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Actes des Apôtres : Corneille

Césarée Maritime

Césarée Maritime

Après que Saul soit retourné à Tarse, sa ville natale, Luc recentre son récit sur l'apôtre Pierre et les miracles qu'il accomplit à Lydde et à Joppé (aujourd'hui Jaffa, dans la banlieue de Tel Aviv). L'Église connaîtra alors une période de paix et de croissance, s'édifiant par le Saint-Esprit (Actes 9:1 à 31). Une persécution survint cependant après la mort d'Étienne et les frères de Jérusalem se dispersèrent dans les régions alentours : en Phénicie (le Liban actuel), à Chypre (patrie de Barnabas) et à Antioche (aujourd'hui en Turquie) où un grand nombre crurent au Seigneur Jésus suite à la prédication de ces disciples. Les Anciens de l'Église de Jérusalem ayant eu vent de ce qui s'y passait, y envoyèrent Barnabas, "homme de bien, plein d'Esprit-Saint et de foi". Et Luc ajoute : "et une grande foule se joignit au Seigneur" (Actes 11:24). Barnabas se rendit ensuite à Tarse pour y chercher Saul (Actes 11:25). C'est donc à Antioche que les deux hommes se mirent à enseigner cette foule nombreuse de disciples, et "c'est à Antioche", nous dit encore l'auteur, "que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens" (Actes 11:26). Cette appellation provenait cependant de leurs détracteurs qui usèrent de ce sobriquet de façon ironique. 

Légions et centurions 

Nous sommes en l'an 44. Le récit qui suit se déroule sur deux tableaux. L'un à Césarée, l'autre à Joppé, toutes deux distantes d'une soixantaine de kilomètres. Le premier tableau se déroule dans la capitale de la Province romaine de Judée*, chez un certain Corneille (Cornélius de son vrai nom, Kornélios dans le texte grec), centurion de la cohorte dite "italienne" (Actes 10:1), dénommée ainsi parce qu'initialement originaire de Calabre, dans le sud de l'Italie. Il est probable que Corneille ait été membre de la Xème légion, appelée Légio Fretensis, venue renforcer la Vème légion, la Légio Macedonica. Présente en Palestine romaine pendant plus d'un siècle et demi, la Légio Fretensis, dont le taureau était l'emblème, participera plus tard au siège de la forteresse de Massada où s'étaient réfugiés les derniers zélotes qui s'étaient révoltés contre l'envahisseur romain. 

Chaque légion romaine était composée d'un contingent de 6000 légionnaires et divisée en 10 cohortes de 600 hommes. Chaque cohorte était elle-même subdivisée en six centuries (Actes 23:23), à la tête desquelles se trouvait un centurion. Corneille était à la tête de l'une de ces centuries. C'est ce qui fera dire au centurion qui s'adresse à Jésus : "Car moi je suis soumis à des supérieurs, j'ai des soldats sous mes ordres ; et je dis à l'un : Va ! Et il va ; à l'autre : Viens ! Et il vient" (Matthieu 8:8, 9). Tout comme Corneille, ce centurion était un "craignant-Dieu" (Actes 10:2 ; Hébreux 12:28) qui aimait la nation d'Israël au point de financer, de ses propres deniers, la construction de la synagogue de Capernaüm (Luc 7:1, 5). Et de même que les Juifs de Capernaüm voyaient en ce Romain un homme "méritant" (Luc 7:4), ceux de Césarée voyaient en Corneille "un homme pieux et craignant Dieu... (qui) faisait beaucoup d'aumônes au peuple et priait continuellement" (Actes 10:1, 2). Corneille est ainsi présenté comme un homme généreux et un homme de prières, comme un "Juste des Nations". À ce propos, il est intéressant de souligner que si le mot "Juste" se dit "Tsadik" en hébreu et s'écrit avec les lettres tsadé daleth yod koph"Aumône" se dit "tsedaka" et s'écrit avec les lettres tsadé daleth koph hé. En hébreu, les deux mots s'écrivent quasi identiquement. Mais si l'on prend les deux lettres qui les différencient : yod hé, on obtient le mot "Yah", qui est l'un des Noms de Dieu. Ainsi, celui qui craint Dieu est un Juste qui exerce l'aumône. Corneille n'était pas considéré seulement comme un Romain, mais également comme un homme bon, un Juste des nations, qui adorait le Dieu d'Israël. Il n'était pas seulement apprécié par la communauté juive de Césarée, il était également considéré favorablement par le Dieu en qui il avait mis sa foi et sa confiance.

