Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Job, portrait d'un homme de notre temps

Job, portrait d'un homme de notre temps

Pourquoi la souffrance ? Pourquoi le Juste, l'innocent, souffre-t-il ? Ce questionnement est légitime et il est universel. On ne peut aborder le livre de Job sans s'interroger à ce sujet. Mais peut-on véritablement répondre à ces questions ? Beaucoup s'y sont essayés. Il est vrai que ce livre poignant apporte des réponses, mais il ne promet pas que nous puissions l'éradiquer. En faisant le choix d'écrire sur le livre de Job, il m'aurait été difficile de ne pas aborder ce thème. Pourtant, tant de choses ont déjà été dites, et certainement, bien mieux que je ne pourrais le faire. Si la souffrance est intimement liée à notre humanité, elle n'en demeure pas moins personnelle. Chacun a de celle-ci sa propre expérience. Elle est individuelle. Ce thème, qui transcende le temps et les époques, rend le livre le plus vieux de la Bible toujours actuel. Job est un livre d'hier et d'aujourd'hui. 

Bien que la personnalité de Job me semble présenter le plus grand intérêt, l'homme semble cependant, et pour toujours, intrinsèquement lié au thème de son livre. Ainsi, pour m'approcher de ce personnage, j'ai fait le choix de m'en éloigner. De prendre du recul pour jouir d'une meilleure perspective. Pour pouvoir poser un regard plus large, à une échelle plus grande que celle de l'individu. Tout en tenant compte du fait que la souffrance touche l'être humain dans ce qu'il a de plus intime, à la trame de son être, jusqu'au "cordon d'argent" qui le relie à la vie (Ecclésiaste 12:6). La maladie, cette ennemie de l'humanité, n'a pas de frontières. "L'homme naît pour souffrir comme l'étincelle pour voler" (Job 5:7). En ne disant que cela, on touche déjà à la fragilité de l'existence, à ce qu'elle a d'éphémère. "Insensé, ne sais-tu pas que cette nuit même ton âme te sera redemandée, et ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il ?" (Luc 12:20). Car, bien évidemment, on ne peut aborder le sujet de la maladie sans parler de son sombre corollaire, la mort, cette ombre noire qui, bien souvent, lui tient la main. L'une et l'autre s'introduisent subrepticement dans les demeures, même des hommes les plus droits. Ensemble, elles parcourent les rues des villes et des villages. Elles frappent sans distinction d'âge, de race, de religion, de bonne ou de mauvaise fortune. Elles travaillent ensembles ou séparément. Elles s'en prennent à des êtres chers, des êtres de chair. et se les approprient.

La maladie ampute, déchire, blesse, souille, handicape. Elle touche au corps, à l'âme, à l'esprit. Elle prive de la mémoire, de la force, de l'autonomie. Elle touche à l'essence même de notre être. Elle dévore de l'intérieur comme une bête immonde. Elle ne lâche que difficilement sa proie. Elle n'abandonne pas facilement la partie. Qu'elle gagne ou qu'elle perde, elle ne laisse jamais intact celui sur qui elle a jeté son dévolu. Elle est invisible, mais elle laisse, sur les corps de ses victimes, les plaies infectieuses de ses griffes. Elle peut frapper une ville, une région, un pays et même un continent. Mais une société peut aussi être malade. Cette ombre grise peut couvrir un pays industrialisé, paralyser son économie, stopper sa course. L'arrêter en plein vol, tel un oiseau pris dans un filet d'oiseleur (Ecclésiaste 9:12). Et si Job, c'était aussi la société dans laquelle nous évoluons aujourd'hui ? 

