'autre pour en faire son chevet mais qu'au réveil, il aurait pris la pierre, l'aurait dressée, et qu'il l'aurait ointe avec de l'huile. André Chouraki traduit : "il l'a méssiée", ce qui est, comme dit J.M. Thobois, "un chourakisme". Chouraki utilise ici un néologisme pour souligner la similitude entre le fait de "oindre" et la signification du mot "Massiah" (le Messie, "celui qui est oint")Ici, une fois encore, le texte hébreu original jette des ponts, souligne des similitudes, élabore des rapprochements intraduisibles que seul le texte original peut révéler. 

La pierre sur laquelle était posé le "soulam" (l'escalier reliant la terre et le ciel) fait ainsi directement allusion au "Rocher", c'est à dire à Dieu lui-même, puisque "le Rocher" est aussi l'un des Noms de Dieu, selon qu'il est écrit : "ils se souvenaient que Dieu était leur rocher" (Psaume 78:35). Le Psalmiste fait probablement référence à ce texte du Deutéronome où il est explicitement écrit de Dieu qu'"Il est le rocher". L'apôtre Paul, écrivant aux chrétiens de Corinthe, reprendra cette référence au Nom divin en disant : "Ce rocher, c'était Christ" (1 Cor. 10:4). Or, le mot "Christ" (Christos en grec) signifie "celui qui est oint". Cette pierre ointe par Jacob dans "le Lieu" où il avait rencontré Dieu annonçait prophétiquement la Présence de ce Rocher au sein de ce peuple qui allait naître de sa descendance. L'apôtre Paul fera d'ailleurs référence à cette lignée à laquelle il appartient. Selon ses propres paroles, Paul était en effet "de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d'Hébreux" (Philippiens 3:5). La tradition rabbinique ne dit-elle pas : "Ce qui est arrivé aux Patriarches est une image de ce qui arrivera à leurs descendants" ?

"Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria : Vraiment c'est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas ! Il eut peur et s'écria : Que ce lieu est redoutable ! Il n'est autre que la maison de Dieu, c'est la porte du ciel. Jacob se leva de bon matin, il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l'érigea en stèle et versa de l'huile au sommet. Il appela ce lieu Béthel - c'est à dire maison de Dieu" (Gen. 28:16 à 19). 

Avant de poursuivre cette réflexion, il me faut, une fois encore (comme je l'ai fait déjà dans d'autres articles), revenir sur un petit détail. Il est écrit : "wayykah èt ha even", "et il prit (èt) la pierre". Ce petit mot "èt" apparaît régulièrement dans le texte hébreu. Ce mot est en réalité intraduisible. Il apparaît même parfois sans que sa présence soit justifiée. Les Sages d'Israël se sont donc penchés sur ce mot et leurs conclusions diffèrent et se rejoignent tout à la fois. Mais l'interprétation qui nous intéresse dans ce cas précis est que ce petit mot "èt" désignerait le Massiah (le Messie). Ainsi, chaque fois que ce mot apparaît dans le texte, il y souligne la Présence de Dieu sous la forme de Son Massiah. Le Seigneur est effectivement présent à chaque page de l'Ecriture. Même si son Nom n'est pas spécifiquement mentionné, Il l'est par le souffle de son Esprit qui a directement inspiré ces Écrits. Et donc, s'il est écrit : "wayykah èt even"", on pourrait, à la lueur de cette interprétation, lire : "et il prit le Massiah la pierre", ou "il prit la pierre du Massiah". Ce qui rapproche encore plus la notion de "pierre ointe" par Jacob avec celle du Massiah (Celui qui est oint)

Le texte dit ensuite : "il prit la pierre dont il avait fait son chevet, l'érigea en stèle et versa de l'huile au sommet". Littéralement : "et il prit (èt) la pierre que il avait placée à sa tête et il plaça elle une pierre levée et il versa de l'huile sur la tête d'elle". Le texte souligne ici un rapport étroit entre "la tête de Jacob" (en rapport à son songe) et la "tête" de la pierre. "La tête" est, dans l'esprit hébraïque de la Bible, symbole de "Chef". L'apôtre Paul écrira aux chrétiens de l'église de Colosses : "il (Christ) est la tête du corps de l'Eglise" (Col. 1:18). Comme je l'ai dit plus haut, l'apôtre Paul (bien qu'il soit l'apôtre des païens) est un Hébreu qui pense comme un Hébreu. "... Et il versa de l'huile sur la tête d'elle (la pierre levée)". 
 