*Le nom "Palestine" (Palaestinia) n'a été donné à la terre d'Israël, par les Romains, qu'en l'an 135 de notre ère. De façon ironique, les Romains donnèrent à cette province de l'Empire un nom dérivé de celui des Philistins (Pelishtîm, en hébreu). 

Un ange à Césarée

Césarée se trouvait à une cinquantaine de kilomètres au Nord de Jaffa. Ville portuaire construite par Hérode le Grand, elle fut achevée en l'an 13 avant notre ère. Cité de première importance dans cette province de l'Empire, elle disposait d'un grand port et servait de lieu de résidence aux gouverneurs romains. Le roi Hérode y avait également une résidence (Actes 12:19), et Philippe l'évangéliste y habitait (Actes 21:8). Il ne faut toutefois pas la confondre avec Césarée de Philippe située au pied de l'Hermon, à proximité de l'une des sources du Jourdain et qui tient son nom de Philippe le tétrarque, le demi-frère d'Hérode Antipas. C'est du port de Césarée que Paul prit la mer à bord d'un navire en direction de Tarse (Actes 9:30). L'apôtre y débarqua, de retour d'Éphèse (Actes 18:22). Il devait y revenir sous bonne garde (Actes 23:23, 33) pour y comparaître devant le gouverneur Festus et le roi Agrippa (Actes 25:1 à 27). C'est également de Césarée que Paul, escorté par un centurion, entamera ce long voyage qui devait le conduire à Rome pour y comparaître devant César (Actes 27:1).

Une chose étonnante va se produire dans la maison de Corneille, à Césarée. "Vers la neuvième heure du jour* (trois heures de l'après-midi, à l'heure de la prière du Temple ; Actes 3:1), il vit clairement dans une vision un ange de Dieu qui entra chez lui, et qui lui dit : Corneille !... Et l'ange lui dit : Tes prières et tes aumônes sont montées devant Dieu, et il s'en est souvenu" (Actes 10:3, 4). Comme le dit l'auteur de l'épître aux Hébreux : "Car Dieu n'est pas injuste pour oublier votre travail et l'amour que vous avez montré pour son nom, ayant rendu et rendant encore des services aux saints" (Hébreux 6:10). C'est à l'heure où les fidèles se rendaient au Temple, à Jérusalem, que l'ange de Dieu se manifeste à Corneille, cet "homme pieux... (qui) priait Dieu continuellement" (Actes 10:2, 3, 30). Corneille était aussi un homme de prières. Un homme bon et généreux. Un Juste des nations. Et c'est à cette même heure que Jésus, sur la croix, avait rendu son esprit au Père (Matthieu 27:46). Au pied de cette croix, un autre centurion avait lui aussi reconnu : "Certainement, celui-ci était Fils de Dieu" (Matthieu 27:54 ; Marc 15:39). 

L'ange était entré dans la maison de Corneille et lui avait donné des instructions précises quant à la personne qu'il devait faire venir chez lui (Actes 10:5, 6) : son nom (Simon), son surnom (Pierre), le nom de la personne chez qui il résidait (Simon), le métier de celui-ci (tanneur de peaux), et la position de sa maison (près de la mer). On retrouve une situation similaire au chapitre précédent du livre des Actes, lorsque le Seigneur apparaît à l'un de ses disciples de la ville de Damas : Ananias (Actes 9:10). Le Seigneur lui donne également des directives très précises quant à l'endroit où il doit se rendre et le nom de la personne à qui appartient la maison où réside celui à qui il doit imposer les mains (Actes 9:11). 

Corneille est un soldat rompu à la discipline. Il est accoutumé à recevoir des ordres de ses supérieurs et à en donner à ses soldats. À peine l'ange parti, il agit. Il appelle ses serviteurs, leur donne des instructions et les envoie à Joppé (Actes 10:5, 6). Peut-être Pierre s'est-il remémoré cet épisode lorsqu'il écrit : "Serviteurs, soyez soumis en toute crainte à vos maîtres... qui sont bons et doux" (1 Pierre 2:18). L'un des trois émissaires était un légionnaire "pieux" (Actes 10:7), tout comme l'était Corneille (Actes 10:2), et Ananias (Actes 22:12 ; 9:10). Le terme grec "eusebes" est ainsi utilisé pour désigner à la fois le soldat envoyé par Corneille, Corneille lui-même et le disciple Ananias. 

