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Les Actes des Apôtres : Le ministre éthiopien

Les Actes des Apôtres : Le ministre éthiopien

Après qu'il eut évangélisé la Samarie, on retrouve Philippe aux environs de Jérusalem. Un ange lui apparut et lui dit de se rendre sur une route allant de Jérusalem à Gaza. Il y vit un haut dignitaire africain qui s'en retournait chez lui sur son char. L'Esprit de Dieu dit à Philippe de s'en approcher et lorsque l'évangéliste fut à sa hauteur, il l'entendit lire à voix haute ce qu'il reconnut comme étant le cinquante-troisième chapitre du livre d'Esaïe. Le dignitaire africain invita Philippe à monter sur son chariot afin qu'il lui explique la teneur de cet étrange passage dont il ne comprenait pas le sens. Partant de ce passage messianique, Philippe lui enseigna la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Chemin faisant, la petite troupe passa à proximité d'une source d'eau. Le dignitaire demanda à être baptisé. En réponse à sa demande, et après qu'il eut témoigné de sa foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu, l'eunuque reçut le baptême des mains de Philippe. Tous deux sortirent de l'eau, mais l'Esprit de Dieu enleva Philippe qui, l'instant d'après, se retrouva dans la ville d'Azot. De là, il prit la direction de Césarée où il demeurait, tout en continuant à évangéliser les villes et villages qu'il traversait. Le haut dignitaire s'en retourna chez lui, heureux d'avoir rencontré le Christ Jésus. 

Au désert

Alors que Pierre et Jean s'en retournaient de Samarie à Jérusalem en évangélisant au passage les villages samaritains qu'ils traversaient, "un ange du Seigneur s'adressa à Philippe*, (et) lui dit : Lève-toi, et va du côté du midi, sur le chemin qui descend de Jérusalem à Gaza, celui qui est désert. Il se leva et partit" (Actes 8:26, 27)

"Un ange du Seigneur s'adressa à Philippe, lui dit...". Le récit du livre des Actes est riche en apparitions et interventions angéliques, c'est donc sans autre forme que Luc, l'auteur du livre des Actes, fait intervenir ce messager céleste dans la suite de son récit.  

"Lève-toi, et va du côté du midi" (ou "à midi"). L'ange qui s'adresse à Philippe lui demanda de se rendre sur la route qui descendait de Jérusalem vers l'Égypte, en direction du Sud (le Midi). L'ange ajouta que celle-ci était déserte. Une route déserte est effectivement le dernier endroit où un évangéliste aimerait à se retrouver. Le mot "Midi" (en grec "mesembria") peut désigner à la fois "une direction" (le Sud) ou "une heure de la journée" (Actes 22:6). L'ange a donc pu indiquer, à Philippe, à la fois la direction à prendre, mais également l'heure à laquelle il devait s'y trouver. Midi étant l'une des heures les plus chaudes de la journée, les chemins étaient généralement déserts à cette heure. Il risquait fort de l'être bien plus encore à cette heure. Mais Philippe, tenant compte des directives de l'envoyé céleste, prit la direction qui lui avait été indiquée : "Il se leva et partit" (Actes 8:27). Il est à noter qu'à cette époque, la région de Gaza était inhabitée, selon ce que dit la prophétie de Sophonie : "Car Gaza sera délaissée, Askalon sera réduite en désert, Ashdod sera chassée en plein midi, Ekron sera déracinée..." (Sophonie 2:4, 5)

*Philippe l'évangéliste, mentionné en Actes 6:5. À ne pas confondre avec l'apôtre Philippe (Actes 1:13). 

Un ministre Nubien

Luc, l'auteur du livre des Actes, donne ensuite une description d'un personnage qu'il identifie comme étant un "Éthiopien, un eunuque, ministre de Candace, reine d'Ethiopie, et surintendant de tous ses trésors, venu à Jérusalem pour adorer" (Actes 8:27). Comment Luc a-t-il eu connaissance de tous ces détails ? Par Philippe lui-même ? Par un récit qui lui en a été fait ? Par un écrit qui relatait cette rencontre (Luc 1:1 à 4) ? Le terme grec désigne ce personnage comme "Aithiops" (Éthiopien). Mais le fait qu'il soit "ministre de Candace" permet de mieux identifier son origine puisque ce mot désigne une reine nubienne (comme "Pharaon" pour les Égyptiens, ou "César" pour les Romains). On peut donc identifier ce personnage comme un dignitaire venu de Nubie (le Soudan actuel, au Sud de l'Égypte). Le terme "Éthiopie" désignant alors une large région s'étendant d'Assouan à Khartoum. La reine Candace régnait à Méroé, où l'on a retrouvé des inscriptions hiéroglyphiques mentionnant son nom (la Nubie avait adopté l'écriture égyptienne ainsi que plusieurs de leurs pratiques funéraires). L'historien grec Strabon, contemporain de cette époque, mentionne la reine Candace dans ses écrits comme exerçant la royauté, en ce temps là, avec une grande autorité. Selon l'auteur Romain Pline, le nom de "Candace" passait d'une reine à l'autre, comme le titre de "Ptolémée". Le terme de "Candace" pouvant également désigner la reine-mère. Le terme "éthiopien", quant à lui, provient probablement d'une traduction plus tardive, la Nubie ayant été envahie et vaincue par Ezana, roi d'Aksoum, vers la moitié du troisième Siècle de notre ère. 

