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Il dominera sur toi

Il dominera sur toi

Certains sujets dans la Bible peuvent prêter à controverse, notamment un passage de l'Écriture où Dieu dit à la femme : "J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi" (Genèse 3:16). Ce verset est généralement fort peu apprécié (et c'est un euphémisme) par la gent féminine. Particulièrement la fin du verset. On peut le comprendre facilement. Mais en a-t-on vraiment bien saisis le sens ? Est-ce là un décret divin ? Ne serait-ce pas plutôt au contraire un avertissement, un constat, un état de fait ? Serait-ce là une décision arbitraire à laquelle la femme n'aurait plus qu'à se soumettre docilement, ou bien ces mots auraient-ils un tout autre sens ? Et si oui, lequel ? C'est à cette question que je vais tenter de répondre ici. 

Effectivement, de la manière dont il est interprété, on peut aisément s'attendre à une réaction courroucée de celles qui ne voient, dans ces mots, qu'un décret discriminatoire. La gent masculine, quant à elle, n'y trouve rien à redire, les choses semblant aller de soi, considérant que ce verset atteste de la prééminence d'une partie de l'humanité sur l'autre qui, à son tour, regimbe contre ce qu'elle considère comme une inégalité dégradante. "C'est ce que dit la Bible... mais quand même !". De façon plus modérée, on peut y voir une forme de hiérarchisation au sein du couple, qui sera développée plus tard dans les écrits des apôtres Pierre et Paul. Cette notion de "domination" demeure, dans le cœur de beaucoup de femmes, cependant respectueuses de la Parole de Dieu, un objet de vexation. Mais qu'en est-il vraiment ?

Il dominera sur toi

Bien qu'il semble porteur d'un décret divin discriminatoire, ce passage de l'Écriture est riche de sens. La première partie de ce verset, qui parle de l'enfantement, a été abordée dans un article publié précédemment :  "Psaume 139, la création d'une œuvre d'exception".  Je ne m'arrêterai ici que sur la fin du verset qui est le thème central de cet article. Tout d'abord, il nous faut tenir compte du fait que notre compréhension des Écritures a été nourrie de l'interprétation qu'en ont fait les générations qui nous ont précédées. En tant que chrétiens, nous ne sommes pas une "génération spontanée". Même si nous nous en défendons, nous avons hérité de "traditions". Et, généralement, celles-ci ont la vie dure. D'ailleurs, bien souvent, nous "interprétons" les textes sans vraiment les lire. La "compréhension" que nous en avons supplante alors le véritable sens de la phrase qui est sous nos yeux. L'exercice exégétique s'affaire justement à rendre aux textes leur(s) véritable(s) sens. Il me faut cependant mettre ces mots au pluriel entre parenthèses car, en hébreu, les mots ont souvent plusieurs significations. Et pour une juste compréhension du texte, il nous faut tenir compte de celles-ci dans leur pluralité. Cependant, dans nos milieux, l'expression "La Bible dit" semble mettre un terme à toute discussion. L'autorité de l'Écriture semble trancher de façon irrévocable. Dieu a parlé par la bouche de son serviteur, il n'y a rien à redire. Sauf que… Cela dépend bien souvent de la façon dont on a "compris" ce qui est écrit. Et cela peut faire grandement la différence ! Mais alors, que dit vraiment le texte ?

"Mais il dominera sur toi". "We hoû ymshâl baq", est-il dit dans le texte original. Avant d'aborder le texte lui-même, il nous faut tout d'abord nous intéresser au contexte dans lequel ces mots ont été prononcés. Quand l'ont-ils été ? Lorsque Dieu a énoncé les différentes sentences inhérentes à chacun des protagonistes de la scène précédente, celle de la Chute. Cet état de chose n'était pas en vigueur lorsque le couple était dans le Jardin d'Eden. Il n'était donc pas prévu, initialement, que l'homme domine sur son alter-ego, mais le péché a introduit une modification au sein des relations hommes/femmes. Cette "domination" (je reviendrai plus loin sur la véritable signification de ce mot) ne faisait donc pas partie du plan divin pour l'humanité lorsque celle-ci fut créée. Cela résulte donc d'une conséquence. C'est un premier élément dont il faut tenir compte.