 *Seules les heures diurnes étaient comptées, le découpage du temps étant tributaire de la lumière du soleil. 

La vision 

Pierre logeait alors chez un certain Simon le corroyeur, un tanneur de peau. Un métier mal considéré par ses concitoyens. Le tanneur étant en contact régulier avec des animaux morts (ce qui est cause d'impureté rituelle selon la loi mosaïque ; Lévitique 11:27). De plus, l'odeur des peaux nouvellement tannées était extrêmement désagréable, ce qui obligeait les tanneurs à se tenir à l'écart, en dehors de la ville. C'est dans ce cadre si particulier que Pierre s'apprête à prendre son déjeuner, et c'est dans ce même contexte qu'il va avoir cette fameuse "vision de la nappe". 

Le récit se poursuit en soulignant une concordance d'événements. Après avoir parcouru la distance qui séparent Césarée de Jaffa (probablement à dos de mulet), les trois émissaires arrivent le lendemain, à Joppé, vers l'heure de midi ("vers la sixième heure", Actes 10:9). Aujourd'hui, il faut moins d'une heure de voiture pour se rendre d'une ville à l'autre. Et alors que les serviteurs de Corneille se mettent à la recherche de la maison de Simon le tanneur, "Pierre monta sur le toit... pour prier" (Actes 10:9). Mais ayant faim, il demanda (probablement à la femme du tanneur) de lui préparer à manger. Il retourna sur le toit-terrasse de la maison, et c'est alors qu'il eut une vision. Pierre "vit le ciel ouvert, et un objet semblable à une grande nappe attachée par les quatre coins, qui descendait et s'abaissait vers la terre, et où se trouvaient tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre et les oiseaux du ciel" (Actes 10:11, 12 ; Actes 11:5, 6).

"Il tomba en extase (ekstasis)" (Actes 10:10 ; 11:5). Le mot "tomba" (epipipto en grec) est le même que celui utilisé pour parler du Saint-Esprit qui "descendit" (epipipto) sur l'assemblée réunie dans la maison de Corneille (Actes 10:44 ; 11:12 à 15). Le mot "ekstasis", utilisé ici pour parler de la vision de Pierre, est utilisé dans d'autres contextes : lorsque Jésus guérit la fille du chef de la synagogue (Marc 5:22, 35 à 40), les proches disciples de Jésus, ainsi que les parents de l'enfant guéri, furent "dans un grand étonnement (ekstasis)" (Marc 5:42). Lorsque les femmes virent l'ange dans le tombeau, "la peur et le trouble (ekstasis) les avaient saisies" (Marc 16:8). Lorsque Jésus guérit un paralytique, "tous étaient dans l'étonnement" (Luc 5:26). Lorsque le boiteux de la Belle Porte fut guéri, tous ceux qui assistèrent à son relèvement furent "remplis d'étonnement et de surprise" (Actes 3:10). Mais lorsque l'apôtre Paul raconte sa vision du Seigneur, à Jérusalem, il dit : "Je fus ravi en extase" (Actes 22:17). Le choix de ce vocable particulier souligne donc plutôt l'effet de "surprise" et "d'étonnement" plutôt que l'état extatique dans lequel étaient Pierre et Paul lorsqu'ils eurent leur vision. 

Pierre "vit le ciel ouvert". Lorsque Pierre eut cette vision, les cieux s'ouvrirent, tout comme ils le firent le jour du baptême de Jésus (Matthieu 3:16). "Et un objet semblable à une grande nappe...". Cet "objet" (skeuos en grec) peut s'apparenter à un "ustensile de cuisine" ou "un vase", en tenant compte du fait que, dans la pensée grecque le "vase" représente, de façon métaphorique, le corps humain"Une grand nappe (un drap de lin) attachée" ("deo" en grec : "être dans les liens, les chaînes, être emprisonné, être attaché). Cette "nappe attachée aux quatre coins" sur laquelle se trouvait "toutes sortes d'animaux" avait donc bien un rapport direct avec l'alimentation réglementée par la loi mosaïque. Pierre étant tenu, de par son appartenance au peuple d'Israël, de respecter ces règles en s'abstenant de consommer des animaux considérés comme "impurs", le "vase" symbolisant le corps humain et l'ustensile de cuisine : la consommation d'aliments proscrits. Par contre, cette "nappe" était "attachée, dans les liens, emprisonnée". Or, cette vision est survenue juste avant que les émissaires de Corneille n'atteignent la maison où résidait Pierre. J'y reviendrai plus loin. Cette nappe dont Pierre a la vision était donc "attachée par les quatre coins (arche)". "Arche" désigne le "commencement", mais également le magistrat (l'autorité). De façon métaphorique, cette vision semble parler de l'ordre initial des choses. Sur cette nappe, "se trouvaient tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre et les oiseaux du ciel. Et une voix lui dit : Lève-toi, Pierre, tue et mange" (Actes 10:12, 13 ; Actes 11:6, 7).