Les Judéens étant implantés dans de nombreuses régions et territoires de l'Orient comme du pourtour méditerranéen, il est fort possible que ce haut dignitaire numide ait été un craignant-Dieu (comme le centurion Cornélius - Actes 10:2), ou même un prosélyte (Actes 2:10). Le terme "eunuque" (eunouchos en grec) désigne un chambellan attaché à la chambre du roi ou de la reine. "Saris", Le terme équivalent en hébreu, désigne un officier de la cour, un haut dignitaire, sans que celui-ci ait été émasculé. Potiphar, qui était marié, et à qui fut vendu Joseph (Genèse 39:1) était un "saris" (un eunuque)Ce pouvait être cependant le cas pour ceux qui étaient attachés à la chambre de la reine, ou au harem du roi. Jésus donne différentes définitions de ce mot (Matthieu 19:12). Certains le sont effectivement devenus par la main des hommes, d'autres le sont "par naissance", d'autres encore par choix personnel. Esaïe dit ainsi : "Aux eunuques... qui choisiront ce qui m'est agréable, et qui persévéreront dans mon alliance, je donnerai dans ma maison et dans mes murs une place et un nom* préférables à des fils et à des filles... Et les étrangers qui s'attacheront à l'Eternel pour le servir, pour aimer le nom de l'Eternel, pour être ses serviteurs... et qui persévéreront dans mon alliance, je les amènerai sur ma montagne sainte, et je les réjouirai dans ma maison de prière... car ma maison sera appelée une maison de prières pour tous les peuples" (Esaïe 56:4 à 8 - Marc 11:17). Pour ce Nubien, cette prophétie d'Esaïe s'était pleinement accomplie. 

*C'est de cette expression que vient le nom du mémorial de la Shoa, le Yad Vashem, à Jérusalem. 

Cet eunuque était "ministre (en grec "dunastes") de Candace". "Dunastes" désigne un haut dignitaire. Dans son Évangile, Luc évoque des "puissants (dunastes) sur leurs trônes" (Luc 1:52), et l'apôtre Paul parle à Timothée de Jésus comme "souverain" (dunastes), Roi des rois" (1 Timothée 6:15). Cet homme occupait donc une très haute fonction au palais de Méroé. On peut donc facilement imaginer l'impact considérable que sa conversion put avoir sur l'évangélisation de son pays. Il était également "surintendant de tous ses trésors (gazès)". Le mot "Gazès", d'origine étrangère (Numide ? Copte ?), n'apparaît nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament. 

Ce haut dignitaire était venu à Jérusalem "pour adorer (proskuneo)" (Actes 8:27). Dans le Monde Oriental, "proskuneo" est une attitude révérencieuse à l'égard d'un roi ou d'un empereur consistant à se prosterner, à genoux, front contre le sol. Ce haut dignitaire d'un pays étranger était venu à Jérusalem pour se prosterner, face contre terre, devant le Dieu d'Israël, le Rois des rois. C'est ce que dit le Psalmiste : "Des grands viennent de l'Egypte ; L'Ethiopie (littéralement "Cush") accourt, les mains tendues vers Dieu" (Psaume 68:32)

"Il s'en retournait, assis sur son char" (Actes 8:28). Probablement un chariot richement orné et tiré par des chevaux ou des bœufs. Ce haut dignitaire étranger s'était ainsi rendu au Temple de Jérusalem, bâti par Hérode. Lorsque Salomon, bâtisseur du premier Temple, en fit la Dédicace, il dit : "Quand l'étranger, qui n'est pas de ton peuple d'Israël, viendra d'un pays lointain, à cause de ton nom, car on saura que ton nom est grand... quand il viendra prier dans cette maison, exauce-le des cieux, du lieu de ta demeure, et accorde à cet étranger tout ce qu'il te demandera, afin que tous les peuples de la Terre connaissent ton nom pour te craindre" (1 Rois 8:41 à 43). Cette prière de Salomon, exprimée quelques dix siècles plus tôt, était toujours valable pour ce ministre numide. 

