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Daniel et la vision des quatre bêtes (chapitre 7) : Le quatrième empire

Daniel et la vision des quatre bêtes (chapitre 7) : Le quatrième empire

Le prophète Daniel est à la fois un homme d'État et un visionnaire. En effet, son ministère, outre ses fonctions à la cour, est également celui d'un "voyant" selon l'ancienne appellation du ministère prophétique (1 Samuel 9:9). Le livre qui porte son nom présente au lecteur un texte dense, truffé de références à des événements passés ou à venir. L'une de ses visions concerne des temps éloignés. Des temps qui pourraient fort bien nous être contemporains. Un premier article sur ce chapitre 7 avait été précédemment publié. La forme initiale de celui-ci étant trop longue, il m'a fallu le scinder en deux parties. En voici la suite. 

Le Nouvel Empire Romain

L'un des thèmes abordés par l'auteur du livre est ce fameux "quatrième empire" que nombre de commentateurs ont identifié comme étant l'empire romain, ainsi qu'un autre qui devait paraître beaucoup plus tard, semblable au précédent et que l'on nomme "Le nouvel empire romain". Celui-ci  doit-il encore venir ou est-il déjà là ? Certains commentateurs ont cru voir en lui la Rome papale. Cette Babylone honnie "vêtue de pourpre et d'écarlate" (Apocalypse 18:16). Il est vrai que celle-ci s'est édifiée sur les ruines encore fumantes de la Rome impériale, vaincue par sa décadence et ses querelles intestines. Il est vrai que par l'inquisition, la persécution des authentiques disciples de Christ, les tortures et les bûchers, et tout cela au nom du Christ, elle a montré des similitudes avec cette bête monstrueuse. Ce sujet a déjà été abordé sur ce blog dans les articles "Le quatrième empire prophétisé par Daniel" et "La marque de la bête et le nombre de son nom". Cette bête est la plus terrifiante des quatre. La plus difficile à décrire également car elle ne ressemble à rien de ce à quoi Daniel pouvait se référer. "Après cela, je  regardai pendant mes visions nocturnes et voici il y avait un quatrième animal, terrible, épouvantable et extraordinairement fort, il avait de grandes dents de fer, il mangeait, brisait, et il foulait aux pieds ce qui restait, il était différent de tous les animaux précédents et il avait dix cornes" (Daniel 7:7). Il a également "des ongles d'airain" (verset 19). Il fut dit à Daniel que "ce quatrième animal est un quatrième royaume qui existera sur la terre, différents de tous les royaumes, et qui dévorera toute la terre, la foulera et la brisera" (verset 23). Le temps a passé. Des siècles se sont écoulés et d'autres "royaumes" se sont élevés "en lieu et place" (athar) de ces empires successifs. Cependant, les principautés spirituelles qui dominaient sur eux sont demeurées là (Daniel 10:13). Elles continuent à exercer leur influence et leur domination. La quatrième bête devait réapparaître sur la scène de l'Histoire, semblable et différente à la fois. 

En lieu et place  

Les empires se succèdent mais ne se ressemblent pas. Le texte biblique mentionne une expression qui n'est pas dénuée d'intérêt : "Après cela". Daniel continue son récit en décrivant ce qu'il voit ensuite. C'est ainsi que l'on peut comprendre cette expression. Sauf que, il y a là un indice important qui n'apparaît pas dans la traduction. Cet indice se trouve dans le mot "Après" (athar). Le mot "athar" désigne effectivement "ce qui vient ensuite", mais aussi "un lieu, une place, une piste". Cette expression ne désigne donc pas seulement la vision suivante. Elle renseigne également sur le fait que cette nouvelle vision vient "en lieu et place" de la précédente. Ce nouvel empire ne s'établira pas ailleurs mais s'édifiera sur les décombres du précédent. "Athar" est un mot araméen, langue dans laquelle est également rédigée une partie du livre d'Esdras. On retrouve par exemple ce mot dans : "sur le lieu (athar) où elle était", "À la place (athar) où ils étaient (Esdras 6:5). Ou encore "Sur l'emplacement (athar) qu'elle occupait". Ceci souligne bien l'idée que ce qui apparaît, dans le songe de Daniel, prend la place de ce qui était auparavant. Il en sera de même pour ces empires successifs. Mais lorsque la pierre vient détruire les pieds de la statue, les morceaux de celle-ci "disparaissent du lieu où ils sont dispersés". Selon qu'il est écrit : "et nulle trace (athar) n'en fut retrouvée" (Daniel 2:35). Quelques versets plus loin, Daniel donne l'interprétation. "Après (athar) toi, il s'élèvera un autre royaume" (Daniel 2:39). Qu'est-ce que Daniel est en train de dire au roi ? Ton royaume va disparaître, et un autre s'élèvera à la place (athar) du tien. Puis, un troisième, à la place de celui-ci, là où, autrefois, se trouvait le tien. Et ainsi, d'autres empires seront bâtis sur les fondations de ce que fut autrefois la glorieuse Babylone. Voilà le message que reçoit Nabucadnetsar de la bouche de Daniel. La construction de la statue d'or était la réponse du roi à cette prophétie : "Je ne laisserai la place à personne d'autre. Je suis immortel, mon royaume également, et personne ne prendra ma place". L'Histoire a prouvé le contraire. Le royaume de Babylone perdura encore cependant pendant une cinquantaine d'années.