Pour bien comprendre ce texte, il faut se rappeler que Pierre, bien que disciple de Jésus, continue à respecter et à pratiquer les lois mosaïques, y compris les règles alimentaires qui interdisaient de consommer certaines viandes et certains types d'animaux (Lévitique chapitre 11 ; Deutéronome 14:3 à 21). Cette "nappe" symbolisait donc le "corps humain" (en l'occurrence le sien) sous forme de "vase" dans lequel il est invité à "mettre de la nourriture rituellement impure". Ce qu'il ne peut concevoir, lui qui s'en est abstenu depuis toujours. Depuis sa plus tendre enfance, depuis le "commencement" de son existence, Pierre s'est toujours soumis à l'autorité de la loi de Moïse. Comprenant que cette vision céleste vient de Dieu (et relève donc de Son autorité), il répond : "Non Seigneur, car je n'ai jamais rien mangé de souillé ou d'impur" (Actes 10:14 ; 11:8). Dieu s'adressa une deuxième fois à Pierre : "Ce que Dieu a déclaré pur, ne le regarde pas comme impur" (Actes 10:14, 15 ; Actes 11:9). La vision se présenta à lui à trois reprises (Actes 10:16 / 11:10). 

Pierre demeura perplexe. Il ne sut que penser. Et tandis qu'il s'interrogeait sur le sens de cette vision, les serviteurs de Corneille se présentèrent à la porte de la maison de Simon (Actes 10:17, 18 ; Actes 11:11). Le Seigneur parla à nouveau à Pierre pour lui annoncer que les trois hommes qui le demandaient étaient envoyés par Lui (Actes 10:5, 19 ; Actes 11:12).


Trois hommes à la porte

Pierre, sachant déjà qu'il lui faudrait les accompagner sans toutefois en connaître la raison, leur demande le motif de leur venue (Actes 10:21). Il réalise alors que les trois hommes dont lui a parlé le Seigneur sont des Romains (Actes 10:19, 20), des étrangers au peuple d'Israël. Outre l'expression "incirconcis", les Israélites avaient une expression pour parler de ceux qui ne faisaient pas partie de leur propre peuple : "Les gens du dehors" (Colossiens 4:5 ; 1 Thessaloniciens 4:12), qu'ils opposaient ainsi aux "gens de la maison de Dieu" (Éphésiens 2:19). Luc, l'auteur du livre des Actes, s'est déjà précédemment servi de ce terme pour désigner "une personne résidant dans un pays étranger" (Actes 7:6, 29). Ces "gens du dehors" (paroykos) sont donc considérés non seulement comme étrangers à la nation d'Israël, mais également comme résidant dans un pays qui n'est pas le leur. Ils sont donc non seulement rituellement impurs, incirconcis, étrangers à la nation d'Israël, résidants de passage et qui plus est, membres du peuple qui a envahi leur pays. Et pourtant... 

Pierre, en tant que membre de la nation d'Israël, demeurait respectueux de la loi mosaïque et de ses prescriptions (Actes 10:14 / 11:8, 9), mais la vision et la conversation qu'il vient d'avoir avec son Seigneur vont radicalement métamorphoser sa position à l'égard de ces personnes. "L'Esprit (de Dieu) lui dit : Voici, trois hommes te demandent ; lève-toi, descends, et pars avec eux sans hésiter, car c'est moi qui les ai envoyés" (Actes 10:19, 20 / 11:11). Le terme "sans hésiter" signifie : "sans faire acception de personne, sans distinction. Pierre commence à faire le lien entre la vision de la nappe et l'identité de ces hommes qui se présentent à lui comme les serviteurs d'un Centurion romain craignant Dieu et qui a reçu la visite d'un ange dans sa maison (Actes 11:12, 13). Un ange serait donc entré dans la maison d'un non-Juif ? Fort des directives divines précédemment reçues, Pierre fit entrer les messagers de Corneille dans la maison de Simon et les logea (Actes 10:23). Sans avoir eu précédemment la vision de la nappe, il est fort probable que Pierre n'aurait pas accepté de loger des personnes qui n'étaient pas membres de la nation d'Israël, mais la conjonction de la vision et de la visite de ces hommes, alors qu'il venait de recevoir des directives divines à leur égard, finit de le convaincre. Comme Paul le dira plus tard d'Abraham : "Il ne douta point par incrédulité... mais il fut fortifié par la foi" (Romains 4:20)