"Assis sur son char, (le ministre éthiopien) lisait le prophète Esaïe. L'Esprit (de Dieu) dit à Philippe (en son for intérieur) : Avance et approche-toi de ce char. Philippe accourut". (Actes 8:28, 29). Par l'intermédiaire d'un ange, Philippe avait reçu une directive précise quant au lieu où il devait se rendre. Et alors qu'il voit, sur cette route, un char (probablement accompagné d'une escorte), le Saint-Esprit lui dit de s'en approcher. Il se doute alors, fort probablement, que c'est pour la personne qui se trouve dans ce chariot qu'il a été envoyé sur cette route pas aussi déserte qu'il aurait pu le penser.  

Hébreu ou grec

"Philippe accourut, et entendit l'éthiopien qui lisait le prophète Esaïe. (Philippe) lui dit : Comprends-tu ce que tu lis ?"(Actes 8:30). Philippe a immédiatement reconnu le passage du livre d'Esaïe (Esaïe 53:7, 8) où il est parlé du Messie souffrant, chapitre qui décrit les souffrances de Jésus lors de son Supplice. Ce verset mérite que l'on s'y attarde un peu car il contient de précieuses informations pour une compréhension plus complète de ce récit. 

"Philippe accourut et entendit l'éthiopien qui lisait...". Le texte fournit ici une première information. Il lisait à voix haute (ce qui était alors une pratique courante, la lecture silencieuse n'étant pas d'usage à cette époque). Mais la question se pose alors : Dans quelle langue lisait-il ? Nos traductions nous font souvent oublier que lorsque des membres de communautés linguistiques différentes se rencontrent, il leur faut faire usage d'un langage commun, où alors ils font appel à un traducteur (Genèse 42:23 ; Esther 8:9). Luc, l'auteur du livre des Actes, est probablement le seul écrivain néotestamentaire (avec l'apôtre Paul) a avoir rédigé ses écrits directement en grec. Bien qu'il soit toujours soucieux de mentionner de précieux détails, il ne précise pas, ici, dans quelle langue a eu cours cet échange entre Philippe et le ministre de Candace (l'auteur du livre des Actes mentionnera, par contre, ce genre de détail dans le compte-rendu d'un dialogue entre un officier romain et l'apôtre Paul. Actes 21:37). Il est fort peu probable que Philippe ait parlé la langue de son interlocuteur. Par contre, ce haut dignitaire parlait probablement une ou plusieurs langues étrangères. 

Que lit ce haut dignitaire ? "L'éthiopien... lisait le prophète Esaïe". La version Codex des Écritures, telle que nous la connaissons aujourd'hui, n'existe bien évidemment pas à cette époque. Ce lecteur tient en main un rouleau de livre comprenant une portion du livre d'Esaïe*, rédigé initialement en hébreu. Mais il existait alors, depuis le deuxième siècle avant notre ère, une version grecque, dite "des Septante" (du nombre de personnes ayant participé à sa traduction). Cette version était initialement destinée aux communautés juives de la Diaspora ayant perdu la pratique de l'hébreu, suite à l'hellénisation forcée imposée par l'envahisseur, notamment Antiochus IV Epiphane. Deux possibilités s'offrent donc à nous. La portion du livre d'Esaïe que lit ce dignitaire numide est soit en grec, soit en hébreu. Or, le texte nous dit qu'en l'entendant lire, Philippe en reconnut le contenu. Il s'adressa ensuite au lecteur dans une langue que celui-ci comprenait, puisqu'il répondit à sa question. Dans quelle langue Philippe s'est-il adressé à ce personnage ? Celle dans laquelle était rédigé le livre d'Esaïe. Ce qui nous ne nous laisse que deux possibilités : en hébreu ou en grec. 

Première possibilité : Le rouleau d'Esaïe que lisait ce dignitaire était rédigé en hébreu (dans sa version originale). L'eunuque connaissait donc suffisamment cette langue pour pouvoir lire Esaïe "dans le texte". Or, l'hébreu d'Esaïe est une langue élaborée, riche en vocabulaire et très littéraire. Ce qui demande une certaine maîtrise de la langue. Si tel est le cas, Philippe se serait alors adressé à lui directement en hébreu. 