L'homme et son lieu

En rédigeant cet article, j'ai fait un choix que l'on pourrait qualifier d'atypique. Celui d'y introduire un mini-récit, une courte histoire que l'on aurait pu, autrefois, comparer à une sorte de parabole. Comme l'une de ces nombreuses histoires que les Sages d'Israël utilisaient pour illustrer leurs propos. Une histoire qui jette un pont entre l'époque reculée de Job et la nôtre. Entre le Proche-Orient et le Monde Occidental. Entre deux civilisations qui n'ont cessé de s'affronter faute de ne pouvoir se comprendre*
 


Roissy. Un homme en complet bleu attend d'embarquer. Son attaché-case posé sur le siège à côté de lui, il tient une liasse de feuille d'une main, un stylo de l'autre. Il tente de ne pas penser à cette douleur lancinante qui lui perce le côté depuis quelques jours. Il ne pouvait attendre les résultats d'examens. Un rendez-vous urgent l'appelait ailleurs. Sur le tarmac, un véhicule se dirige vers le transporteur qui vient de couper ses moteurs. Le conducteur est inquiet. Son unique enfant a été conduit d'urgence à l’hôpital quelques jours auparavant. Les médecins semblent dans l'incapacité de déterminer la raison de son mal. La maladie ne fait aucun cas de la situation sociale de ses victimes. Job, lui, était un homme fort riche, influent et respecté. Jusqu'à ce qu'un jour…


"Il y avait, dans le pays d'Uts, un homme qui s'appelait Job" (Job 1:1). C'est ainsi que débute le récit. Mais il aurait pu tout aussi bien se dérouler ailleurs, dans un autre temps, un autre lieu. Chronologiquement, le livre de Job vient directement après le chapitre 10 du livre de la Genèse (la table des nations). Cet antique ouvrage commente le problème universel de la souffrance et, en cela, il est pleinement dans la continuité de Genèse 10 car la souffrance est un thème universel qui touche toutes les nations. "Uts" signifie en hébreu "conseiller, faire des projets, tenir conseil, consulter" Après leur création (Genèse 10), vient "le Conseil des Nations" (Job 1). Uts fut le père fondateur d'une tribu araméenne descendant de Sem, fils de Noé (Gen. 10:21 à 23), et  apparenté à Dischan, le Horien, de la montagne de Séïr (Gen. 36:20, 21, 28). Le pays où vécurent ses descendants portait encore son nom. Job était l'un d'eux. Si ces généalogies semblent, de prime abord, rébarbatives, elles sont remplies d'informations de première importance. Elles ne les livrent cependant qu'à ceux qui prennent le temps de s'y intéresser. Nachor, frère d'Abraham, eut un fils qu'il appela Uts (Gen. 22:20, 21), S'il est communément reconnu que Job vécut à l'époque des patriarches, le nom du fils de Nachor fait le lien avec cette période reculée de l'Histoire. "Ce sont là les fils de Sem, selon leurs familles, selon leurs langues, selon leurs pays, selon leurs nations. Telles sont les familles de Noé selon leurs générations, selon leurs nations. Et c'est d'eux que sont sorties les nations qui se sont répandues sur la terre après le Déluge" (Genèse 10:31, 32). Je précise au passage, comme je l'ai déjà fait dans d'autres articles de ce blog, que les "nations" ne sont pas apparues après l'épisode de la tour de Babel. Elles lui étaient antérieures, selon ce que dit l'Ecriture : "C'est d'eux (les trois fils de Noé) que sont sorties les nations qui se sont répandues sur la terre après le Déluge". L'auteur utilise le Déluge comme repère chronologique pour situer la dispersion des nations. De plus, il mentionne explicitement les fils de Noé comme étant à l'origine de ces nations, et non la population de Babel. Nous sommes ici face à un exemple typique de la façon dont la tradition interprétative a supplanté une affirmation claire du texte biblique. Je ferme la parenthèse. 