En réponse à la question de Pierre (Actes 10:21), les trois émissaires vont tout d'abord présenter celui qui les a envoyé : "Ils répondirent : Corneille, Centurion, homme juste et craignant Dieu, et de qui toute la nation des Juifs (Ieoudaion en grec) rend un bon témoignage...". Le mandataire de leur mission est tout d'abord présenté comme une personne ("Corneille") exerçant une fonction et une autorité ("Centurion"). Il est ensuite présenté dans sa position vis à vis du peuple israélite (que les Romains appellent "Judéens") : "Homme juste et craignant Dieu". Des critères qui, aux yeux des Israélites (je parle ici "d'Israélites", et non de "Judéens", car Pierre et ceux qui vont l'accompagner sont des Galiléens, Actes 11:12) sont significatifs. Ces critères permirent à Pierre de situer spirituellement son futur interlocuteur (Actes 10:34, 35). Mais ces émissaires lui annoncent également que leur maître a vu un ange entrer dans sa maison pour s'adresser à lui (Actes 10:22 / 11:13, 14). 

La démarche de Pierre marque donc un tournant dans l'histoire de l'Église (ce mot d'origine grecque n'est cependant pas encore d'usage à l'heure où se produisent ces événements). Démarche qui lui sera d'ailleurs sévèrement reprochée par les "fidèles circoncis" (Actes 11:2, 3). Lorsque Pierre arriva dans la maison de Corneille, la visite de l'ange dans sa maison datait déjà de "quatre jours" (Actes 10:30). Les envoyés n'arrivèrent à Joppé que le lendemain de leur départ (Actes 10:8, 9), mais juste après que Pierre ait eu la vision de la nappe. Après que l'Esprit de Dieu l'ait averti de la venue des émissaires, Il lui ordonna de partir "avec eux sans hésiter" (Actes 10:20). Ils ne quittèrent cependant Joppé que le lendemain (Actes 10:23) et n'arrivèrent à Césarée que "le jour suivant... à la neuvième heure" (Actes 10:24). À l'heure même à laquelle Corneille avait reçu la visite de l'ange (Actes 10:3, 30). On peut voir là, la synchronicité divine dans le déroulé de ces événements, Corneille ayant envoyé "aussitôt" ses serviteurs auprès de Pierre (Actes 10:33). La promptitude et la réactivité de Corneille le Romain contraste avec l'hospitalité toute orientale de l'apôtre Pierre. "Pierre donc les fit entrer, et les logea. Le lendemain, il se leva, et partit avec eux" (Actes 10:23). Les émissaires arrivèrent à la maison de Simon le corroyeur qu'à la "sixième heure" (à midi ; Actes 10:9). La petite troupe formée des trois émissaires, de Pierre et de ses six compagnons (Actes 11:12) prit la route dès le matin suivant, au réveil (Actes 10:23). 

Le lendemain, les émissaires retournèrent à Césarée avec Pierre et six autres disciples (Actes 10:23 / 11:12). "Corneille les attendait et avait invité ses parents et ses amis intimes" (Actes 10:24). Pendant que ses serviteurs se rendaient à Joppé pour en ramener Pierre, Corneille avait invité sa famille et ses amis chez lui pour qu'ils puissent entendre ce que l'apôtre avait à leur dire et comment ils pouvaient être sauvés  (Actes 10:24 / 11:13, 14), et c'est devant eux tous, et devant toute l'assistance (Actes 10:27), que Corneille va se jeter aux pieds de Pierre (Actes 10:25). Un détail que l'apôtre omettra volontairement de mentionner lorsqu'il fera un compte-rendu de sa visite auprès des frères de Jérusalem (Actes 11:1, 2). Pierre relèvera d'ailleurs Corneille en l'assurant que tous deux partageaient la même humanité (Actes 10:26), tout comme le feront plus tard à Lystre, et dans d'autres circonstances, Paul et Barnabas (Actes 14:14, 15). 
 