Deuxième possibilité : Le rouleau d'Esaïe était rédigé en grec. Il s'agissait donc d'une traduction dans une langue véhiculaire fort répandue dans l'Orient ancien (partout où la Grèce avait étendu ses conquêtes lors de la période intertestamentaire). Dans ce cas, Philippe l'aurait entendu lire dans cette langue et lui aurait adressé la parole en grec. Ce qui introduirait une information : Philippe comprenait et parlait le grec, en plus de l'hébreu (sa langue maternelle). Ces deux hypothèses nous amènent à nous interroger sur le rapport qu'entretient ce dignitaire avec Les Écritures Saintes. 

*Une copie contenant la totalité du texte du livre d'Esaïe a été trouvée à Qumran, en 1948, et sa longueur faisait plus de 7 mètres. Elle est aujourd'hui exposée au Musée du Livre de Jérusalem. 

Identité

Ce haut dignitaire était donc venu d'un royaume au Sud de l'Égypte, jusqu'à Jérusalem, pour se prosterner devant l'Eternel, le Dieu d'Israël, et il s'en retourne dans son pays en lisant le livre d'un prophète hébreu. Comment s'était-il procuré ce livre ? L'a-t-il acheté à Jérusalem, lors de son séjour ? Le possédait-il déjà ? Il l'aurait alors emmené avec lui pour se rendre à Jérusalem. Ces suppositions nous amènent à nous interroger un peu plus sur ce mystérieux personnage. Une fois encore, deux possibilités s'offrent à nous. 

Première possibilité : C'est un "craignant-Dieu" (comme le centurion Corneille (Actes 10:1, 2). Il a mis sa foi dans le Dieu d'Israël, mais il ne pratique pas, ou seulement en partie, les rites religieux de la Loi mosaïque.

Deuxième possibilité : C'est un "prosélyte" (Actes 2:10 ; 13:43 ; Exode 12:48). Il aurait alors adopté la religion israélite et obéirait à toutes les prescriptions de la Loi mosaïque. Il connaîtrait alors l'hébreu, ce qui permettrait d'envisager que le rouleau du livre qu'il était en train de lire était en langue hébraïque. Mais cette option me paraît moins probable que la première, les exigences de cette Loi me paraissant difficilement compatibles avec l'exercice de hautes fonctions à la cour d'une nation étrangère. J'opterais donc plus volontiers pour la première hypothèse : ce ministre nubien était un "craignant-Dieu". Il y aurait donc de fortes probabilités pour que le livre d'Esaïe, qu'il était en train de lire, ait été rédigé en grec. Ce qui laisserait donc penser que leur conversation eut lieu dans cette langue. La pratique de celle-ci étant tout à fait compatible avec l'exercice de ses fonctions au palais. Cette hypothèse me semble également étayée par un autre fait. Luc, l'auteur du livre des Actes, ne mentionne pas la langue dans laquelle eurent lieu ces échanges. Le grec étant sa langue maternelle, l'auteur du livre des Actes a tout naturellement "omis" de le préciser, d'autant plus que c'est justement dans cette même langue que son livre est rédigé. Il n'aurait donc pas jugé nécessaire de le mentionner explicitement. Il se peut également que Philippe, lorsqu'il fit le récit de cette rencontre, ne mentionna pas la langue dans laquelle cet échange avait eu lieu.

Autre possibilité : L'auteur s'est servi de documents à sa disposition, ainsi que de témoignages verbaux sans avoir connaissance de ce détail, d'où son silence sur ce sujet. Détail qui nous aurait pourtant fourni de précieuses informations sur les deux interlocuteurs présents dans ce récit. Nos traductions "gomment" généralement le fait que les peuples qui se côtoient, dans la Bible, parlent des langues différentes, utilisent parfois des alphabets différents ("selon leur écriture" - Esther 8:9), quand ce ne sont pas des hiéroglyphes (comme en Égypte, mais également dans cette région dont est issu ce ministre "éthiopien"). Le récit de la Genèse relatant la rencontre de Joseph l'égyptien avec ses frères est significatif (Genèse 42). Joseph, revêtu de vêtements égyptiens, s'adresse à ses frères dans la langue de son pays d'adoption (le copte), et non en hébreu. Bien qu'il comprenne parfaitement ce que disent ses frères, il s'adresse à eux dans une autre langue afin de dissimuler son identité. Il se fait traduire pour eux, et laisse son interprète lui retraduire les propos de ses frères, comme s'il ne les comprenait pas (Genèse 42:23). Lorsque Paul est arrêté au Temple par des légionnaires, l'apôtre s'adresse au tribun romain en grec, ce qui permet de l'identifier et de le dissocier d'un autre personnage avec lequel l'officier l'avait confondu (Actes 21:37). On peut, là aussi, s'interroger. Pourquoi Paul s'est-il adressé à lui en grec alors que, en tant que citoyen romain, il parlait très probablement aussi le latin (la langue des Romains) ? Même si l'apôtre Paul dit aux Galates qu'en Christ, il n'y a plus "ni Juif, ni Grec" (Galates 3:28), et aux Colossiens, "ni Grec, ni Juif" (Colossiens 3:11), les mentalités, les alphabets et les langues divergent considérablement entre les deux communautés. Tout en ayant une identité commune, "en Christ", toutes deux s'opposaient en bien des points, et il est nécessaire de tenir compte de ces divergences pour une plus juste compréhension des textes bibliques. 