"Après (athar) cela, je regardai, et voici… Un troisième, un quatrième"  " (Daniel 7:6, 7). Daniel sait maintenant que Belschatsar sera le dernier des rois de Babylone. Le temps est venu de passer à l'étape suivante. Combien de temps lui reste-t-il ? Daniel l'ignore encore. Mais lorsqu'il est appelé dans la salle de banquet pour interpréter l'inscription sur le mur du palais, Daniel donne à Belschatsar la date d'échéance de son règne : "cette nuit même !". Et effectivement, "cette même nuit, Belschatsar fut tué et Darius le Mède s'empara du royaume" (Daniel 5:30, 31). La parole de Daniel venait de s'accomplir : "Après (athar) toi, il s'élèvera un autre royaume (la poitrine et les bras d'argent), moindre que le tien" (Daniel 2:39). Darius le Mède s'empara de la ville et l'empire babylonien fut intégré à celui des Mèdes et des Perses. 

La quatrième bête  

"Il y avait un quatrième animal, terrible (dekhal)". Ce mot araméen signifie "terrible, effrayant". Son équivalent, en hébreu, est "Zakhal", ce qui signifie "ramper, se traîner, craindre" et peut également se traduire par "serpent, reptile". Zakhal est un reptile rampant et craintif, mais également un serpent à l'aspect effrayant. Nous avons ici une information. Cet animal terrible pourrait avoir quelque chose qui rappellerait l'aspect d'un reptile*. Un animal qui avait également "de grandes dents de fer". A ce propos, le Deutéronome dit quelque chose d'intéressant : "J'enverrai (dit Dieu) parmi eux la dent des bêtes féroces et le venin des serpents (zakhal)" (Deutéronome 32:24). Les divinités babyloniennes étaient souvent des êtres hybrides mi-dragon, mi-animal. De telles descriptions étaient donc, pour eux, coutumières. Leur monstruosité n'en est cependant pas moins évocatrice pour nous, aujourd'hui. Certains de ces monstres étaient représentés sur la porte d'Ishtar, le bâtiment principal donnant accès à la ville de Babylone. Elle fut redécouverte par une équipe d'archéologues allemands. Démontée, elle fut reconstituée, pierre par pierre, au Musée national de Berlin. Aujourd'hui, elle donne accès à une salle de ce musée où l'on peut également voir un impressionnant monument, découvert à Pergame celui-là, et que l'on nomme "Grand autel de Pergame", ce que le livre de l'Apocalypse nomme "le trône de Satan" (Apocalypse 2:12, 13).   

"Un quatrième animal, terrible, épouvantable (emtaniy)". Le sens de ce mot est incertain. On y trouve la racine "mothen" ("les reins, les hanches"). Il désigne un animal probablement disparu. Cette description ferait pensait penser à un de ces animaux préhistoriques, carnassiers redoutables. C'est généralement ainsi qu'il est représenté. 

"Un quatrième animal, terrible, épouvantable et extraordinairement fort (taqqiph)". "Taqqiph" désigne "un pouvoir tout-puissant, une force invincible". Esdras dit "qu'il y eut, à Jérusalem, des rois puissants (taqqiph) maîtres de tout le pays  et auxquels on payait un tribut, impôt et droit de passage" (Esdras 4:20). Ce qu'impose généralement un envahisseur au pays conquis. Lorsque Daniel parle de ce "quatrième royaume", il dit qu'il sera "en partie fort (taqqiph) et en partie faible" (Daniel 2:42). Mais ce terme est également utilisé pour parler de Dieu Lui-même puisqu'il est dit que "ses prodiges sont puissants (taqqiph), son règne est un règne éternel et sa domination subsiste de génération en génération" (Daniel 4:3). Le contraste est flagrant. Le règne de Dieu n'est pas comme ces royaumes qui se veulent pérennisés à toujours. Il est éternel. Ces royaumes décrits sont forts et puissants, mais ils sont éphémères. Ainsi le "taqqiph" de ces empires, y compris celui de la "quatrième bête", est finalement bien peu de chose devant la "force invincible" (taqqiph) de Dieu. Et ainsi que le dit l'Ecclésiaste : "l'on sait que celui qui est homme ne peut contester avec plus fort que lui" (Ecclésiaste 6:10). Cependant, ce "Nouvel Empire Romain" est un "colosse aux pieds d'argile". "Quant aux doigts de pieds en partie de fer et en partie de céramique : pour une partie ce royaume sera fort, et pour une part, il sera fragile" (Daniel 2:42, version TOB). 