Chez Corneille

Après être entré chez Corneille et avoir constaté qu'un grand nombre de personnes non juives étaient présentes, Pierre juge bon de spécifier la raison pour laquelle il a consenti à pénétrer dans la maison d'un "étranger" (une personne issue des nations). "Vous savez, leur dit-il, qu'il est défendu à un Juif de se lier avec un un étranger (allophulos en grec) ou d'entrer chez lui ; mais Dieu m'a appris à ne regarder aucun homme comme souillé et impur" (Actes 10:28). Toutes ces personnes se sont déplacées pour entendre Pierre. Elles sont avides de l'entendre. Comme le dira plus tard l'apôtre Paul aux israélites de Rome : "Sachez donc que ce salut de Dieu a été envoyé aux païens, et qu'ils l'écouteront" (Actes 28:28)

La première parole que Pierre adresse à l'assemblée réunie chez Corneille, c'est : "En d'autres circonstances, je ne vous aurais même pas adressé la parole, et je serais encore moins entré dans l'une de vos maisons, mais...". Comme entrée en matière, c'est plutôt brutal ! Mais ils le savaient fort bien ("vous savez...", Actes 10:28). On peut donc supposer qu'un tel revirement ait pu les étonner, c'est pourquoi Pierre s'en explique. Et étonnement, on retrouve ici "la nappe" que Pierre a vu en vision. Car que dit Pierre ? "Il est défendu à un Juif (les Romains considéraient tout Israélite comme "Judéen", sans faire de distinction avec les Galiléens) de se lier avec un étranger ou d'entrer chez lui. Mais Dieu m'a appris à ne regarder aucun homme comme souillé et impur" (Actes 10:28). Avant que Pierre n'ait reçu la vision de la nappe (c'est à dire la veille), l'apôtre considérait les païens comme étant "souillés et impurs". C'est contre ce "Il est défendu" que la vision de la nappe est venue buter. Parce que si Pierre était un strict observant de la loi de Moïse, l'interdiction d'entrer dans la maison d'un païen n'y est pas mentionnée. Elle ne relève que d'une tradition issue de l'époque d'Esdras. Au Retour de l'Exil Perse, Esdras dit aux Judéens qui avaient fait leur Aliyah : "Séparez-vous des peuples du pays" (Esdras 10:11). La vision de la nappe devait rappeler à Pierre que cet "interdit" (Actes 10:12 à 14) ne concernait que la viande animale (Lévitique 11 / Deutéronome 14:3 à 21), non les êtres humains. Cependant, l'apôtre Paul reprendra cette notion de séparation lorsqu'il s'adressera aux disciples de la ville de Corinthe, leur enjoignant de ne pas se mettre "avec les infidèles sous un joug étranger... car quelle part a le fidèle avec l'infidèle ?... C'est pourquoi sortez du milieu d'eux, et séparez-vous dit le Seigneur, ne touchez pas à ce qui est impur, et je vous accueillerai (dit le Seigneur)" (2 Corinthiens 6:14 à 17). On pourrait croire ce passage sorti tout droit de la Loi de Moïse, et pourtant non ! Ces paroles sont belles et bien tirées d'une épître de l'apôtre Paul, bien qu'en partie inspirées d'un texte du prophète Esaïe (Esaïe 52:10). Paul reprend ici la notion "d'impureté" si familière aux deux apôtres. 