La bonne semence

"Philippe... lui dit : Comprends-tu ce que tu lis ? Il répondit : Comment le pourrais-je si personne ne me guide ? Et il invita Philippe à monter et à s'asseoir avec lui" (Actes 8:30, 31). Après s'être manifesté aux disciples du village d'Emmaüs (Luc 24:13, 27), après sa résurrection, Jésus apparut également aux onze apôtres, auxquels ceux-ci s'étaient joints (Luc 24:33, 36). Jésus leur dit : "Il fallait que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes, et dans les Psaumes (tout l'Ancien Testament). Alors, il leur ouvrit l'esprit, afin qu'ils comprennent les Écritures" (Luc 24:44, 45). Philippe fit, avec le ministre nubien, ce que Jésus avait fait, précédemment, avec les disciples d'Emmaüs, sur la route de Jérusalem : il lui expliqua ce qui concernait le Messie dans les Écritures (Luc 24:27 ; Actes 8:35). Son interlocuteur avait-il déjà entendu parler de Jésus auparavant ? S'interrogeait-il déjà sur son identité ? La Bonne Nouvelle que lui annonce Philippe était-elle quelque chose de tout à fait nouveau ? Il est difficile de se prononcer la dessus. Mais c'est toutefois un homme en recherche, lisant le texte messianique par excellence, que rencontre Philippe, ce qui facilita grandement les choses pour lui annoncer l'Evangile. On comprend donc plus facilement pourquoi il fallut non moins que l'intervention d'un ange pour envoyer Philippe sur une route déserte en plein midi. Lorsque Philippe prend la direction que lui a indiqué l'ange, il ne sait pas à quoi il doit s'attendre. Et lorsqu'il voit le convoi devant lui, il ne sait toujours pas si c'est pour cela qu'il a été envoyé dans ce lieu désert. Ce n'est qu'à partir du moment où le Saint-Esprit lui parle en son for intérieur qu'il comprend vraiment la raison de sa présence en cet endroit improbable (Actes 8:29). Il n'en fallait pas moins pour organiser cette rencontre. On peut facilement imaginer que la conversion de ce haut dignitaire va fortement influer sur la cour de la reine Candace, ainsi que sur la population de ce royaume sur lequel il exerce probablement une grande influence. En tant que haut dignitaire de la cour, il devait également être en contact avec ses homologues étrangers (égyptiens, africains et autres...). On peut donc envisager une évangélisation de la population de son royaume, et peut-être même de populations de royaumes voisins ou amis. Une première évangélisation de l'Afrique, même localisée, au tout début de l'ère chrétienne, serait donc tout à fait envisageable. L'Ethiopie toute proche en gardera d'ailleurs des traces durables à travers les siècles. 

Le passage que lisait ce dignitaire était donc tiré du cinquante-troisième chapitre du livre d'Esaïe. En réalité, le chapitrage de la Bible ne datant que du neuvième siècle, la numération des Écritures était alors totalement inconnue. Luc parle donc d'un "periochê" (le passage, Actes 8:32).  