La descendance d'Uts vient de l'une de ces nations, et c'est d'elle que Job est issu. Cette simple phrase de Job 1:1 est ainsi infiniment plus riche qu'il n'y paraît d'un premier abord. L'auteur ne mentionne pas seulement le lien d'origine de Job, il lui fait remonter toutes ses généalogies. L'auteur inscrit d'emblée son personnage dans un cadre historique et géographique. Job est un fils de Sem, fils de Noé. Le pays dont il est originaire a été fondé peu après le Déluge ("selon leurs langues, selon leurs pays, selon leurs nations" Genèse 10:31). Job appartient à un peuple qui tire son origine  des temps postdiluviens les plus anciens. Le Psalmiste écrit, parlant des peuples : "C'est dans Sion qu'ils sont nés. Et de Sion il est écrit : tous y sont nés… et l'Eternel compte en inscrivant les peuples. C'est là qu'ils sont nés" (Psaume 87:4 à 7). Étonnamment, le Psalmiste semble dire que toutes les nations sont nées à Sion. Peut-être fait-il, en cela, allusion à ce texte de la Table des nations qui mentionne la descendance de Sem lorsqu'il est dit : "Il naquit aussi des fils à Sem, père de tous les fils d'Heber" (Gen. 10:21). Héber étant généralement considéré comme l'ancêtre des Hébreux (Ibrïm). La descendance d'Heber va, comme on le sait, jouer un rôle prépondérant dans l'histoire biblique, mais plus encore, dans l'Histoire d'une l'humanité nouvelle qui n'en est encore là qu'à ses premiers balbutiements, après que le Déluge eut emporté avec lui l'ancien monde. 

Le pays d'Uts 

Le lecteur du livre de Job passe généralement très rapidement sur ce verset introductif qui situe l'action dans un lieu quelconque, quelque part en Orient. Cette région est en réalité bien identifiée, et elle a joué un rôle prépondérant dans l'Histoire des hommes. Les Edomites occupèrent cette région à l'époque du prophète Jérémie (Lamentations 4:21). Le pays d'Uts se situait alors entre Damas et le pays d'Edom. Il s'étendait à la fois sur la partie orientale d'Edom et sur le Nord de l'Arabie. Au début de notre ère, cette région formait une frontière avec la Syrie romaine. Situé aujourd'hui dans le Hauran, une région limitée au Nord par le Golan et au Sud  par le royaume de Jordanie, c'est l'une des régions les plus fertiles de Syrie, particulièrement réputée pour ses vignobles. Tout au moins avant que la guerre n'éclate. Le Hauran fait partie des régions syriennes qui furent favorisées sous le régime de Hafez-el-Assad dans les années quatre-vingt dix, à la fin du siècle dernier. Cette région a également fourni de nombreux cadres du parti Baas, promulguant la réunification des Etats Arabes en une seule nation. Il serait erroné de penser que ce projet est une pure utopie. En réalité, ce projet trouve sa source dans une période de l'Histoire des hommes où les frontières n'existaient pas encore. Car c'est seulement à l'époque de Péleg (Genèse 10:25) que le monde fut divisé et que les premières limites frontalières firent leur apparition.
 


Le haut fonctionnaire syrien que "l'homme au complet bleu" doit rencontrer est né à Damas de famille aisée, mais il n'en oublie pas pour autant ses origines druzes. Il n'oublie pas que ce peuple dont il est issu a connu le génocide. Son désir de voir s'unir les nations arabes dans une grande coalition religieuse, politique et économique est en partie motivée par le désir de voir une paix durable s'instaurer enfin dans ce Proche-Orient si souvent soumis aux conflits. Les deux hommes se connaissent bien. Ils se sont rencontrés souvent. Tous deux ont fait leurs études en Angleterre. Cependant, bien des choses les séparent. Une en particulier. L'opinion que tous deux se font de ce petit pays accolé à la Méditerranée et dont, bien évidemment, le parti Baas conteste la légitimité.