"Il avait de grandes (rabrab) dents de fer". Ces dents ont beaucoup intrigué les commentateurs. Elles symbolisent probablement sa voracité. Mais leur taille a quelque chose à nous dire. Le mot "rabrab" désigne une chose ou une  personne "de grande taille", mais également "riche, de grand pouvoir et d'autorité". La "grandeur" de ses dents correspond donc à sa capacité de s'approprier, de "mordre", de se nourrir de ce dont elle s'approprie.  Il est dit par exemple que "le roi éleva Daniel et lui fit de riches (rabrab) présents" (Daniel 2:48). La "taille" de ces dents est également équivalente à celle de ces "quatre grands (rabrab) animaux qui sortent de la mer" et qui sont "quatre rois qui s'élèveront de la terre" (Daniel 7:17). L'appétit sanguinaire de ces rois est illustré par la taille des dents de la quatrième bête (Daniel 7:3). Mais "rabrab" nous renseigne également sur son "caractère" (Daniel 7:8, 20) car elle avait "une bouche qui parlait avec arrogance (rabrab) et prononçait des paroles arrogantes (rabrab)" (Daniel 7:11). 

"Il avait de grandes dents (shen) de fer". Dieu dit, à propos des prophètes qui égarent le peuple de Dieu : "Les prophètes qui égarent mon peuple, qui annoncent la paix si leurs dents (shen) ont quelque chose à mordre, et qui publient la guerre si on ne leur donne rien à se mettre dans la bouche" (Michée 3:5). Ce sont des prophètes-mercenaires qui prophétisent selon qu'on les nourrit ou pas. Combien de "prophètes" n'ont pas emmené avec eux, sur les chemins de la guerre, de la mort, de la dévastation et de l'oppression, des peuples, des nations, de cette "mer" d'où sont sortis également ces quatre "bêtes" ? Le mot hébreu "shen" (identique à l'araméen) a pour racine "shanan", qui signifie "aigu, tranchant".  Mais il peut également être traduit par "enseigner, inculquer""Tu les inculqueras (Shanan, les commandements de Dieu) à tes enfants" (Deutéronome 6:7). Ou "Ils aiguisent (shanan) leur langue comme un glaive" (Psaume 64:4). On pourrait donc voir, dans ces "dents", la volonté "d'inculquer" quelque chose à ses victimes, aux peuple conquis (propagande, lavage de cerveau ?). C'est ce que fit "la troisième bête" qui imposa la culture grecque sur tout son empire. Elle peut vouloir imposer une croyance, un culte idolâtre, une philosophie de vie. Les dents sont généralement dans la bouche, l'organe qui profère des "paroles arrogantes", peut-être sous forme de discours. De ces discours interminables et sentencieux dont sont friands les dictateurs. Mais également de ceux qui sont rabâchés, à longueur de journée, via les médias mainstream.  

"Il avait de grandes dents de fer (barzel)". Le mot araméen "barzel" désigne le métal, mais son équivalent hébreu a un sens plus large. "Parzel" désigne autant le fer lui-même que son minerai. Au figuré, ce mot signifie "force, rudesse, oppression". Voilà qui nous en dit un peu plus long sur ces fameuses "grandes dents de fer" qui ne sont peut-être rien d'autres qu'une multitude de micros qui s'unissent pour se faire l'écho d'une seule voix. Celle d'un dictateur doté d'un pouvoir et d'une autorité d'une grande puissance, qui agit avec force et rudesse, qui exerce une oppression et qui profère des paroles arrogantes devant les hommes et devant Dieu. Voilà ce que pourraient, globalement signifier ces "grandes dents de fer"

Et l'auteur poursuit : 