Ce texte dit : "Il a été mené comme une brebis à la boucherie" (Actes 8:32a). Le terme grec "sphagen" (boucherie) peut être pris également au sens figuré. Jacques utilise également ce terme, traduit par "carnage" dans la version Segond (Jacques 5:5). Dans la version originale du livre d'Esaïe, le terme hébreu "tebah" signifie "abattage, massacre". Le texte qu'il est en train de lire parle du jugement, des souffrances et de la crucifixion du Messie (Matthieu 26:62, 63 ; 27:12, 14, 27 à 50). L'eunuque pose alors, à Philippe, une question qui est peut-être plus riche de sens qu'il n'y parait : "Je te prie, de qui le prophète parle-t-il ainsi ? Est-ce de lui-même, ou de quelqu'un d'autre ?" (Actes 8:34). Selon la tradition, le prophète Esaïe aurait été scié en deux après avoir été introduit dans un tronc d'arbre creux. Un acte barbare que l'on pourrait également considérer comme une "boucherie" (dans le sens figuré du terme). Il se peut fort bien que l'eunuque ait entendu parler de l'horrible fin que connut l'auteur de ce texte. Il s'interroge donc : "Esaïe a-t-il prophétisé sa propre mort ou parle-t-il d'une autre personne ?" Mais il se peut également que l'eunuque ait eu connaissance d'un autre texte, le Psaume 16, où David parle aussi du Messie. David écrit : "Car tu ne livreras pas mon âme au séjour des morts, tu ne permettras pas que ton bien-aimé voie la corruption (du corps défunt)" (Psaume 16:10). L'apôtre Pierre cite ce passage dans son discours, à la Pentecôte, en parlant de Jésus (Actes 2:27). Dans son épître, il attestera également que les Prophètes (de l'Ancien Testament) ont annoncé d'avance ce qui concernait le Messie, ces prophéties s'étant pleinement accomplies en la personne de Jésus-Christ (1 Pierre 1:10, 11). La question de l'eunuque pourrait faire penser que celui-ci s'interrogeait sur ce texte d'Esaïe en se demandant s'il devait également y appliquer le principe d'interprétation utilisé dans le Psaume 16. En effet, comme le démontre le discours de Pierre, les disciples de Jésus savaient que ce passage du Psaume de David ne concernait pas son auteur mais le Messie qui devait venir (Actes 2:29 à 32). On peut alors s'interroger : l'eunuque avec lequel s'entretient Philippe était-il présent, à Jérusalem, lors du discours de Pierre à la Pentecôte ? C'est une supposition. 

"Alors Philippe, ouvrant la bouche et commençant par ce passage, lui annonça la bonne nouvelle de Jésus" (Actes 8:35). 

"Alors Philippe, ouvrant la bouche...". Comme l'a dit Jésus : "C'est de l'abondance du cœur que la bouche parle" (Matthieu 12:34b). Il peut paraître évident d'ouvrir la bouche pour s'exprimer. On pourrait donc s'interroger sur la présence de cette information dans le texte. En réalité, cette phrase est riche de sens. Elle dénote un court temps de réflexion avant de répondre. Pour Philippe, la raison de sa présence sur cette route déserte, où il fut envoyé par l'ange qui lui était apparu, prend tout à coup tout son sens. Il a été envoyé là parce que cet homme, qui était en train de lire un des textes les plus messianiques de toutes les Écritures, lui donne l'occasion de lui annoncer "la bonne nouvelle de Jésus". Le texte d'Esaïe qu'était en train de lire son interlocuteur lui servit d'introduction pour lui expliquer l'Evangile. Durant ce court laps de temps pendant lequel Philippe "ouvrit la bouche", c'est tout le développement de son exposé qui lui vint à l'esprit. Ainsi, cette courte phrase qui sonne comme une évidence contient, en elle-même, toute la réflexion de Philippe avant qu'il ne commence à s'exprimer. 

 "Alors Philippe, ouvrant la bouche et commençant par ce passage...". Philippe débute son exposé sur la base du texte dont ils sont en train de parler, avant d'enchaîner sur d'autres textes messianiques (il faut se rappeler que ce que l'on nomme communément "l'Ancien Testament" constitue alors "la Bible" des disciples de Jésus, aucun des Écrits de ce que l'on appellera, bien plus tard, le "Nouveau Testament" n'ayant été rédigé). Philippe lui exposa probablement les faits tels qu'ils se sont déroulés depuis la mort et la résurrection de Jésus, tout en se fondant sur les Écritures (Luc 24:27, 44 à 47 ; Actes 10:43 ; 17:2, 3)"Comme ils continuaient leur chemin, ils rencontrèrent de l'eau. Et l'eunuque dit : Voici de l'eau ; qu'est-ce qui empêche que je sois baptisé ?" (Actes 8:36). 