Uts d'hier et d'aujourd'hui

Lorsque l'on aborde le livre de Job, on s'attarde généralement sur la souffrance de celui-ci et la raison éventuelle d'une telle affliction. On observe "les amis de Job", on écoute attentivement leurs argumentations. On disserte sur la validité de celles-ci. On s'interroge sur l'attitude de Job face à la douleur. De tout cela, chacun en retire les conclusions qui lui semblent les plus judicieuses. J'ai choisi, l'espace d'un instant, le temps de rédiger cet article, d'oublier l'appartenance du livre de Job à la littérature sapientielle pour l'aborder sous un autre aspect. Car, en allant du particulier à un espace plus large, on peut y retrouver les mêmes principes qui interagissent à l'échelle humaine comme à celle des nations. Pour l'une comme pour l'autre, on retrouve le cœur de l'homme, socle commun de tous ses possibles. A ce carrefour où se croisent à la fois son Passé et son Devenir, ses héritages et ses plus grandes réalisations, l'homme, qu'il le veuille ou non, est toujours issu d'un peuple ou d'un autre. Et chacun d'entre ces peuples a tracé, au fil des siècles, un sillon profond dans la terre des nations. Et cela, avec une longue cohorte de douleurs et de souffrances dont le souvenir, loin de s'estomper, grave dans le sol comme le burin dans le marbre, pour y laisser à jamais une cicatrice béante. Les auteurs bibliques ont su, avec toute l'intelligence qui est la leur, rappeler au souvenir l'ombre de ceux qui les ont précédés (comme Job). Prendre à témoin leurs contemporains (comme Daniel) ou encore se revendiquer des pères fondateurs de cette humanité nouvelle (comme Noé). Le livre de Job ne souffrira en rien de cette innovation. 

Cette approche permet d'élargir la perspective et d'observer les événements qui y sont relatés sous un angle tout à fait nouveau. C'est également ce que semble vouloir dire le prophète Ézéchiel lorsqu'il écrit : "La parole de l'Eternel me fut adressée en ces mots : Fils de l'homme, lorsqu'un pays pécherait contre moi en se livrant à l'infidélité, et que j'étendrais ma main sur lui, si je brisais pour lui le bâton du pain, si je lui envoyais la famine, si j'en exterminais les hommes et les bêtes, et qu'il y eût au milieu de lui ces trois hommes, Noé, Daniel et Job, ils sauveraient leur âme par leur justice, dit le Seigneur, l'Eternel. Si je faisais parcourir le pays par des bêtes féroces qui le dépeupleraient, s'il devenait un désert où personne ne passerait à cause de ces bêtes et qu'il y ait au milieu de lui ces trois hommes, je suis vivant, dit le Seigneur l'Eternel, ils ne sauveraient ni fils ni filles, eux seuls seraient sauvés, et le pays deviendrait un désert. Ou si j'amenais l'épée contre ce pays, si je disais : que l'épée parcoure le pays ! Si j'en exterminais les hommes et les bêtes et qu'il y eût au milieu d'eux ces trois hommes, je suis vivant dit le Seigneur, l'Eternel, ils ne sauveraient ni fils, ni filles, mais eux seuls seraient sauvés. Ou si j'envoyais la peste dans ce pays, si je répandais contre lui ma fureur par la mortalité pour en exterminer les hommes et les bêtes et qu'il y eût au milieu de lui Noé, Daniel et Job, je suis vivant ! dit le Seigneur, l'Eternel, ils ne sauveraient ni fils, ni filles, mais ils sauveraient leur âme par la justice" (Ézéchiel 14:12 à 20). Le mode de construction de ce texte n'est pas dénué d'intérêt, et il serait intéressant de s'y attarder, mais ce n'est pas ici le sujet. Les événements décrits dans ce passage par Ézéchiel présentent de curieuses similitudes avec ce qui s'est produit du temps de Job, dans le pays d'Uts, mais également avec des événements qui nous sont contemporains. La souffrance n'a pas d'âge. Elle est aussi vieille que l'humanité. Uts est un peuple sémite qui demeure au pays d'Edom. Les Sages d'Israël ont dit que "ce qui est arrivé aux pères, s'est produit pour servir d'exemple aux générations à venir" (1 Corinthiens 10:11). Dans cette même perspective prophétique, on peut considérer Edom comme étant cette coalition des pays d'Occident qui formeront, bien plus tard, l'Empire romain. Ce "quatrième  empire" dont Daniel avait prophétisé la venue "aux temps de la fin", sous la forme d'une "quatrième bête".
 