Il nous faut également reconsidérer la façon dont ces mots ont été prononcés. Faut-il les lire : "Je décrète que désormais il en sera ainsi", ou : "Vous avez décidé d'agir de telle manière malgré mes avertissements et mes recommandations. Cela a eu des conséquences désastreuses pour vous et votre descendance. Il vous faudra donc assumer les conséquences de vos choix et de vos décisions". Ce qui me semble être l'expression d'un Dieu plein d'amour, mais aussi d'un Dieu juste qui respecte le libre-arbitre de sa créature. Cette phrase énigmatique de l'Écriture n'est donc plus ici l'expression d'une décision arbitraire, mais l'énoncé d'un état de fait conséquent à leurs actes. Le contexte ayant été bien défini, venons-en maintenant au texte proprement dit. 

"Mais il dominera (mashal) sur toi". "Mashal" signifie "gouverner, diriger, régner" et désigne, de façon plus générale, "une forme d'autorité". Mais aussi, on le verra plus loin, le fait d'exercer une forme d'intendance. Il serait trop long d'aborder tous les aspects de ce terme qui est plus généralement utilisé pour la gouvernance d'Israël, des nations, voire du règne messianique. Je m'en tiendrai ici uniquement à l'usage qui en est fait dans le livre de la Genèse qui contient, "en germe", toutes ces notions. Le fait de n'aborder un mot que dans le contexte strict d'un livre de la Bible (en l'occurrence celui dans lequel ce verset apparaît) respecte tout à fait les règles de l'exégèse biblique et n'ampute en rien le sens que l'on veut définir. 

La première occurrence de ce mot est dans le récit de la Création. "Pour présider (mashal) au jour et à la nuit... Dieu vit que cela était bon" (Genèse 1:18). Cette forme de gouvernance, survenue avant la Chute et relevant de l'autorité divine, a donc, prioritairement, une notion cosmologique de l'ordre du créationnel. C'est un point important. Dieu considérant même cette forme de gouvernance comme "bonne". Deuxièmement, Dieu dit à Caïn : "Le péché couche à ta porte, mais toi, domine (mashal) sur lui" (Genèse 4:7). Cette autre forme de "mashal" nécessite une certaine rigueur et implique la responsabilité morale de celui qui exerce cette domination. Nous avons ensuite un passage qui nous parle du serviteur d'Abraham, "intendant (mashal) de tous ses biens". Dans ce cas précis, la "gouvernance" s'exerce sous l'autorité de quelqu'un d'autre, se présentant plutôt comme une forme de gestion de biens. C'est encore un autre aspect qui mérite notre attention. Chacun de ces passages de l'Écriture nous présente un aspect différent de cette "domination" qui pouvait paraître, au demeurant, tellement injuste et autoritaire. Même si cela est voulu de Dieu, s'attribuer une quelconque forme d'autorité sur autrui sans l'accord de celui ou celle sur qui elle est censée s'exercer peut s'avérer abusif.

Bien plus tard, lorsque les frères de Joseph vinrent en Égypte pour acheter du blé, ils durent avoir à faire à un haut dignitaire égyptien qui n'était autre que Joseph. Celui-ci leur dit : "Dieu... m'a établi père de Pharaon, maître de toute sa maison et gouverneur (mashal) de tout le pays d'Égypte" (Genèse 45:8). La position élevée qu'occupe alors Joseph lui a été octroyée par Dieu lui-même, dans le but de devenir le pourvoyeur de ses frères dans le besoin, et ce, après une gestion sage et intelligente des réserves de blé. Le "mashal", et celui qui occupe ces responsabilités, est aussi un sage gestionnaire, tout comme l'était très probablement le serviteur d'Abraham. C'est encore un autre aspect de cette "domination" dont nous parle notre texte initial. Les frères de Joseph retournèrent ensuite auprès de leur père Jacob et lui dirent : "C'est lui qui gouverne tout le pays d'Égypte" (Genèse 45:26). Mais Jacob, leur père, n'en crut tout d'abord pas un mot. Tous finirent cependant par reconnaître l'autorité dont Joseph était investi. Mais celle-ci lui avait été confiée pour le bien de tous et le salut de sa famille. Ainsi, le livre de la Genèse nous dépeint la véritable forme d'autorité, de "gouvernance", que Dieu agrée. Celle-ci est au bénéfice de ceux qui s'y soumettent ainsi volontairement. Elle produit sécurité, bien-être et abondance. Pratiquée de cette manière, cette forme d'autorité n'est plus une "domination". Elle s'établit naturellement sur le modèle cosmologique de l'Univers créé, en conformité avec les lois divines (Genèse 1:18). Elle peut alors être exercée avec l'assentiment de celles et ceux qui s'y soumettront volontairement, sachant que celui qui l'exerce ne cherche que leur bonheur et leur sécurité. 