En Chemin

"Comme ils continuaient leur chemin, ils rencontrèrent de l'eau" (Actes 8:36). C'est ainsi que Luc introduit une nouvelle scène de son récit. Cette simple phrase est également riche de sens. On peut donc en conclure que, durant leur conversation, Philippe en est arrivé à parler du baptême par immersion. Le fait que l'eunuque manifeste le désir d'être baptisé signifie qu'il a reconnu, en Yeshoua, le Messie dont parlait le livre d'Esaïe. Cette étape de leur parcours est, en quelque sorte, "contenue" dans un seul mot. "Comme ils continuaient (en grec : "poreuomai") leur chemin...". "Poreuomai" peut vouloir dire, entre autres, "aller, poursuivre son voyage", mais également "suivre quelqu'un"Pendant que l'eunuque poursuivait son chemin, Philippe lui enseignait l'Evangile. Et c'est ainsi qu'il devint un disciple du Seigneur Jésus-Christ, prêt à être baptisé. Prêt à suivre Jésus comme le ferait tout disciple (Matthieu 28:19). Luc utilise également ce terme pour désigner l'observance des Commandements de Dieu (Luc 1:6). Si "poreuomai" signifie également "se mettre en route" dans le sens littéral (Luc 9:52), il peut aussi signifier la même chose dans un sens figuré, comme lorsque Jésus dit à la "femme pécheresse", ou à celle qui avait "une perte de sang" : "Va (poreuomai) en paix" (Luc 7:37, 50 ; 8:48). Paul rencontrera Jésus alors qu'il est "en chemin" pour Damas (Actes 22:6, 10). De telles directives furent données à Ananias de Damas (Actes 9:11, 15) et à Pierre (Actes 10:20), impliquant également une démarche collective : "L'église marchait dans la crainte du Seigneur" (Actes 9:31). 

Si "poreuomai" peut se traduire à la fois par "se mettre en route" (Luc 9:52), "se diriger" (Luc 9:53) et "être en chemin" (Luc 9:57), Philippe a fait ce que Jésus avait enseigné dans la parabole de la brebis perdue, il est "allé" (poreuomai) le chercher "dans le désert" (Luc 15:4 ; Actes 8:26). On retrouve ensuite ce terme à plusieurs reprises dans notre texte : "Lève-toi et va" (Actes 8:26, "Il se leva et partit (Actes 8:27), "comme ils continuaient leur chemin" (Actes 8:36), "Joyeux, il poursuivit sa route" (Actes 8:39)

Il est intéressant de noter que le mot "peira", qui a la même racine que "poreuomai", peut se traduire par "vérifier une chose, l'expérimenter, apprendre, connaître par expérience". L'eunuque a pu "vérifier" (peira) directement dans les Écritures ce que Philippe lui disait. Et il fit l'expérience de la Nouvelle Naissance (Jean 3:3, 5)

"Comme ils continuaient leur chemin (hodos)..." (Actes 8:36). Dans un sens littéral, "hodos" signifie "une route, un chemin, un sentier" mais désigne aussi le fait de "voyager". Dans son sens figuré, "hodos", c'est "une manière de penser, de se conduire, de décider". Ce peut être également "une doctrine". Tout en continuant sa route sur son char, cet eunuque avait commencé à marcher dans ce que les Écritures et les Évangiles appellent "la Voie" (Proverbes 23:19), la Voie du Seigneur (Actes 18:25 ; 19:9), la Voie de Dieu (Actes 18:26), une "voie droite" (Hébreux 12:13), conforme à "tout ce qui est écrit dans la loi (de Moïse) et dans les Prophètes" (Actes 24:14). Paul parle également de "ses voies en Christ", ce qu'il "enseigne partout dans les églises" (1 Corinthiens 4:17), et qui est "la voie par excellence" (1 Corinthiens 12:31). Celle que l'apôtre Pierre appelle "la voie de la vérité" (2 Pierre 2:2). C'est dans cette "voie" que ce haut dignitaire nubien a été enseigné par Philippe, et c'est sur la base de sa pleine acceptation de celle-ci pour lui-même qu'il a été baptisé (baptizo) par immersion. 

Baptême

"Comme ils continuaient leur chemin, ils rencontrèrent de l'eau. Et l'eunuque dit : Voici de l'eau. Qu'est-ce qui m'empêche d'être baptisé ? Philippe dit : Si tu crois de tout ton cœur, cela est possible. L'eunuque répondit : Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu" (Actes 8:36, 37). L'apôtre Paul écrira, plus tard, aux disciples de Rome : "Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé, car c'est en croyant du cœur qu'on parvient à la justice, et c'est en confessant de la bouche qu'on parvient au salut, selon ce que dit l'Ecriture" (Romains 10:9, 10).

"Il (l'eunuque) fit arrêter le char. Philippe et l'eunuque descendirent tous deux dans l'eau, et Philippe baptisa (du grec "baptisen") l'eunuque" (Actes 8:38). "Baptisen" signifie "immerger, plonger dans l'eau". Ce qui est confirmé par le fait qu'ils "descendirent tous deux dans l'eau". Et l'eunuque entra ainsi dans la Vie Éternelle. 