Le pays du Conseil  

L'homme qui est assis dans la salle d'embarquement se rend à Bruxelles où il doit assister à une importante réunion de chefs d'Etats d'Europe et du Moyen-Orient. Sa valise, elle, est sur le chariot du bagagiste, prête à être embarquée dans la soute de l'avion. La douleur lancinante qui lui perce le côté s'est apaisée un peu. Il lui revient le souvenir d'un verset du livre du prophète Jérémie : "Pourquoi ma souffrance est-elle continuelle ? Pourquoi ma plaie est-elle douloureuse et ne veut-elle pas se guérir ? Serais-tu pour moi comme une source trompeuse, comme une eau dont ont n'est pas sûr ?" (Jérémie 15:18). L'idée lui vient de se faire transmettre les résultats d'examens par sa secrétaire dès qu'ils parviendront à son bureau. Il repense à la réunion à laquelle il doit assister en premier. Quelles sont les véritables intentions de ses interlocuteurs ? Seraient-ils, eux aussi, "comme une source trompeuse, comme une eau dont on n'est pas sûr ?". La douleur se fait de nouveau plus insistante. Une voix féminine s'élève dans le haut-parleur. C'est le moment d'embarquer. Tout en se dirigeant vers la porte d'embarquement, il espère faire un pas vers la Paix. La tâche qu'il a à accomplir n'est pas facile. L'hôtesse le salue en lui remettant son ticket qu'il enfouit dans la poche intérieure de son veston. Ses pensées vagabondent. Il repense à nouveau à un texte de l'Ecriture. "Formez des projets et ils seront anéantis. Donnez des ordres et ils seront sans effet, car Dieu est avec nous" (Ésaïe 8:10). Mais les mots qui se bousculent dans sa tête sont en hébreu : "uzu esah...". Les directives de son supérieur hiérarchique étaient claires. User de la plus grande diplomatie. Après avoir pris place dans l'avion, l'homme au complet bleu sort de son attaché-case un Tanach. Il veut relire ce passage sur lequel il est tombé, hier, "par hasard". Mais il ne croit pas au hasard. "Où était-ce déjà ?...", dans le "cefer sophetîm", le livre des Juges. Après avoir feuilleté les pages de droite vers la gauche, il retrouve le passage en question. "Ha zèh simu lakem aleha uzu wedab beru". "Prenez la chose à cœur ! Consultez-vous puis parlez !" (Juges 19:30). "Uzu" (uts). Il lève les yeux du Tanach et réfléchit un instant à la signification de ce mot : "conseiller, faire des projets, tenir conseil, consulter". Il regarde sa montre. Dans quelques heures, il s’assiéra dans l'hémicycle bruxellois du Berlaymont. On y parlera de paix pendant que, dans bien des lieux sur la Terre, des populations de toutes races, de toutes nations, de tous peuples, souffrent des affres de la guerre. La salle de réunion de la Communauté Européenne deviendra alors un nouvel Uts, un lieu de "consultation, de projets et de conseils". Un passage du livre de Job lui revient alors en mémoire. "Si je parle, mes souffrances ne seront point calmées, si je me tais, en quoi seront-elles moindres ?" (Job 16:6). Notre voyageur referme doucement le Livre saint qu'il tient dans les mains. Les mots résonnent dans sa tête. Et alors que l'avion commence à prendre de la vitesse sur le tarmac, les mots s'acheminent doucement vers son cœur. Il sent alors son esprit s'en emparer. Puis il se ressaisit. Il se rend compte soudainement que la douleur lancinante qui lui perçait le côté a disparu.