Mais, dans le passage qui nous occupe, il s'agit spécifiquement du couple homme/femme. Dieu avait averti le couple que, dans le futur, les relations entre les deux pôles de l'humanité pourraient se pervertir en une sorte de jeu de rôle dominant/dominé. Et c'est effectivement ce qui s'est produit. Si aujourd'hui, dans le Monde Occidental, la gent féminine a conquis son autonomie (depuis le début de la seconde partie du vingtième siècle seulement !), il n'en est pas ainsi dans la grande majorité de la population mondiale où elle occupe toujours un second rôle régi en tous points par les hommes. Une interprétation erronée de ce verset en a fait un décret divin, légiférant ainsi cet état de fait. Celui-ci, étant considéré par certains comme d'origine divine, est devenu indiscutable. Dans beaucoup de milieux religieux, toutes dénominations confondues, la position de la femme est réduite à une position de soumission. Dans certaines parties du monde, la féminité est même considérée comme une source possible de séduction. Elle doit donc être cachée, dissimulée. Elle ne peut faire entendre sa voix, ses voix. Dans ses formes les plus abusives, cet autoritarisme masculin peut même parfois suspecter, dans ce silence imposé, un conciliabule secret dont il serait l'objet. Ceci étant un exemple de la forme la plus pervertie de ce "Il dominera sur toi" contre laquelle Dieu avait mis la femme en garde. Loin d'être un décret divin que la religiosité chercherait à appliquer, imposant un rapport de dominant à dominé, cette locution se voulait avant tout un avertissement. Dieu mettant sa créature en garde contre le caractère abusif d'une relation fondée sur un rapport de force entre deux êtres destinés à devenir "une seule chair"

Réceptacle de vie

Après avoir pu définir quelle était la nature de cette "domination", j'en viens maintenant à son "objet" (la femme n'est-elle pas parfois regardée par le "dominant" comme une "femme-objet" ?). 

"Mais il dominera sur toi". "We hoû ymshâl baq". Ce mot baq est composé des lettres "beth qoph"Redoublé, ce mot désigne une petite cruche en argile (Jérémie 19:1), un récipient de petite taille (baqbouq s'écrit : beth qoph beth qoph). "Baqbouq" désigne également "un petit pot de miel" (1 Rois 14:3). Ainsi, d'un point de vue allégorique, ce "Toi" pourrait être comparé à un "réceptacle" de quelque chose de doux comme le miel. Si, dans la symbolique biblique, l'argile représente le corps physique de l'être humain, on pourrait comparer cette baqbouq à un réceptacle de la douceur, ce que les Asiatiques appellent très poétiquement un "palais de jade". Mais "baqbouq" (écrit avec la lettre vav), c'est également un prénom masculin. Le "dominateur" porte un prénom masculin. Dans l'intimité de ce "réceptacle", il a accès à ce "palais de jade". S'il en est ainsi dans des conditions idéales, les choses peuvent être également totalement différentes. 

Le mot "baqia" (écrit : beth qoph iod ayin) signifie "brèche, fissure". En hébreu, il est au masculin. Un "masculin" qui pourrait provoquer "une brèche, une fissure" dans ce "petit réceptacle".

"Beqia", qui lui est fort semblable, signifie quant à lui : "forcer l'entrée". Ce "Masculin" (prénommé ou pas) provoquerait ainsi une "brèche, une fissure" dans ce "réceptacle de la douceur" en "forçant l'entrée" Si ce "Il dominera sur toi" était bien un avertissement divin de ce que seraient les conséquences de la Chute dans la relation homme/femme, il annonçait donc, à l'avance, la violence conjugale au sein du couple. Des relations contraintes et forcées. Mais il y a plus…