"Il mangeait (akal), brisait, et il foulait aux pieds ce qui restait". "Akal" signifie "manger, dévorer" mais peut également se traduire par "calomnier, accuser". Il est dit que "quelques chaldéens accusèrent (akal) les juifs". En hébreu, "akal" signifie "dévorer, se nourrir, détruire par l'oppression, manger de la viande". Les traductions les plus littérales traduisent cette phrase en disant que ces Chaldéens "mangèrent des morceaux de chair". Cette "bête" dit du mal, calomnie, dévore en paroles. On peut imaginer l'un de ces discours haineux dont certains leaders font usage pour galvaniser leurs troupes. Les "micros dents de fer" portant la voix de celui qui se veut également un brillant orateur. Ceci n'est pas sans rappeler "l'ours" de la Perse (l'Iran) qui "mange beaucoup de chair" (Daniel 7:5). Peut-on rapprocher cette expression de cette autre qui parle de "chair à canon" pour désigner les troupes que l'on envoie se faire tuer en masse ? Si cette quatrième bête doit apparaître dans une époque qui nous est contemporaine, on peut facilement imaginer que l'armement militaire et la puissance destructrice dont sont capables aujourd'hui les Etats les plus puissants du Globe aient pu faire frémir un homme ayant vécu six siècles avant notre ère. La puissance de feu, le pouvoir de destruction, la capacité de destruction massive, les villes détruites par les bombardements... Choses totalement inconnues à l'époque de Daniel. Le nazisme, avec toute sa cruauté bestiale, pourrait à lui seul incarner cette bête. Cette vision effrayante n'est-elle pas, finalement, le produit de ce que l'homme peut produire de plus hideux, de plus horrible ? Car c'est l'homme qui est l'instigateur de ces empires. Il en est l'architecte. Il se construit des univers qui l'effrayent et le fascinent à la fois, mais dans lesquels il peut projeter ce qu'il a de plus terrifiant à ses propres yeux. Ce que Daniel a décrit est peut-être ce que l'homme a pu engendrer de plus monstrueux. 

*L'un des quartiers de la ville antique de Pergame (Apocalypse 2:12) portait le nom de "Asclepion" se référant à Esculape, le dieu grec de la médecine. À Pergame, on peut encore voir une pierre dans laquelle est sculptée l'antique symbole : deux serpent s'enroulant autour d'un bâton. Le logo pharmaceutique ne représente-t-il pas un serpent enroulé autour d'une coupe ? Une symbolique qui, dans l'Antiquité, représentait la sigue, cette coupe de poison que l'on buvait pour se suicider. Le célèbre philosophe, Socrate, se donna la mort de cette façon. Si le remède peut apporter la guérison, le poison inoculé peut apporter la mort. 

Les cornes  sont des rois

"Je considérai les cornes et voici, une autre petite corne sortit du milieu d'elles, et trois des premières cornes furent arrachées devant cette corne, et voici, elle avait des yeux comme des yeux d'homme et une bouche qui parlait avec arrogance. Et sur les dix cornes qu'il avait à la tête et sur l'autre qui était sortie et devant laquelle trois étaient tombées, et sur cette corne qui avait des yeux, une bouche parlant avec apparence et une plus grande apparence que les autres. Les dix cornes, ce sont dix rois qui s'élèveront de ce royaume. Un autre s'élèvera après eux, il sera différent des premiers et il abaissera trois rois" (Daniel 7:8, 20, 24). 

Que sont ces cornes ? En araméen, langue dans laquelle est rédigé le chapitre 7, le mot "corne" se dit "qeren". Ce mot apparaît à dix reprises dans les textes bibliques. Au chapitre 3, il désigne seulement un instrument de musique semblable à une trompette. La signification (symbolique et non littérale) du mot "qeren" dans le chapitre sept apparaît  lors de sa dernière mention : "Les dix cornes (qeren), ce sont dix rois qui s'élèveront de ce royaume" (Daniel 7:24).  Ainsi, si l'on considère ce mot "corne" dans les différents textes où il en est fait mention, on constate une double signification. La première est littérale (qeren est un trompette ou un quelconque instrument de musique), la deuxième est symbolique (qeren désigne un roi). Il nous faut tenir compte de ce double sens. Mais "qeren" est également un mot hébreu. Dans cette langue, il désigne effectivement un instrument de musique, mais encore un rayon de lumière ou une colline. Dans cette langue, il est généralement traduit par "corne, force, puissance, tête, coteau". Ce mot hébreu "qeren" apparait huit fois dans le livre de Daniel, toutes dans le chapitre 8 de ce livre. Il a pour racine "qaran", qui signifie "briller, envoyer des rayons, être connu". Certains peintres ont cru bon d'affubler le personnage pictural de Moïse de petites cornes sur la tête. Cela étant dû à cet amalgame entre cette double signification du mot "qaran" ("rayonnant" et "corne").  Le texte biblique dit bien que le visage de Moïse rayonnait ("qaran", Exode 34:29, 30, 35)

Comment peut-on concilier ces deux significations si différentes ? 