On pourrait cependant s'interroger : "Mais, il n'y avait-il aucun témoin de l'engagement de cet homme ? Le baptême n'est-il pas un engagement public ?" On peut tout d'abord imaginer qu'un haut fonctionnaire d'un pays étranger ne se serait pas aventuré seul sur une route déserte, qui plus est pour un voyage aussi long. Il devait y avoir, pour le servir, des serviteurs, et des gardes pour le protéger. Cela reste cependant une hypothèse, une déduction découlant du bon sens, mais cela ne constitue pas, pour autant, une preuve. Le texte biblique mentionne cependant la présence d'une tierce personne : le conducteur de char. En effet, une petite phrase qui pourrait facilement passer inaperçue nous en informe : "Il fit arrêter le char" (Actes 8:38). Ce qui sous-entend que quelqu'un le conduisait. Il n'aurait bien évidemment pas été possible, pour l'eunuque, de lire un rouleau de livre et de conduire le char en même temps. Ce personnage, qui n'est même pas mentionné, fut donc témoin du baptême de son maître, tout comme les membres de son escorte. Il en avait déjà été de même, dans d'autres circonstances, quand Naaman, le général syrien, s'était plongé dans les eaux du Jourdain (2 Rois 5:13, 14). Le baptême de l'eunuque éthiopien se fit donc en présence d'au moins deux personnes, mais comme il est inconcevable qu'un haut dignitaire se déplace sans escorte, on peut donc en conclure que tous ceux qui étaient présents ce jour-là assistèrent à son baptême. Ce fut donc bien un engagement public, devant témoins. La validité de celui-ci ne peut donc nullement être contestée. 

La Voie droite

"Quand ils furent sortis de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe et l'eunuque ne le vit plus" (Actes 8:39). "l'Esprit du Seigneur enleva Philippe... (et) Philippe se trouva dans Azot (ancienne ville philistine)" (Actes 8:39, 40). Le même Esprit de Dieu qui avait dit à l'évangéliste : "Avance, et approche-toi de ce char", le fit disparaître pour l'amener l'instant d'après dans la ville d'Azot (appelée Ashdod dans l'Ancien Testament), à peu près à mi-chemin entre Jaffa et Gaza. De là, par la plaine côtière du Saron, Philippe reprit la route de Césarée, où il demeurait (Actes 21:8), "en évangélisant toutes les villes par lesquelles il passait" (Actes 8:40). Quant à l'eunuque, "il ne le vit plus" (mais il semble qu'il ne s'en soit pas trop étonné), tandis que, joyeux, il poursuivait sa route" (Actes 8:39). Le baptême, mentionné dans le livre des Actes, après celui de l'eunuque, est celui de Saul (futur apôtre Paul) dont il est dit qu'il "tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue" (Actes 9:18). Ces deux baptêmes furent donc, tous deux, accompagnés d'un miracle. 

L'eunuque reprit sa route tout heureux de cette miraculeuse rencontre. Mais là encore, le texte nous fournit une information. Il "poursuivit sa route (hodos)" (Actes 8:39). Il nous est dit plus haut que Philippe et l'eunuque continuaient leur chemin (hodos)..." (Actes 8:36). Philippe disparu, l'eunuque poursuivit seul son voyage (hodos), tout en étant pleinement heureux d'avoir rencontré le Christ (Actes 8:35 à 37), ayant ainsi pleinement intégré "la doctrine" (hodos) apostolique, ce qui s'était concrétisé par son baptême par immersion. Ce nouveau disciple de Jésus, ayant choisi "la voie (hodos) de la vérité" (2 Pierre 2:2), poursuivit à la fois sa route (hodos) vers son pays, et son chemin sur la "Voie de Dieu" (Actes 18:26), "la voie du Seigneur" (Actes 18:25 ; 19:9), qui est "la voie par excellence" (1 Corinthiens 12:31). 

Leurs routes s'étaient croisées pour un temps. Elles se séparaient définitivement. L'eunuque prit la direction du Sud, vers l'Égypte, alors que Philippe remontait vers le Nord, vers Césarée. "Philippe se trouva dans Azot, d'où il alla jusqu'à Césarée, en évangélisant toutes les villes par lesquelles il passait. Saul, (respirait) encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur" (Actes 8:40 ; 9:1). Le futur apôtre des païens allait bientôt rencontrer son Maître. Sur la route de Damas, Saul l'inquisiteur devait, lui aussi, faire une rencontre qui allait bouleverser sa vie (Actes 9:27). "Sur le chemin (hodos), Saul vit le Seigneur". 

JiDé

Les Actes des Apôtres : Le ministre éthiopien
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