Le livre de Josué nous parle de "vieilles outres à vin déchirées (oûm'bouqaîm - baqa) et recousues" (Josué 9:4). Dans ce cas de figure, pour poursuivre dans l'allégorie, le "petit réceptacle" ne produit plus la douceur du miel, mais l'ivresse du vin. Comme la violence conjugale par un mari ivre. Mais si cette forme d'agression se rencontre au sein du couple, elle peut l'être également au cœur de la cité. Le prophète Jérémie parle d'une ville qui fut "pénétrée" (baqa, Jérémie 39:2). Ézéchiel parle d'une "ville conquise" (baqa, Ézéchiel 26:10). Celle-ci ayant été, bien entendu, "prise par la force". Dans nombre de pays où sévit la guerre, le viol des civiles, tous âges confondus, est largement pratiqué par la soldatesque pour infliger une profonde humiliation à la population. "Ces outres à vin que nous avons remplies toutes neuves, les voilà déchirées, éventrées" (Josué 9:13). Les sévices ne sont pas seulement physiques, mais également émotionnels et psychologiques. Le mot "baqa" est d'ailleurs traduit, entre autres, par "fendre, déchirer, passer au travers, se frayer un chemin, fendre le ventre". Lorsque le texte biblique mentionne le mot "recousues" (tsarar*), je ne peux m'empêcher de penser au Docteur Denis Mukwege, ce gynécologue dévoué qui procure à ces femmes violées sauvagement, les soins les plus attentifs pour leur permettre non seulement de guérir mais également de retrouver leur dignité. Les Écritures font mention, à quatre reprises, d'un acte d'une barbarie monstrueuse. Si Osée annonce que l'on "fendra le ventre des femmes enceintes" (Osée 13:16), Amos en fait le constat (Amos 1:13). L'auteur du Livre des Rois fait également mention de cette forme de violence perpétrée contre ces femmes portant en elles une nouvelle génération à venir (2 Rois 8:12 ; 15:16). Tous fils et filles de celle à qui il fut dit autrefois : "Il dominera sur toi"

À l'évocation de ces faits, le goût du fruit défendu est bien amer. Ces quelques mots, "il dominera sur toi", contenaient déjà, en germe, les multiples souffrances qu'auraient à subir une partie de l'humanité. "La femme (ha ishah) vit que l'arbre était bon à manger. Elle prit de son fruit (de l'arbre) et en mangea, et elle en donna aussi à son mari (lè 'ishah) qui était auprès d'elle, et il en mangea" (Genèse 3:6). "Ish" désigne à la fois un homme et la partie masculine de la race humaine. Le texte hébreu produit ici une similitude entre l'expression "la femme" (ha isha) et "à son mari" (lè ishah). Au travers de son mari, ce futur "dominant", c'est également à toute ses descendantes que Hava (Eve) a transmis ce funeste héritage. C'est aussi là un autre aspect des conséquences de la Chute. 

*"Tsarar" signifie : "hostilité, douleur, angoisse, persécution, maltraitance". 

Aimer est un acte volontaire

Aimer Dieu et aimer l'autre qui m'est semblable, c'est là "Toute la Loi et les Prophètes". "Quand je parlerais les langues des hommes et des anges", si je ne manifeste pas, de façon pratique, de l'amour à l'égard de mon conjoint comme à l'égard de ceux et celles qui me sont semblables dans mon humanité, je suis "un airain qui résonne". Ça fait du bruit mais ça rend un son discordant (1 Corinthiens 13:1). Et si j'étais "très spirituel" et que je connaissais la Bible sur le bout des doigts, "si je n'ai pas l'amour…" (verset 2). Si je suis toujours là pour les autres, si j'accours au moindre coup de fil mais que je ne rends pas service à mon conjoint lorsqu'elle me le demande, "si je ne suis pas là pour elle…" (verset 3). L'amour que je lui manifeste devrait être patient, plein de bonté, sans rien lui cacher, sans chercher à satisfaire en premier lieu mes propres besoins, car si je ne fais pas cela... "je n'ai pas l'amour" (versets 4, 5). L'amour ne manifeste pas d'irritation, ni de suspicion, mais croit à la transparence dans le dialogue (versets 5, 6). L'amour que j'éprouve pour mon conjoint me poussera à excuser tout ce qui pourrait être sujets de discorde, elle croira à mes explications, les écoutera, en tiendra compte. "L'amour supporte tout" (verset 7). "Tout", ce sont ces petites choses du quotidien. Une façon de faire qui est diamétralement différente de la nôtre. Ces petites choses qui peuvent facilement irriter si l'on n'y prend pas garde, mais qui ont si peu d'importance quand notre priorité est de maintenir l'harmonie, la complicité, la joie, la communion entre époux. La véritable autorité ne se manifeste certainement pas par la "domination". Bien au contraire. L'amour et ses déclinaisons est une force puissante qui permet de renverser cette triste conséquence de la Chute. Il est en mesure de la neutraliser. Alors, l'un et l'autre ne formeront véritablement plus "qu'une seule chair"

Pour conclure, je dirais que mon épouse et moi travaillons ensemble sur ce blog. Elle relit et corrige chaque article avant sa publication. Elle a donc eu ces mots sous les yeux. Si je ne pratiquais pas moi-même les choses dont j'ai fait mention plus haut, vous ne seriez certainement pas en train de les lire aujourd'hui. 

"Maintenant donc, ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance et l'amour, mais la plus grande c'est l'amour" (1 Corinthiens 13:13). 

JiDé

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