De Bosra à Damas  

Le texte d'Ézéchiel, mentionné ci-plus haut, est assez évocateur de l'horrible guerre dont a souffert et souffre encore, à ce jour, la Syrie. Les conflits armés traînent derrière eux un cortège de misères que décrit bien le prophète. L'épée (le conflit armé) pousse à des exactions envers les civils, et certains militaires se conduisent parfois comme des "bêtes sauvages". La cessation des activités agricoles (les champs deviennent "de batailles") provoque rapidement privations et famines. La précarité, l'insalubrité de lieux d'habitations en ruines provoquent maladies et épidémies. La mort frappe aveuglément, sans distinction d'âge, de sexe, d'uniforme ou de croyances. Les populations civiles, prises en otages par ces conflits qui les dépassent, pourraient faire leurs ces paroles de Job : "Ainsi, j'ai pour partage des mois de douleur, j'ai pour mon lot des nuits de souffrance" (Job 7:3). A l'évocation de ces événements, on ne peut s'empêcher de penser à ce texte du livre de l'Apocalypse : "Je regardai, et voici parut un cheval blanc… et il sortit un autre cheval, roux. Celui qui le montait reçut le pouvoir d'enlever la paix de la terre, afin que les hommes s'égorgeassent les uns les autres, et une grande épée lui fut donnée… et voici, parut un cheval noir… et voici, parut un cheval d'une couleur pâle (verdâtre). Celui qui le montait se nommait la mort, et le séjour des morts l'accompagnait. Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par l'épée, par la famine, par la mortalité et par les bêtes sauvages de la terre" (Apocalypse 6:1 à 8). Le fléau de la guerre frappe les peuples. L'ennemi est aux portes de la ville. Bien des drapeaux de diverses nations ont pour couleurs le vert, le noir, le blanc et le rouge. Plusieurs de ces nations seront représentées à ce Congrès auquel doit assister "l'homme au complet bleu". Il porte, à la boutonnière de son veston, un petit badge dont la couleur est assortie à celle de son costume. Douze petites étoiles y figurent. 

Les fils de l'ennemi  

"Il y avait dans le pays d'Uts un homme qui s'appelait Job". Ce nom, "Job", signifie "un ennemi, quelqu'un pour qui on éprouve de la haine"Ce mot vient de "ayab" qui signifie "être ennemi, être hostile, se conduire en adversaire"Job est victime d'une machination ourdie contre lui par "l'ennemi de nos âmes", le Satan. Ainsi, il est écrit : "Les fils de Dieu vinrent un jour se présenter devant l'Eternel et Satan vint aussi au milieu d'eux" (Job 1:6). Le mot "satan" (prononcer "shatane") signifie "adversaire, ennemi, celui qui résiste, qui s'oppose"Job porte, dans sa propre identité, la nature même du conflit. Malgré qu'il soit un homme juste et intègre, il est comme un paratonnerre planté dans un champ un soir d'orage (Job 1:16). Issu d'un peuple guerrier, rompu aux techniques de combat depuis la nuit des temps, le pays d'Uts ne compte pas que des alliés. "Voici, des fils sont un héritage de l'Eternel, le fruit des entrailles est une récompense. Comme les flèches dans la main d'un guerrier, ainsi sont les fils de la jeunesse. Heureux l'homme qui en a rempli son carquois. Ils ne seront pas confus quand ils parleront avec des ennemis (oyeb) à la porte de la ville" (Psaume 127:3 à 5). "Oyeb" est un Participe de "ayab" l'ennemi". La difficulté d'une telle situation est qu'un conflit qui implique les "fils" dans les combats des "pères" est susceptible de créer un conflit pouvant perdurer durant plusieurs générations. Le récit, après nous avoir présenté le personnage principal, nous conte une suite de razzias (fort fréquentes à cette époque) d'adversaires sabéens et chaldéens (arabes et babyloniens). Ceux-ci vont s'emparer des biens et du cheptel de Job. Par la plus horrible des circonstances, un malheureux accident va provoquer la disparition de ses enfants alors que ceux-ci s'étaient réunis tous ensemble. Épreuve trop lourde pour la femme de Job qui en verra sa foi ébranlée et qui, devant la souffrance de son mari, l'incite à se laisser mourir (Job 2:9). La perte d'un enfant est une chose atroce. Ils sont souvent les victimes innocentes de ces conflits armés qui déchirent les famille et détruisent les peuples. Face à cet horrible drame, il est dit que "Job ne pécha point et n'attribua rien d'injuste à Dieu" (Job 1:22).