J'ai fait mention plus haut de l'expression "Les gens du dehors" (paroykos) considérés non seulement comme étrangers à la nation d'Israël, mais également comme résidant dans un pays qui n'est pas le leur. Mais le terme "allophulos" utilisé ici désigne un étranger dans le sens d'une personne étrangère à la nation dans laquelle elle se trouve. Le terme est ici plus modéré. Mais d'où venait cette réticence des Juifs à entrer dans la maison d'un païen ? On peut considérer qu'il y a au moins trois raisons à cela. La première, c'est bien évidemment la présence potentielle d'idoles dans cette demeure. La seconde est la consommation de sang ou d'animaux considérés comme "impurs" par la loi mosaïque. Le porc, principalement, mais aussi tout autre animal comestible mais rituellement impur (comme des crustacés, des poissons sans écaille, etc... Lévitique 11:1 à 22 / Deutéronome 14:3 à 21). Une troisième raison, peut-être méconnue, est celle des menstruations (Lévitique 15:19 à 33). Dans une famille juive pratiquante, une femme menstruée ne s'asseyait que sur une chaise qui lui était réservée afin que personne ne soit en contact avec une quelconque trace de son sang (Lévitique 15:22, 23, 26, 27). Selon la loi mosaïque, le contact avec le sang d'une femme menstruée aurait rendu quiconque "impur", et cela, même sans qu'il le sache (Lévitique 15:23). C'est donc afin de préserver cette "pureté rituelle" (Lévitique 15:31) que les Juifs n'entraient pas dans les maisons des païens car s'ils s'étaient rendus dans le Temple en étant impurs, ils s'en seraient rendus coupable (Lévitique 15:31 / Lévitique 5:15). L'apôtre Paul sera plus tard confronté à cette même réticence lorsqu'il arriva dans la ville de Philippes (Actes 16:12, 13). Lydie, une "craignant-Dieu" (une prosélyte non-juive, tout comme Corneille) qui avait été touchée par l'enseignement de Paul, le pressa de ses instances pour qu'il accepte de demeurer sous son toit (Actes 16:14, 15). Cependant, la réputation dont jouit Corneille auprès des Judéens laisse entendre que ce "craignant-Dieu" respectait un certain nombre de prescriptions mosaïques. Suffisamment, en tout cas, pour bénéficier de la considération de "toute la nation des Judéens (qui lui) rend(ait) un bon témoignage" (Actes 10:22)

"Lorsque Pierre entra, Corneille, qui était allé au devant de lui... et conversant avec lui, il entra et trouva beaucoup de personnes réunies" (Actes 10:25 à 27). Ces gens sont des Romains, mais ils connaissent les réticences des Judéens à entrer dans la maison d'un "étranger" : "Vous savez qu'il est défendu à un Judéen de se lier avec un étranger ou d'entrer chez lui." (Actes 10:28). Pierre commence tout d'abord par expliquer la raison qui l'a poussé à transgresser cet "interdit" (Actes 10:28, 29). Corneille lui explique ensuite la raison de sa présence parmi eux (ce dont les émissaires avaient déjà parlé à l'apôtre). Voyant que cette assemblée était disposée à entendre "tout ce que le Seigneur t'a ordonné de nous dire" (Actes 10:12), Pierre reconnaît que "Dieu ne fait pas de favoritisme" (d'acception de personnes ; Actes 10:34 ; Deutéronome 10:17), mais au contraire : "en toute nation, celui qui le craint et qui pratique la justice lui est agréable" (Actes 10:35). Les personnes a qui il s'adresse ont déjà eu connaissance des événements qui se sont produits auparavant à Jérusalem et en Judée, c'est pourquoi Pierre dit, à plusieurs reprises : "Vous savez... vous savez..." (Actes 10:37, 38). Lorsque, dans le hall de sa maison, Corneille "conversait avec lui" (Actes 10:27), il se peut fort bien que ce craignant-Dieu ait mis l'apôtre au courant des attentes de son auditoire, mais également de ce dont ils étaient informés. 

"Et comme Pierre prononçait encore ces mots* : Tous les Prophètes (de l'Ancienne Alliance) rendent de lui (de Jésus) le témoignage que quiconque croit en lui (en Jésus, le Massiah) reçoit par son nom le pardon des péchés... le Saint-Esprit descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole" (Actes 10:43, 44). Les disciples qui avaient accompagné Pierre chez Corneille furent très étonnés que le Saint-Esprit puisse être donné à des païens (des non-israélites ; Actes 10:45). Comme Pierre le racontera lui-même aux frères de Jérusalem, l'ange avait dit à Corneille : "Pierre... te dira des choses par lesquelles tu seras sauvé, toi et toute ta maison. Lorsque je me fus mis à parler, le Saint-Esprit descendit sur eux, comme sur nous au commencement" (Actes 11:14). Les disciples qui accompagnaient Pierre virent que le Saint-Esprit était répandu sur tout l'auditoire, tous ceux qui étaient venus pour écouter Pierre se mirent à parler en langues, tout comme cela s'était produit pour les apôtres, à Jérusalem, lors de la fête de Pentecôte (Actes 10:44 à 46). Pierre voyant cela, ne vit aucune objection à ce qu'ils soient baptisés. Ce baptême était pratiqué par immersion totale du corps dans l'eau (Actes 11:15 à 17). Il est possible que la maison de Corneille disposait d'un mikvé (un bain rituel pour les ablutions).  Pierre demeura encore quelques jours chez Corneille afin de poursuivre son enseignement au sein de cette nouvelle communauté de disciples (Actes 10:48). 