Une onction royale

"Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d'Abraham. Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères... Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus qui est appelé Christ (le Oint)" (Matthieu 1:1, 2 et 16). 

Ce texte mentionne la filiation directe du Messie (le Christ), "fils de Juda, fils de Jacob". La filiation de Jésus le mentionne en premier lieu comme "fils de David". Or, le mot "Massiah", selon sa signification complète, veut dire "le roi qui est oint". De par sa descendance davidique et son appartenance à la tribu de Juda, Jésus est roi. De par sa descendance d'Abraham, Isaac et Jacob, il est également un Hébreu (tout comme l'apôtre le reconnaîtra lui-même). Il est donc roi de par sa lignée comme de par sa descendance. Il est donc homme mais il est également Dieu. S'il ne l'était pas, il ne pourrait être "le Rocher" dont les Écritures font mention. Mais s'il est le Rocher mentionné dans les Écritures, il est également "la Pierre Angulaire" (Ephésiens 2:20). L'apôtre Paul fait probablement allusion, en mentionnant cette "pierre" si particulière, à ce texte d'Esaïe qui dit : "Ainsi parle le Seigneur : j'ai mis pour fondement en Sion une pierre, une pierre éprouvée, une pierre angulaire de prix, solidement posée" (Esaïe 28:16). Ce texte d'Esaïe fait lui-même écho à une question que Dieu posa à Job : "Où étais-tu quand je fondais la terre ?... sur quoi ses bases sont-elles appuyées ? Qui en a posé la pierre angulaire ?... ". 

"Où étais-tu quand je fondais la terre ? Sur quoi ses bases sont-elles appuyées ?" demande Dieu à Job. Sur cette même terre que Dieu avait créée, l'escalier du songe de Jacob était posé. Et cette pierre sur laquelle reposait sa tête durant son sommeil devait être dressée et ointe. A son retour de Paddan-Aram, lorsque Jacob va faire la rencontre de l'ange de l’Éternel, celui-ci lui donnera un nouveau nom : Israël, avec cette promesse : "Des rois sortiront de tes reins" (Gen. 35:10 et11). 

Jacob était parti "de Beer-Schéba pour aller à Charan", et de Paddan-Aram il revint à Hébron. Mais spirituellement, Jacob partit de Péniel, là où il avait vu "la face de Dieu", et il revint à Bethel, "la maison de Dieu". Cette "maison de Dieu" (le Temple) fut bâtie beaucoup plus tard sur une montagne qu'Abraham avait gravie avec son fils Isaac, la montagne de Morijah. Cette maison fut bâtie sur "la pierre angulaire" de la foi au Dieu d'Israël et en Son Messie qui devait venir. L'auteur de l’Épître aux Hébreux dira que "chaque maison est construite par quelqu'un mais celui qui construit toutes choses c'est Dieu" (Héb. 3:4). Plus loin, ce même auteur rappellera l'alliance que Dieu a contractée avec "la maison d'Israël" (la postérité de Jacob à qui Dieu avait promis cette terre où Jacob avait fait ce songe). Paul écrira à Timothée que "la maison de Dieu est l'Eglise du Dieu vivant" (1 Tim. 3:15). Et Pierre, apôtre des Juifs, écrira à ceux de la Diaspora qui ont reconnu Jésus comme leur Messie : "Et vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle" (1 Pierre 2:5). Peut-être, en formulant ces mots, pensait-il aux douze pierres que Jacob avait entassées pour s'en faire un chevet afin d'y poser sa tête ? Péniel, ce "Lieu" où Jacob a vu "la face de Dieu", nourrira encore bien des réflexions. Il est le lieu où fut posée autrefois la pierre angulaire, celle sur laquelle repose pour toujours notre espérance et notre foi. 

 

JiDé

Le torrent de Jabbok - Aujourd'hui, le Jabbok s'appelle Nahr EZ-Zarpa, ce qui signifie "Rivière Bleue", en référence à la teinte bleue de ses eaux. Le Jabbock coule à travers des canyons profonds et accidentés et son courant à certains points est assez fort, surtout à la saison des pluies.

Le torrent de Jabbok - Aujourd'hui, le Jabbok s'appelle Nahr EZ-Zarpa, ce qui signifie "Rivière Bleue", en référence à la teinte bleue de ses eaux. Le Jabbock coule à travers des canyons profonds et accidentés et son courant à certains points est assez fort, surtout à la saison des pluies.

L'échelle de Jacob
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