"Le prophète Jérémie dira : "Les rois de la terre n'auraient pas cru. Aucun des habitants du monde n'aurait cru que l'adversaire, que l'ennemi entrerait dans les portes de Jérusalem… Ils erraient en aveugles dans les rues, souillés de sang. On ne pouvait toucher leurs vêtements. On dit, parmi les nations, ils n'auront plus de demeure. Nos yeux se consumaient encore et nous attendions en vain du secours. Nos regards se portaient avec espérance vers une nation qui ne nous a pas délivrés… notre fin approchait. Nos jours étaient accomplis… notre fin arrivée. Réjouis-toi, tressaille d'allégresse, fille d'Edom, habitante du pays d'Uts, vers toi aussi passera la coupe. Tu t’enivreras, et tu seras mise à nu, fille de Sion, ton iniquité est expiée, il ne t'enverra plus en captivité, fille d'Edom, il châtiera ton iniquité, il mettra tes péchés à découvert" (Lamentations de Jérémie 4:12 à 22). 

Et Jérémie dit ailleurs : "Et je pris la coupe de la main de l'Eternel. Et je la fis boire à toutes les nations vers lesquelles l'Eternel m'envoyait. A Jérusalem et aux villes de Juda. A ses rois et à ses chefs pour en faire une ruine, un objet de désolation, de moquerie et de malédiction, comme cela se voit aujourd'hui. A Pharaon, roi d'Egypte, à ses serviteurs, à ses chefs et à tout son peuple. A toute l'Arabie, à tous les rois du pays d'Uts. A tous les rois du pays des Philistins. A Ascalon, à Gaza, à Ekron, et à ce qui reste d'Ashdod…et à tous les royaumes du monde qui sont sur la surface de la terre " (Jérémie 25:17 à 20).  

"A tous les rois du pays d'Uts…". Quels sont ces rois dont fait mention le texte ? Une fois encore, il faut se rappeler qu'un texte prophétique est tout d'abord adressé à ses contemporains, mais il est toujours porteur d'un message qui transcende son époque. "A Tous les rois du pays d'Uts". Jérémie s'adresserait-il par cela à tous ceux qui ont, un jour, régné sur la Syrie ? A ceux qui "règnent" ou qui sont appelés à régner ? Mais alors, que signifient ces mots : "comme cela se voit aujourd'hui ?...". De quel "aujourd'hui" parle-t-il ? Du sien ? Du nôtre ?... Peut-être les deux ! Lorsque Mardochée dit à sa cousine Esther : "N'est-ce pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté ?", il énonce, en réalité, un principe prophétique universel et intemporel. N'est-ce pas pour un temps comme "le nôtre" que untel ou untel est au pouvoir ? "Esther répondit : si le roi le trouve bon, qu'il soit permis aux juifs qui sont à Suse d'agir encore demain selon le décret d'aujourd'hui et que l'on pende au bois les dix fils d'Haman" (Esther 9:13). "Qu'il soit permis d'agir encore demain selon le décret d'aujourd'hui". Ce texte annonçait prophétiquement la pendaison de dix criminels de guerre à Nuremberg, en 1946 ("que l'on pende les dix fils d'Haman"). Ce sujet est développé dans l'article "Esther et le destin caché". L'Histoire se répète. L'Ecclésiaste a très bien développé ce principe en disant : "Ce qui a déjà été, et ce qui est à venir est déjà arrivé. Dieu ramène ce qui est passé" (Ecclésiaste 3:15, Darby). Dans cette perspective, si "les dix fils d'Haman" furent "pendus au bois" pour crime de guerre et crime contre l'humanité (la Shoah), ils sont bien en cela "les fils de l'ennemi", Haman, "l'ennemi de tous les Juifs" (Esther 8:1). Toujours dans cette perspective, on pourrait voir alors, au travers des "enfants de Job", les victimes de l'antisémitisme. Job le sémite qui demeure près du "pays d'Edom". A Jérusalem, Etienne, dans son discours, juste avant de mourir lapidé, dira parlant de Pharaon : "Celui-ci, usant de ruse contre notre peuple, maltraita les pères jusqu'à leur faire exposer leurs enfants pour qu'ils ne demeurassent pas en vie" (Actes 7:19). A la lumière de ce texte, les paroles du prophète Jérémie prennent encore un tout autre sens. "Et je pris la coupe de la main de l'Eternel. Et je la fis boire à toutes les nations vers lesquelles l'Eternel m'envoyait. A Jérusalem et aux villes de Juda. A ses rois et à ses chefs pour en faire une ruine, un objet de désolation, de moquerie et de malédiction, comme cela se voit aujourd'hui. A Pharaon, roi d'Egypte, à ses serviteurs, à ses chefs et à tout son peuple. A toute l'Arabie, à tous les rois du pays d'Uts. A tous les rois du pays des Philistins. A Ascalon, à Gaza, à Ekron, et à ce qui reste d'Ashdod" (Jérémie 25:17 à 20).
 