Je propose ici une interprétation, pour laquelle il me faut revenir aux fameuses "dents de fer" de la Bête dont j'ai fait mention plus haut. Je les avais comparées à des micros devant la bouche d'un orateur qui pourrait être un quelconque dictateur en train d'haranguer la foule pendue à ses lèvres. Dans ce cas, les "instruments de musique" pourraient être l'équivalent de "haut-parleurs" amplifiant la voix de l'un de ces "rois" en plein discours. Les micros posés devant sa bouche pouvant faire penser, à un observateur du cinquième siècle avant notre ère, que ceux-ci sont des "dents de fer". La forme conique de porteur de voix rappelle également la forme d'une corne. Cela correspond assez bien avec ce que dit le texte : "il parlait avec arrogance". Ces discours de leaders politiques sont généralement pompeux, narcissiques et élogieux pour leurs propres œuvres. Le texte nous dit que "la petite corne" avait "des yeux, une bouche qui parlait avec arrogance et une plus grande apparence que les autre". "Les yeux sont la fenêtre de l'âme". Ils peuvent également trahir les sentiments et les états d'âme du discoureur. Ces "yeux" (ce qui observe, ce qui regarde) pourraient-ils aussi désigner des caméras braquées sur une estrade ("qeren" veut dire également monticule, lieu en hauteur) d'où proviennent ces "paroles arrogantes" ? Une fois encore, ce serait une façon, pour un observateur de l'Antiquité, de décrire ce qu'il voit. Daniel dit à sept reprises : "je regardai". Il dit également : "je considérai" (verset 8) dans le sens de "voir ce qui va se passer". Ainsi, cette "qeren qui parlait avec arrogance" serait alors un haut-parleur amplifiant les paroles du discours d'un quelconque dictateur. Il se peut qu'il y ait, sur cette estrade, une dizaine de personnes. Les "dix cornes" ou dix chefs, dix "têtes". Daniel voit, en esprit, que trois d'entre elles vont tomber, vont être "arrachées" (aqar) selon ses propres mots. On peut imaginer une mort brutale de trois des généraux en chef de ce dictateur. Staline, lorsqu'il était à la tête de l'empire soviétique, fit disparaître un à un ses plus proches collaborateurs, convaincu, dans sa folie paranoïde, que ceux-ci complotaient contre lui. Le prophète Sophonie écrit : "car Gaza sera délaissée, Askalon sera réduite en désert, Ashdod sera chassée en plein midi, Ekron sera déracinée ("aqar" - Sophonie 2:4)"Trois des premières cornes furent arrachées devant cette corne" (Daniel 7:8). "Trois des premières cornes…". Ce sont parfois les compagnons du début qui sont les premiers à être exécutés. L'image en est d'autant plus brutale que ceux-ci furent les plus fidèles et les plus dévoués compagnons de celui qui, peut-être, s'est totalement détourné de ce que fut leur projet, leur combat initial.  "Un autre s'élèvera après eux, il sera différent des premiers et il abaissera trois rois". "Et un dominateur s'élèvera contre un autre dominateur" (Jérémie 51:46). Peut-être est-ce un nouvel arrivé, l'un de ces jeunes de la deuxième génération qui considèrent que les vieux généraux ont fait leur temps et qu'il est temps de les remplacer. Le scénario présenté ici s'est déjà produit à maintes reprises. Il n'est pas aisé de se maintenir très longtemps dans les hautes sphères du pouvoir. 

Scènes célestes 

"Je considérai les cornes, et voici, une autre petite corne sortit du milieu d'elles, et trois des premières cornes furent arrachées devant cette corne. Et voici, elle avait des yeux comme des yeux d'homme et une bouche qui parlait avec arrogance. Je regardai pendant que l'on plaçait des trônes. Et l'Ancien des Jours s'assit" (Daniel 7:8, 9). 

En lisant ce texte, on sépare généralement les deux versets. On considère naturellement le verset 8 (qui parle de la petite corne), et le verset 9 (qui débute la description d'une scène qui se déroule dans le ciel) comme séparés. Il faut cependant se rappeler que, dans le texte original, il n'y a pas de division par verset. Le texte est continu, tel que je l'ai reproduit ici. Et cela révèle quelque chose. Une concomitance entre ces deux scènes. L'une se passe sur la terre même si elle est décrite de façon imagée, l'autre se passe au ciel. Daniel voit consécutivement l'une succéder à l'autre. Un court instant les sépare, marqué par l'expression : "je regardai". Daniel passe instantanément d'un tableau à l'autre. Cette simultanéité présente un intérêt considérable dans la compréhension de leur déroulement. Pendant que "la petite corne parlait avec arrogance", des trônes étaient placés dans le ciel, et Dieu Lui-même (l'Ancien des jours) venait s'asseoir sur l'un d'eux. Devant la majesté d'un tel événement céleste, la scène qui se déroule sur la Terre paraît alors bien futile et bien vaine. Le pouvoir éphémère de "la petite corne" paraît soudain si faible devant la majestueuse scène céleste. 

"Je regardai alors à cause des paroles arrogantes que prononçait la corne, et tandis que je regardais, l'animal fut tué, et son corps fut détruit, livré au feu (esh) pour être brûlé. Les autres animaux furent dépouillés de leur puissance, mais une prolongation de vie leur fut accordée pour un temps" (Daniel 7:11, 12). Après avoir décrit la vision de la scène céleste, Daniel tourne à nouveau son regard vers la Terre et y voit "la petite corne" qui n'est maintenant plus qu'un "animal", une "bête" qui est tuée et jetée au feu. Lorsque Daniel décrit sa vision céleste, il y parle de l'Ancien des Jours dont le trône "était comme des flammes de feu" (verset 9). Il fait également mention de "roues comme un feu ardent" ainsi que d'un "fleuve de feu" (verset 10). Or, la "nature" de ce feu (nuwr) est différent de celui (esh) qui doit consumer le corps de la "bête" qui y a été jetée. Le "feu" (nuwr) des trônes ainsi que celui du "fleuve" est une "fournaise ardente". En effet, ce mot "nuwr" désigne également la fournaise dans laquelle furent jetés les amis de Daniel (Daniel 3). Ceux-ci avaient été condamnés à ce supplice suite à un décret royal. La scène qui se présente à Daniel montre une certaine similarité puisque la bête est condamnée, elle aussi suite à un décret, divin celui-ci. Mais un détail présente un intérêt particulier. 

"Je regardai pendant que l'on plaçait (remah) des trônes. Et l'Ancien des Jours s'assit". La signification de ce mot est surprenante. En effet, "remah" peut être traduit par "posé", mais dans le livre de Daniel, il n'est utilisé que dans le chapitre 3, et ce pour désigner le fait que les amis de Daniel furent "jetés" dans la fournaise ardente. Qu'est-ce que cela signifie ? Simplement que lorsque les trônes sont posés, le décret d'exécution de la "petite corne" est sur le point d'être accompli. Leur installation est déjà, en soi, l'application de la sentence. Exactement comme lors d'une exécution capitale, des sièges sont disposés afin que les témoins de l'exécution puissent s'y asseoir. Par son arrogance, la petite corne prononce elle-même son propre jugement"L'animal fut tué, et son corps fut détruit, livré au feu (esh) pour être brûlé". Ce fut le sort des trois amis de Daniel, mais ceux-ci s'en sortirent indemnes, sans que leur corps, ni leur vêtements même ne soient brûlés, de même que ce feu (nuwr) ne consume pas les trônes ni ceux qui y sont assis. Ce feu est de nature divine. Il ne consume que ce qui est impur. 

Le fils de l'homme   

Après cela, Daniel voit un nouveau tableau paraître devant lui. "Je regardai pendant mes visions nocturnes et voici, sur les nuées des cieux arriva quelqu'un de semblable à un fils de l'homme. Il s'avança vers l'ancien des jours et on le fit s'approcher de lui. On lui donna la domination, la gloire, le règne, et tous les peuples, les nations, et les hommes de toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point et son règne ne sera jamais détruit" (Daniel 7:13, 14). Ce passage contraste fortement avec ce qui précède où l'on voit l'arrogance de la "petite corne" détruite en un instant après avoir été jugée. Aucun gouvernement humain ne peut rivaliser avec le règne du Massiah, le Seigneur Jésus-Christ. 

"Je regardai pendant mes visions nocturnes". Cette expression apparaît trois fois dans le texte biblique, toutes trois dans le chapitre 7 de Daniel. La première mention (verset 2) fait état de "quatre vents des cieux qui firent irruption sur la mer" (la mer des nations). La deuxième (verset 7) décrit "la quatrième bête", et la troisième (verset 13) annonce la venue du "fils de l'homme" dont le royaume "ne sera jamais détruit" (verset 14). Ce triptyque dépeint donc l'ascension des empires humains qui culmine avec "le règne de la bête, le quatrième animal", et s'achève avec le règne éternel du Massiah, le Seigneur Jésus-Christ. Daniel ne le sait bien évidemment pas encore. Il ne peut avoir connaissance de la Personne de Jésus en tant que Massiah, mais pour nous qui sommes parvenus "à la fin des siècles", nous pouvons savoir avec certitude, selon ce que nous enseignent Les Ecritures, que Jésus-Christ est bel et bien ce "Fils de l'homme". 

Un mot-clef

 "Je regardai pendant mes visions nocturnes et voici". On ne fait généralement pas attention à ce genre de locution. Elle semble presque inutile. Elle sous-entend une nouvelle action : "et voici que parut…". Mais en réalité, elle porte, elle sous-tend une structure du texte et en souligne certains traits. Pour pouvoir s'en rendre compte, il nous faut observer de quelle manière cette discrète expression donne au texte une nouvelle perspective. Le mot "aruw" (et voici) apparaît à cinq reprises dans les Ecritures, et seulement dans ce chapitre 7 du livre de Daniel, ce qui déjà en souligne la spécificité*. Au verset 2, "aruw" annonce, introduit la description de la vision nocturne de Daniel. Au verset 5, la seconde occurrence de ce mot présente "la seconde bête" (l'ours). Au verset 6, la troisième occurrence présente "la troisième bête" (le léopard). Au verset 7, la quatrième occurrence présente "la quatrième bête" que l'on ne peut nommer ni identifier à un quelconque animal mais qui est ici plus abondamment décrite. Et enfin, la cinquième occurrence, au verset 13, annonce la Venue du "Fils de l'homme", le Massiah. Daniel, par l'intermédiaire de cette petite locution et partant de l'époque qui est la sienne (celle du premier royaume), introduit dans son récit une chronologie des événements qui devaient se succéder jusqu'au règne messianique. L'expression "quelqu'un de semblable à un fils de l'homme" souligne le contraste entre l'humanité du Massiah et la bestialité de ces empires précédemment décrits. "On lui donna la domination, la gloire, le règne, et tous les peuples, les nations, et les hommes de toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point et son règne ne sera jamais détruit". (Daniel 7:14). Ainsi, par ce petit mot, Daniel introduit une chronologie des événements, révélant par cela l'une des structures sous-jacentes sur lesquelles se construit son récit. 

*L'expression "et voici" apparait à de nombreuses reprises dans les traductions, mais le mot "aruw" n'est mentionné qu'à cinq reprises. 

La petite corne

"Je vis cette corne faire la guerre aux saints et l'emporter sur eux jusqu'au moment où l'Ancien des jours vint donner droit aux saints du Très-Haut, et le temps arriva où les saints furent en possession du royaume" (Daniel 7: 21, 22). Daniel annonce prophétiquement la venue du royaume de Dieu après que Dieu ait donné "aux saints" la victoire sur la "petite corne". Nous avons, encore ici, une information. Ce régime en place aura, pour un temps, un certain pouvoir sur ceux qui seront demeurés fidèles au Seigneur et il aura le dessus pendant un certain temps jusqu'à ce que Dieu leur fasse droit. Ce temps doit précéder celui où ils seront "en possession du royaume". Ceci peut laisser entendre que cette "petite corne" sera active jusque dans les "temps de la fin" qui précéderont l'établissement du royaume messianique. Historiquement, cette "petite corne" a été identifiée comme étant Antiochus Epiphane, issu du royaume Séleucide, à l'époque hellénistique. Mais le "timing" présenté ici peut laisser entendre que celle-ci ne fut pas seulement incarnée par ce sinistre personnage. Elle a son pendant aujourd'hui encore. Cette "petite corne" serait donc parmi nous, encore aujourd'hui, en ce vingt-et-unième Siècle. 

La guerre aux saints

L'expression : "la guerre aux saints" a souvent été assimilée à la persécution de l'Eglise. Il faut cependant tenir compte du contexte historique du récit pour bien en comprendre le sens. Pour l'auteur, ces "saints" (qaddiysh) ne peuvent être que des membres du peuple d'Israël, demeurés fidèles à l'Eternel (l'Église n'existe pas encore). Ce mot est aussi également utilisé pour parler des anges (Daniel 4:13, 23). On peut envisager cette notion dans une perspective "eschatologique", tout en gardant cependant à l'esprit que ce terme n'est nullement restrictif à cette communauté (l'Église) dont Daniel ne peut bien évidemment pas soupçonner l'existence future. Il faut donc donner à ce terme "saints" une définition plus large. En effet, même dans une perspective "eschatologique", cette expression ne peut qu'englober tous ceux qui seront restés fidèles à l'Eternel, quels que soient l'époque et le lieu car une perspective eschatologique n'exclut pas que cette prophétie puisse couvrir une longue période pouvant débuter à l'époque de Daniel et s'achever dans ce qui est communément appelé "les temps de la fin". Il est parfois regrettable que la lecture dite "ecclésiologique" des Écritures (l'Ancien Testament) dénature celles-ci de leur substrat historique et géographique. À vouloir "coller" l'Église sur des textes qui n'en font nullement mention, on prend le risque de déformer totalement le sens de ceux-ci en leur faisant dire ce qu'ils ne disent pas. L'Église occupe une place prépondérante dans l'histoire du peuple d'Israël (même si celui-ci ne le reconnaît pas) mais également dans celle des nations (qui l'ignorent tout autant). Mais avant sa fondation, au premier Siècle de notre ère, elle demeure un "mystère" ("musterion" dans le texte grec du Nouveau Testament, Éphésiens 5:32 / Apocalypse 1:20). L'Église n'a pas le monopole de la persécution. Bien des nations peuvent, aujourd'hui encore, en témoigner. 

Conclusion

Jérémie, déjà, s'était interrogé : "Où est l'homme sage qui comprenne ces choses ?" (Jérémie 9:12). Et Osée dira également : "Que celui qui est sage prenne garde à ces choses, que celui qui est intelligent comprenne" (Osée 14:9). Or, dans la tradition hébraïque, Daniel n'est pas compté parmi les Prophètes, mais parmi les Sages d'Israël. Dans le Canon hébraïque, le livre de Daniel n'est d'ailleurs pas parmi les livres prophétiques (Nevi'im), mais parmi les Ecrits (Ketouvîm). Cependant, le livre de Daniel est proprement un livre prophétique en ce qu'il annonce "les temps à venir". Proches ou éloignés, certains se sont déjà réalisés, d'autres doivent encore s'accomplir. Tous les événements dont Daniel est le spectateur présentent, pour lui, des "événements futurs". Une page de l'Histoire que Daniel a entrevue s'est déjà réalisée (c'est l'interprétation dite "historique"). Une autre doit encore se réaliser pleinement (c'est sa dimension "eschatologique"). Mais il se peut aussi fort bien que nous soyons en réalité, aujourd'hui même, au cœur de la réalisation de ces événements prédits.  

Daniel conclut la rédaction de ces révélations par ces mots : "Ici finirent les paroles. Moi, Daniel, je fus extrêmement troublé  par mes pensées, je changeai de couleur et je conservai ces paroles dans mon cœur" (Daniel 7:28). Ce chapitre s'achève sur cette conclusion de l'auteur. L'expression "Ici finirent les paroles" marque l'achèvement du songe. Après que Daniel l'eut reçu, le silence se fit dans la nuit (Daniel 7:1). "Ensuite, il écrivit le songe, et raconta les principales choses (millah)" (verset 1). Daniel s'est immédiatement mis à en rédiger le compte-rendu alors que le songe était encore bien présent à son esprit. Peut-être craignait-il de l'oublier, comme ce fut le cas autrefois pour Nabucadnetsar ("La chose m'a échappé", Daniel 2:5). "Millah"c'est à la fois une "chose secrète" ("le secret du roi", Daniel 2:23) et son explication (Daniel 5:26, 7:16). Ce peut être un décret royal ("Le roi répondit : la chose est certaine", Daniel 6:12) ou "un décret divin" ("Au même instant, la parole s'accomplit sur Nabucadnetsar" (Daniel 4:33). Mais ce peut être également des "paroles arrogantes" (Daniel 7:11) prononcées "contre le Très-Haut" (Daniel 7:25). Ces "choses" que décrit Daniel concernent visiblement les hautes sphères du pouvoir et leur attitude "envers le Très-Haut". Mais le livre de Daniel démontre que Dieu demeure souverain sur celles-ci. 

Ce livre ne cesse de surprendre et d'intriguer son lecteur. Celui qui s'attelle à la difficile tâche de l'étudier sait d'avance qu'il ne pourra en épuiser les richesses. Comme le dit l'apôtre Paul, "nous connaissons en partie" (1 Corinthiens 13:9). Mais n'est-ce pas là, finalement, le message ultime que nous laisse le prophète Daniel après tant de révélations  ? 

 

JiDé

Daniel et la vision des quatre bêtes (chapitre 7) : Le quatrième empire
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