L'Évangile accessible aux nations

Mais "lorsque Pierre fut monté à Jérusalem, les frères, les fidèles circoncis (les disciples issus du peuple d'Israël) lui adressèrent des reproches en disant : Tu es entré chez des incirconcis et tu as mangé avec eux. Pierre se mit à leur exposer de manière suivie ce qui s'était passé" (Actes 11:2 à 4). Quelques années auparavant, à la fête de la Pentecôte, Pierre avait dit devant la foule assemblée : "la promesse est pour vous et pour vos enfants" (Actes 2:39), il parlait alors à des Judéens de la Diaspora, utilisant une formulation que l'on retrouve déjà dans le livre de l'Exode (Exode 12:24). La réaction de ces disciples, qui peut paraître aujourd'hui comme la manifestation d'un ostracisme rigide, était alors tout à fait compréhensible si l'on connaît un tant soit peu l'histoire du peuple d'Israël. Lorsque les Hébreux revinrent de leur exil de Perse, le scribe Ezra (Esdras) incita fortement le peuple à se séparer des peuples autochtones auxquels beaucoup s'étaient alliés par mariage, risquant ainsi, à nouveau, d'en adopter les pratiques idolâtres (Esdras 9:1, 2, 11). Ces mêmes pratiques idolâtres qui leur avaient coûté leur déportation en Babylonie. Les générations qui suivirent se gardèrent donc de fréquenter, de façon rapprochée, les populations païennes environnantes. La période hellénistique fut également fort éprouvante pour le peuple hébreu à qui les Grecs voulurent imposer leurs coutumes et leurs croyances tout en leur interdisant la pratique de leur culte. Rome, quant à elle, avait une politique plus permissive à l'égard des rites et coutumes religieuses des peuples conquis, allant même parfois jusqu'à les intégrer à leur propre Panthéon. Mais les Hébreux sachant les Romains polythéistes, outre le fait qu'ils étaient également des envahisseurs, refusaient d'entretenir avec ceux-ci des relations de proximité. Cependant, certains Romains, dont Corneille et sa famille sont un exemple, adoptèrent la foi dans le Dieu d'Israël (Romains 2:26 ; Galates 6:15). Tout comme ce Centurion "et ceux qui étaient avec lui" qui, au pied de la croix de Jésus, reconnurent sa messianité en disant : "Assurément, cet homme était Fils de Dieu" (Matthieu 27:54). Ce qui permet de dire que la toute première personne à reconnaître la divinité de Jésus après sa mort fut un Centurion romain. C'est pour eux, justement, que Jésus avait prononcé ces paroles en disant : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font" (Luc 23:24).  

Lorsque, à Jérusalem, les disciples de Yeshoua issus du peuple hébreu apprirent que Pierre s'était rendu dans la maison d'un païen et qu'il avait mangé avec eux, ils le lui reprochèrent vivement (Actes 11:1 à 3 ; 1 Corinthiens 7:19). L'apôtre Pierre ne s'en offusque pas mais il leur expose "de manière suivie ce qui s'était passé" (verset 4), de la vision de la nappe au baptême du Saint-Esprit (versets 4 à 17), leur démontrant que sa démarche avait été conduite par l'Esprit du Seigneur après que Celui-ci l'ait convaincu de renoncer à ses propres aprioris (Actes 10:19, 28, 29). C'est à ce moment que la kehillah (l'assemblée, en hébreu) reconnut, de leur plein droit, les païens issus des nations comme pouvant devenir disciples de Yeshoua à part entière, au même titre que les enfants d'Israël (Romains 11:11 ; Galates 3:8 ; Actes 15:23). Il ne sera ensuite plus fait mention de Corneille dans les Écrits néotestamentaires, mais on peut imaginer que l'influence d'un Centurion romain au sein d'une ville aussi importante fut considérable. Un acte d'obéissance. Un pas de foi. Une rencontre que l'on aurait considéré avant cela comme fort improbable, et un nouvel horizon s'ouvrait désormais pour les nations.

Cependant, une nouvelle persécution, orchestrée par l'infâme Hérode,  devait bientôt  s'abattre sur les communautés de disciples. 

 

JiDé

 

 

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