On comprend alors que l'origine de ces conflits qui perdurent depuis des millénaires remonte presque à l'aube de l'humanité postdiluvienne. "Et à Sem, père de tous les fils d'Héber (qui fut le père des Hébreux), et frère de Japhet (fils de Noé qui engendra les peuples indo-européens), à lui aussi (de Sem) naquit des fils, Elam et Assur (Assur qui fut le père du peuple assyrien dont est sorti le peuple syrien)", et le neveu d'Assur : Uts (Genèse 10:21 à 23). A l'époque des Patriarches, celle de Job et d'Abraham, la destinée particulière des "fils d'Héber" commence à se profiler. "Il y avait dans le pays d'Uts (le pays où l'on élabore des projets pleins de ruse, où l'on tient conseil) un homme qui s'appelait Job (l'ennemi, celui pour qui l'on éprouve de la haine, celui envers qui on se conduit en ennemi, en adversaire, envers qui on est hostile)" (Job 1:1).  

Job a perdu tous ses biens, mais plus encore, il a perdu la chair de sa chair. Le cœur lacéré, Job se lève, déchire son habit, se rase la tête, se jette à terre et se prosterne devant Dieu en disant : "Je suis sorti nu du sein de ma mère et nu je retournerai dans le sein de la terre. L'Eternel a donné. L'Eternel a repris. Que l'Eternel soit béni. Et en tout cela, il n'imputa rien d'injuste à Dieu" (Job 1:20 à 22). Devant l'adversité, parfois moindre que celle de Job, combien ont-ils parfois levé le poing contre le ciel en disant : "Si Dieu existait, il ne permettrait pas cela !". L'existence (ou la non-existence) de Dieu dépendrait-elle donc de l'application de Sa justice ? Au travers de chacune de ces épreuves, Job demeura un homme juste et intègre qui n'imputa rien d'injuste à Dieu.

Nations unies ou désunies

"Ce sont là les familles de Noé selon leurs générations, dans leurs nations, et c'est d'eux qu'est venue la répartition des nations sur la Terre après le Déluge" (Genèse 10:32). Sans le savoir, les peuples d'Europe obéissaient à cette impulsion initiale qui avait été donnée, il y a fort longtemps, au "père" de cette nouvelle humanité postdiluvienne. Ils s'étaient répartis en nations et celles-ci allaient, à leur tour, se rassembler en un lieu "un peu ici, un peu là". A New York, à Bruxelles, à Strasbourg, à Davos, ou en tout autre lieu. Les chefs de ces nations se réuniraient pour faire ou défaire ces alliances éphémères, créées pour durer ou pour être transgressées. En son temps, le psalmiste écrivait pourtant : "Pourquoi ce tumulte parmi les nations, ces vaines pensées parmi les peuples. Pourquoi les rois de la terre se soulèvent-ils et les princes se liguent-ils avec eux contre l'Eternel et contre son oint ? ... Je publierai le décret : L'Eternel m'a dit : Tu es mon fils ! Je t'ai engendré aujourd'hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, les extrémités de la terre pour possession... Et maintenant, rois, conduisez-vous avec sagesse ! Juges de la Terre, recevez instruction ! Servez l'Eternel avec crainte et réjouissez-vous avec tremblement" (Psaume 2 :1 à 11). 

(A suivre...)


JiDé

 

Note

L'histoire de "l'homme au complet bleu" est totalement fictive mais fondée sur des faits réels. Ce récit a pour but de faire un parallèle entre l'univers patriarcal de l'époque de Job avec notre monde moderne. 

Le palais du Berlaymont, siège de la Commission Européenne à Bruxelles

Le palais du Berlaymont, siège de la Commission Européenne à Bruxelles

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :